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Ciryl Gane : « Un gars nerveux comme Kimpembe serait bon dans l'octogone »
Ciryl Gane s’apprête à affronter Tom Aspinall pour la ceinture des lourds de l’UFC, ce samedi soir. Mais avant de briller dans l’octogone, le combattant a fourbi ses armes sur le rectangle vert. Rencontre avec un « Bon Gamin » qui n’aime rien tant que la sensation du ballon qui fuse sur l’herbe humide. Un puriste, donc.
Comment tu t’es préparé pour ton combat contre Tom Aspinall ?
De la meilleure des manières, en poussant tous les curseurs au maximum pour ne rien laisser au hasard : au niveau physique, mental, mais aussi stratégique. Il y a une vraie équipe soudée d’une petite dizaine de personnes qui s’est déployée, a établi un calendrier précis, défini un projet d’entraînement, des objectifs à atteindre, des étapes pour me mettre dans les meilleures conditions pour préparer l’événement. Je crois que je ne me suis jamais préparé avec autant de professionnalisme, ou en tout cas de souci du détail, pour un combat.
Comme au football, on imagine qu’il y a un gros travail d’analyse tactique de l’adversaire ?Énormément, et des adaptations pour aller chercher des sparring partners qui correspondent aux forces de l’adversaire. On se prépare forcément différemment selon ses qualités, et on déploie l’entraînement de manière intelligente. Ce n’est pas juste de la bagarre de bourrin ! Ça se fait en deux étapes : d’abord, on se concentre sur ses forces et on les développe ; ensuite, on s’adapte à l’adversaire avec un travail technico-tactique selon la stratégie adoptée.
Il y a quelque chose de similaire entre le foot et le MMA en termes de préparation physique.
Je pense que la préparation pour un combat a des atouts pour tous les sports. Elle englobe de nombreux aspects intéressants : la combativité, l’adversité, la résilience. Mais la préparation physique est assez différente : la vie d’un footballeur, c’est un rythme archi soutenu, avec des matchs chaque semaine. Il faut être constant dans l’effort soutenu, sans pour autant casser la machine. La plus grosse gestion, c’est la répétition des matchs, la prévention des blessures. Nous, on frôle vraiment la fatigue de blessure parce qu’on va chercher l’intensité très haut, sur des pics, là où un footeux va essayer d’avoir une constance et de rester dans la zone un peu orange sans jamais aller dans le rouge.
C’est un sport qui t’envoie des pics d’émotions qui te font perdre des cheveux.
En MMA, tu peux passer plusieurs mois sans combattre. Comment tu gères l’attente entre les combats ?
On a l’habitude. Ce n’est pas un match de foot qu’on va jouer. Il faut savoir que parfois, tu sors d’un combat complètement cassé. Après mon dernier combat, j’en ai eu pour un mois et demi de bottes plus un mois de rééducation avant de pouvoir utiliser mon pied de manière à peu près normale. Tu ne sors jamais totalement indemne d’un combat. Mais au-delà de ça, ça demande une très grosse prépa physique, donc tu montes dans une extrême fatigue. On a généralement un combat, deux combats dans l’année, et on sait très bien qu’il faut tout donner pour ces deux dates-là — s’il y en a deux. C’est ça, la grosse différence.
Même un combat qui se passe bien, où tu ressors sans trop de séquelles, justement, tu mets combien de temps à t’en remettre ?
En début de carrière, j’ai pu enchaîner parce que j’avais des opportunités. Quand tu es loin dans le classement, tu dois charbonner. Je sortais des combats plutôt corrects, et j’avais pu enchaîner trois combats en cinq mois. En 2021, je combats contre Volkov, et cinq ou six semaines après, je combats contre Lewis pour la ceinture intérimaire des poids lourds de l’UFC. Si tu sors bien, sans blessure, t’as quand même l’accumulation de la fatigue, du stress, des soucis… Mais physiquement, ton corps te le permet. C’est plus au niveau psychologique que c’est dur de se remettre dedans.
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Entrer dans l’octogone, c’est très exigeant mentalement ?
