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Coupe de France : À Nantes, une recette bien gardée

Par Jérémie Baron
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Coupe de France : À Nantes, une recette bien gardée

Ce dimanche (18h30) en 16es de finale de Coupe de France, le FC Nantes se déplace dans les Vosges pour y affronter l'ES Thaon. Au-delà de l'enjeu sportif, le club de N3 peut craindre pour sa trésorerie : sous la présidence de Waldemar Kita, l'institution jaune et vert a pris l'habitude de régulièrement la faire à l'envers aux clubs amateurs et de ne pas laisser aux petits poucets sa part de recette billetterie après les matchs, comme le veut pourtant la tradition.

« À la fin du match, Waldemar Kita vient me voir en me disant qu’il me laisse la recette du match, mais qu’il retire juste ses frais de déplacement. Au moment de signer la feuille de recette, Kita est parti, et son team manager, un peu embarrassé, s’isole pour repasser un coup de téléphone à son président et demander combien ils nous laissent. Je le sens re-rentrer un peu gêné, et il nous explique : “Le président dit qu’on ne rentre pas dans nos frais avec 18 000 euros, et donc on va tout prendre.” » Président de l’AF virois (National 3), Christophe Lécuyer garde en travers de la gorge l’épilogue du 32e de finale de Coupe de France qu’a disputé son équipe face au FC Nantes, le 7 janvier dernier au stade Michel d’Ornano de Caen.

On nous avait demandé de venir jouer à la Beaujoire, et en échange on nous laissait la recette. J’avais refusé, car c’était la fête au village et aller jouer à Nantes, ça n’était pas concevable.

Nouredine Chahir, de Saint-Renan

 

Novotel et jet privé

En plus de la qualif’, les Canaris sont en effet repartis du Calvados avec leurs 18 000 euros de part de la recette billetterie, s’essuyant ainsi les pieds sur l’esprit de la coupe et le rite ancestral selon lequel les clubs professionnels, lorsqu’ils affrontent plus petit qu’eux, sacrifient généralement les quelques milliers d’euros qui leur sont alloués. « Ils m’ont envoyé les factures. Quand on choisit un hôtel de standing comme ça, ça monte très vite, ils ont choisi le Novotel avec des espaces privatisés, et ils facturent tout : le repas de la veille, le petit déj’, le repas du midi, la collation de l’après-midi, les salles de massage, les salles de réunion… Il me rajoute à ça son bus, qui est parti le vendredi de la Jonelière… Il a fait le choix de prendre sa part de recette, c’est un droit. Il ne faut pas le justifier en disant couvrir ses frais de déplacement, enchaîne Christophe Lécuyer. Quand on reçoit un club pro, on ne peut pas jouer le match chez nous et on a un cahier des charges assez important. Nous, on donne tout, et même si Waldemar Kita estime que sa part de recette lui sert à couvrir ses frais de voyage, indirectement c’est qu’il estime que c’est au club de N3 de payer ses frais. Et ce sont les Virois qui ont mis l’argent dans sa caisse, il n’y avait que 250 Nantais à cinq euros. Waldemar Kita prend l’argent des Virois. Les gens ne sont pas venus pour voir Nantes, mais pour supporter le petit club de Vire. »

Christophe Lécuyer n’en est pas tombé de sa chaise : il était au courant des pratiques de son homologue nantais, dont la réputation en la matière n’est plus à faire. Sous l’ère Kita (24 matchs face à des équipes non professionnelles, depuis 2007), au moins onze équipes amateurs ont ainsi vu l’homme d’affaires franco-polonais radiner au moment d’honorer la tradition : l’USM Saran (DH, 8e tour) et l’EDSM Montluçon (CFA, 32es) en 2007-2008 ; l’US Concarneau (CFA 2, 7e tour) en 2009-2010 ; la TA Rennes (DH, 8e tour) en 2011-2012 ; le SO Romorantin (CFA, 7e tour), l’En Avant de Saint-Renan (DSE, 8e tour) et le FC Dieppe (CFA 2, 32es) en 2012-2013 ; le Club franciscain (DH, 32es) en 2014-2015 ; l’USM Senlis (N3, 32es) en 2017-2018 ; l’AS Vitré (N2, quarts) en 2018-2019 ; et, donc, Vire cette saison. « Ça m’avait déçu, surtout par rapport au FC Nantes, qui est un club mythique », lâche Michel Cheminot, le boss romorantinais.

Souvent, c’est la carte du coût de voyage (location d’un avion privé à 30 000 euros, par exemple) qui est brandie par le père Kita. Il n’est pas rare, et les témoignages de nombreux présidents le prouvent, que celui qui a fait fortune dans l’allongement de pénis tente ainsi de convaincre son adversaire de disputer la rencontre à Nantes (ce qui change alors pas mal de choses pour le club amateur)… Avec l’argument financier pour faire pencher la balance. « On nous avait demandé de venir jouer à la Beaujoire, et en échange on nous laissait la recette, se souvient Nouredine Chahir de Saint-Renan. J’avais refusé, car c’était la fête au village et aller jouer à Nantes, ça n’était pas concevable. Ils n’étaient pas venus après le match, au moment où on fait le décompte avec le délégué. Ils sont partis directement, donc on s’était dit qu’ils ne demandaient pas la recette. Mais la semaine suivante, ils nous ont sollicités pour récupérer leur part. Règlementairement, on ne peut rien dire, mais j’ai trouvé que ce n’était pas très élégant de leur part. C’était 14 000 ou 15 000 euros, ça n’allait pas chercher très loin dans le budget d’un club comme celui du FC Nantes. » Privé du joli pactole de 42 218 euros en 2019 après avoir accueilli le FCN à Francis-Le Basser (Laval), Vitré, s’étant résolu à se déplacer en Loire-Atlantique deux ans plus tard pour un nouveau match de coupe, avait ainsi connu un Kita plus généreux, qui lui avait laissé l’intégralité du magot.

Les clubs pros se cachent derrière ce truc qui est tacite.

Eric Guillot de Senlis

Comme d’autres clubs professionnels chaque année (l’OM contre Trélissac en 2020, Brest contre Avranches cette saison, l’ESTAC contre Montceau en 2013, Reims contre Plabennec en 2013 et l’US Lusitanos Saint-Maur en 2015, Rennes contre Quevilly en 2012, Monaco contre Blagnac en 2009, Lens contre Forbach en 2003 ou encore Nancy, Nîmes et le LOSC à de nombreuses reprises), l’insaisissable Monsieur K. profite d’un flou qui perdure sur le sujet. Car dans le règlement de la compétition, rien ne stipule une quelconque obligation de céder sa part de recette au petit poucet : après déduction des frais d’organisation « fixés forfaitairement à 35 % de la recette hors taxes », la « répartition de la recette nette » se fait sur ce modèle : « 50 % pour le club recevant, 50 % pour le club visiteur ».

Règle tacite et double jeu

Ce geste reste donc un cadeau au monde amateur que les formations du haut du panier sont libres de faire ou non, via une case à cocher sur la feuille de recette : lorsqu’elles s’affrontent entre elles en coupe, les équipes amateurs ne respectent d’ailleurs pas toujours, elles non plus, ce schéma. « Il suffirait simplement qu’à la fédé, il y ait un règlement qui dise que le club pro laisse sa part au club amateur, estime néanmoins Eric Guillot de Senlis, qui avait accueilli la Maison jaune au stade Pierre-Brisson de Beauvais. Je n’avais même pas abordé ce sujet en amont avec Kita ; pour moi c’était tellement logique, à l’époque on avait un budget à 230 000 euros pour l’ensemble du club, il connaissait notre situation. Il y a un coût terrible pour un club amateur pour organiser un match comme ça, entre les stadiers, les frais de police… Ils imputent des frais à des clubs amateurs qui n’ont pas les moyens, et dont le seul espoir d’avoir une manne financière est la Coupe de France. Sur les 40 000 euros de recette, on leur a versé 15 000, et on a eu 20 000 ou 21 000 de frais d’organisation. On est passé pour des baltringues alors qu’on avait loué un stade pour eux, qu’on avait fait des tarifs préférentiels pour leurs supporters, évidemment ils n’avaient délégué personne pour la sécurité, il y avait une condescendance… Les clubs pros se cachent derrière ce truc qui est tacite. » « Je ne comprends pas cette polémique, on ne m’a rien demandé, avait d’ailleurs répondu Waldemar Kita à L’Équipe, après l’épisode Senlis. Chez nous, il y a des règles claires et ce n’est pas moi qui m’occupe de ces dossiers. »

Franck Kita m’avait dit oui, presque comme si c’était évident. Deux mois après, on a reçu un recommandé du club de Nantes disant qu’on leur devait la somme.