C’est solide, c’est solide. On attrape des cheveux gris avec le stress et l’adrénaline. C’est un sport qui t’envoie des pics d’émotions qui te font perdre des cheveux. Quand on est loin d’un combat, tout va bien, on peut être focus sur l’entraînement pour progresser. Mais à partir du moment où tu arrives sur la dernière ligne droite, le mois et la semaine avant le combat, ça devient compliqué à gérer. Il y a toute l’effervescence, les interviews, la tension qui monte progressivement. Tout ça culmine quand on arrive sur la zone de combat. J’ai la chance que le stress ne me bouffe pas, mais je connais des combattants qui ne sont plus les mêmes. Ils n’arrivent plus à rigoler. Les sports de combat ne sont pas des sports comme les autres. Ça n’a rien à voir.
À quel niveau ?
Tu vas t’entraîner des mois et des mois pour une date, pour un combat qui va peut-être durer une minute. Tu vois, le combat contre Jon Jones, je l’ai perdu en à peine trois minutes. Donc ça peut arriver, malgré des mois d’entraînement. Et le pire, c’est que ça ne veut pas dire que tu t’es mal entraîné. Et puis tu ne peux pas te rater. Je prends toujours comme exemple ce combat contre Jon Jones. Après une défaite comme celle-ci, tu te fais tuer, tu te prends une étiquette pendant je ne sais pas combien de temps. C’est à toi de revenir plus fort, tout seul. Quand la première défaite arrive, on a l’habitude de s’excuser auprès des gens alors qu’on ne devrait pas. La vérité, c’est que dans ce sport, tu fais les choses pour toi et tu ne dois rien à personne. Tu es seul dans l’octogone. C’est toi qui fais les sacrifices. C’est toi qui prends les risques, qui peux rester au sol et te casser des membres. Quand je perds le combat contre Jon Jones, on a complètement oublié ce que j’avais fait avant.
Au foot, j’étais le genre de joueur qui faisait une tête de plus que tout le monde, avec un très bon jeu de tête. J’étais défenseur central, c’est moi qui tenais la charnière.
Mais ça, c’est commun à tous les sports, non ?
Oui, mais la différence, c’est que le footballeur peut se rattraper le week-end suivant. En MMA, tu as le temps de cogiter, de gamberger. Tu peux passer un an à te faire tabasser sur les réseaux : « t’es une fraude ! » Comme disait Benoît Saint-Denis, tu passes du meilleur, de l’OVNI à une fraude en un combat. Et tu dois attendre de longs mois pour changer les choses. C’est la difficulté de ce sport.
Et c’est là que c’est important d’avoir un préparateur mental ?
Dans le foot, t’es là, t’es toujours avec tes gars, vous êtes onze contre onze. Si tu rates un match, que ce n’est pas ton jour, tu reviens tranquille. Nous, ce n’est pas tranquille. Notre sport est dur.
🥊 CIRYL GANE 🆚 TOM ASPINALL LE PREMIER FACE-À-FACE ⚔️⚔️ ÇA VA PETERRRRR 🔥💥#UFC321 pic.twitter.com/kSAsS8FDLW
— ARENA (@MMArena_) October 23, 2025
Tu as longtemps joué au foot à La Roche-sur-Yon. T’étais quel genre de joueur au foot ?
J’étais le genre de joueur qui faisait une tête de plus que tout le monde, avec un très bon jeu de tête. J’étais défenseur central, c’est moi qui tenais la charnière. Je voulais remplir ma mission, mais parfois je pétais un câble et je remontais la balle sur tout le terrain quand j’entendais mon père gueuler sur le côté (Rires.)
Ton père était du genre à assister à tous tes matchs ?
J’entendais sa grosse voix, je n’entendais que lui. Alors parfois, ça me saoulait, je m’énervais, je prenais les choses en main pour lui montrer ce que je valais. Mais ce n’était jamais négatif non plus. Mon père m’a beaucoup apporté dans l’adversité, et je lui dois en partie mon état d’esprit. Aujourd’hui il intervient à un moment donné dans ma préparation mentale parce qu’il a un mindset incroyable.
C’est quoi justement son état d’esprit ?
Le mindset de mon père, c’est que personne n’est plus fort que lui. Il ne recule devant personne. Peu importe qui tu es, peu importe ce que tu as fait dans ta vie, il ne reculera pas devant toi. C’est ça, le mindset du daron. Il a toujours été comme ça.
J’allais faire des dons du sang parce qu’on me donnait à manger derrière. Ça me faisait économiser un repas.
Tu l’as vu à l’œuvre pendant tes combats ?
Il y a une anecdote que j’aime bien raconter. Quand je commence la boxe thaï en 2015, mes parents viennent de Vendée pour mon premier combat en région parisienne. C’était un rassemblement de boxe thaï avec une ambiance très spéciale sous un chapiteau. Il faisait extrêmement chaud, c’était l’été, en pleine canicule, tout le monde transpirait. En attendant ton combat, tu entends tous les coups parce que t’es très proche du ring : ça claque, c’est très impressionnant. Quand je monte sur le ring, au moment du silence, avant que le gong ne retentisse pour commencer le combat, j’entends encore mon père qui crie « Gane ! », notre nom de famille. Comme pour dire : « N’oublie pas ton nom, c’est un gage de qualité. N’oublie pas qui tu es. »
Revenons-en au football, il paraît que tu avais quelques qualités qui plaisaient aux recruteurs ?
J’avais des qualités, mais je jouais pour le plaisir. C’était mon défaut. Je ne pensais pas du tout au foot comme à une future carrière possible. J’ai fait des détections, j’ai fait des choses comme ça, mais j’étais dilettante. En cadets, j’ai fait les stages de sélection pour participer au tournoi de Montaigu. Mais ça ne convenait pas, ce n’est pas un bon souvenir. Un recruteur voit vite qu’un jeune, malgré ses qualités physiques et techniques, n’ira pas loin s’il n’a pas le bon état d’esprit et s’il n’a pas envie de percer. Ensuite, je me suis mis au basket et, dès que j’ai commencé à jouer, les gens ont entendu parler de moi et les clubs formateurs ont voulu me recruter. Ma réponse, c’était : « Non, tranquille, c’est ma première année, on verra plus tard ! » J’avais des qualités, mais je n’avais pas le bon mindset pour vouloir choquer le monde et devenir un champion.
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Comment tu as débloqué, des années plus tard, ce « mindset » de champion ? Que s’est-il passé ?
Je suis devenu un homme. Je monte sur Paris à l’âge de 20 ans, et je découvre la rudesse de la vie, les galères de sous. Je commence à jouer au basket sur les playgrounds et je comprends qu’il faut sortir les coudes. J’étais le petit métis beau gosse de province, et tu te retrouves avec des gars de 35 ans, bruts de décoffrage, qui jouent un basket dur et qui n’en ont rien à faire que tu sois le petit jeune qui débarque de Vendée.
Dans ta vie quotidienne aussi, certaines choses t’ont endurci ?
Plein de choses de la vie m’ont éduqué. Quand tu galères à payer ton loyer, t’es obligé de te bouger le cul. Il faut manger des pâtes, manger des gâteaux, parfois ne pas manger du tout. J’allais faire des dons du sang parce qu’on me donnait à manger derrière, tu vois. Ça me faisait économiser un repas. C’est ces petits trucs comme ça, la dureté de la vie, qui te forgent en tant qu’homme.
C’est à cette époque que les sports de combat arrivent dans ta vie ?
Oui, c’est là que je me mets à la boxe thaï. J’ai 24, 25 ans. J’ai trouvé un nouveau sport dans lequel je suis pas mal, j’ai un talent, il faut peut-être que je l’exploite. Des personnes veulent m’accompagner dans le process. Je me donne une chance, je fais confiance à ces gens pour voir jusqu’où cela peut me mener et je ne refais pas les mêmes erreurs que j’ai faites au foot et au basket.
Tu penses que le fait d’avoir débuté tardivement a fait de toi un combattant différent ?