Jean-Luc Colin, ex-président du FC Dieppe

Et les fameux 35% de déduction de la recette directement destinés au remboursement des coûts d’organisation ne sont pas forcément suffisants, si l’on en croit les principaux concernés : « Quand on joue dans son stade, on peut estimer que ça suffit pour couvrir les frais d’organisation, expose Lécuyer. Mais quand on doit avoir recours à un stade de configuration Ligue 1, ce n’est pas ça qui va payer les secours et les stadiers, ça n’est même pas le prix de la sécurité. » Si la somme en question est souvent plus symbolique qu’autre chose et met rarement les clubs sur la paille, le double jeu parfois pratiqué par le clan Kita peut avoir des répercussions. « J’avais demandé à Kita fils s’il acceptait de nous faire cadeau de la moitié de la recette, rembobine Jean-Luc Colin, qui était alors président du FC Dieppe. Franck Kita m’avait dit que oui, presque comme si c’était évident. Deux mois après, on a reçu un recommandé du club de Nantes disant qu’on leur devait la somme. Ce qui m’a vraiment déplu, c’est qu’on nous dise devant témoins qu’on nous donnait la recette. Ces 15 000 euros, pour un club comme nous, c’était important. Ça nous avait embêtés, le trésorier et moi, parce qu’on avait compté sur cet argent puisqu’on l’avait. On avait encaissé cet argent, il était dans notre trésorerie. On s’était dit qu’on avait ces 15 000 euros à dépenser. Ça a eu impact, on était ric-rac comme beaucoup de clubs. »

Jean-Marie Bijotat, de Saran, se souvient lui de « ce 64e de finale, dans le stade d’Orléans. On avait fait une magnifique soirée, je l’avais passée avec Kita, on avait offert des cadeaux et au moment de passer à la tradition de laisser la part de recette… Quelques mois après, le FC Nantes s’était fait de nouveaux sièges pour son banc, et certains avaient répondu que c’était avec l’argent qu’il n’avait pas laissé à Saran. On leur avait même prêté des couvertures, car il faisait très froid, et ils sont repartis avec. Ces 18 000 euros n’ont pas eu un impact direct, mais quand même, ça représentait une certaine somme qu’on aurait bien voulu affecter au renforcement des compétences des éducateurs, à la formation… On peut dire que ça a participé à la fragilité de la structure financière du club. » Certains ont eu plus de chance, comme l’Aviron bayonnais (N3, 32es) qui avait tout récupéré en 2019-2020, l’USSA Vertou (DH puis CFA 2) qui n’avait eu aucune mauvaise surprise lors de ses deux affrontements avec Nantes (2007-2008 et 2010-2011), l’US Bouscat (DHR, 7e tour) qui avait pu coffrer plus de 7000 euros en plus en 2011-2012 « après recouvrement des frais de déplacement » du FCN et alors que Kita était initialement parti avec l’intégralité de sa part, ou l’ASC Romagné (DSR, 7e tour) qui, en 2010-2011, avait déjà encaissé la recette au moment où l’octuple champion de France lui avait réclamé son dû : mis devant le fait accompli, le club professionnel n’avait pas insisté.

De son match de gala face à Nantes, l’AF virois gardera l’intégralité des maillots adverses, laissés par les Canaris au coup de sifflet final, des photos avec des joueurs de Ligue 1 à montrer aux petits-enfants, un poster géant signé par toute l’équipe jaune et vert et des moments d’échange toujours précieux avec Antoine Kombouaré et ses hommes, ce que le FCN a tenu à rappeler après la polémique comptable. Une seule décision, venue de tout en haut, aura finalement suffi à gâcher la fête pour le club de National 3. L’Entente sportive thaonnaise, située dans la même division que l’AFV et avec un budget (400 000 euros) sensiblement similaire, n’a plus qu’à croiser les doigts au moment d’accueillir les Jaunes, ce dimanche, au stade de la Colombière à Épinal.

Dans cet article :
Le FC Nantes perd Moses Simon sur blessure
Dans cet article :

Par Jérémie Baron

Tous propos recueillis par JB, sauf mentions

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