Je pense que ça a fait de moi quelqu’un de différent. Ce n’est pas anodin si j’ai eu cette fulgurante progression dans ma carrière. J’étais prêt à beaucoup de niveaux. Là où un jeune n’a pas encore la maturité, il peut échouer et apprendre. Moi, j’avais déjà appris et vécu pas mal de choses qui m’ont fait brûler des étapes. Et tant mieux, parce que j’ai commencé à 28 ans, quoi.

Au niveau physique, ton passé de footballeur t’a aidé à devenir un grand combattant ?
Je ne sais pas si c’est scientifiquement prouvé, mais le basket et le foot m’ont aidé à être athlétique. Au niveau de la gestion des pieds, des déplacements dans l’octogone, de l’agilité, ça m’apporte. Je pense que j’ai une dextérité de mon corps qui fait que, quand je suis arrivé au MMA, j’avais un peu cette facilité et ce petit truc en plus dans la gestion de l’espace.
Quels joueurs seraient bons dans l’octogone ?
Je pense qu’on peut déjà placer Zlatan, forcément. Il pratique les arts martiaux, ça doit lui apporter beaucoup pour sa souplesse, sa manière de lever les jambes et de faire des trucs acrobatiques venus de nulle part. Sergio Ramos, je sais aussi qu’il aime beaucoup ça et qu’il est proche de Topuria. Des gars nerveux comme Kimpembe qui ont peur de rien et qui ont un mental d’acier à toutes épreuves. Haaland par son physique, peut-être, et par son état d’esprit sportif. Il y a quelque chose devant lui, il traverse. C’est une très bonne mentalité. J’ai vu récemment le frérot Achraf s’entraîner dans des rings en boxe anglaise, mais je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur pour ça.
Si je dois comparer mon père à quelqu’un dans le foot, c’est Lilian Thuram : très juste, très droit, combatif, dur sur l’homme. Mon père jouait au même poste que lui, d’ailleurs.
Avec le Variétés Club de France, tu as pu fouler la pelouse de la Beaujoire. Qu’est-ce que ça t’a procuré comme émotions ?
C’était un plaisir incroyable de jouer sur cette qualité de pelouse, devant le public. Et c’était encore plus spécial pour moi, parce que, gamin, j’y allais avec mon père, aux grandes heures du FC Nantes. J’allais voir les Carrière, Yepes, Marama Vahirua… Mon père conduisait des cars et il emmenait des gars au stade. Parfois, il arrivait à choper des places pour les Canaris. Je m’incrustais dans le car de supporters et on allait voir des matchs ensemble. C’était notre sortie père-fils.
C’était quel genre de chauffeur ?
À La Roche-sur-Yon, tout le monde connaît mon père, en fait, parce qu’il a transporté toute la ville dans son car. Il a son tempérament. Dans son car, il fallait respecter ses règles. C’est toujours quelqu’un de très juste, mais son car, c’est son car : c’est lui le patron.
Quelles étaient tes idoles, gamin ?
Quand j’étais petit, Lilian Thuram, c’est un peu une figure emblématique pour moi, peut-être parce qu’il ressemblait un peu à mon père dans l’état d’esprit. Si je dois comparer mon père à quelqu’un dans le foot, c’est Lilian Thuram : très juste, très droit, combatif, dur sur l’homme. Mon père jouait au même poste que lui, d’ailleurs. Contrairement à d’autres, je me voyais plus dans les défenseurs. D’ailleurs, j’aimais beaucoup Marcel Desailly aussi, avec son célèbre plat du pied hyper appuyé (il mime le geste de Desailly) : il faisait presque ses passes avec le talon.
Pour en revenir au foot, il paraît que tu envisages de reprendre une licence une fois ta carrière de combattant derrière toi ?
C’est super sérieux ! Le foot, c’est mon premier amour, mon premier sport de cœur. À chaque fois que je rechausse les crampons, que ce soit avec le Variétés Club de France ou l’Unicef, je prends du plaisir. C’est détente, avoir la possibilité de fouler de belles pelouses, c’est incroyable. J’adore la sensation du ballon qui fuse sur une pelouse un peu humide, c’est magnifique. Retrouver le goût du sport collectif aussi.
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