Casuals sans kilt
Après un premier épisode consacré à l'histoire du hooliganisme anglais, la série Hooligans FC diffusée chaque lundi soir sur Discovery Channel (voir la présentation de la série et du précédent épisode dans la chronique All over the hooligan world) met le cap au nord, en Ecosse.
Après un premier épisode consacré à l’histoire du hooliganisme anglais, la série Hooligans FC diffusée chaque lundi soir sur Discovery Channel (voir la présentation de la série et du précédent épisode dans la chronique All over the hooligan world) met le cap au nord, en Ecosse.
Comme le rappelle le présentateur Danny Dyer, les supporters écossais sont surtout connus pour le pacifisme et la bonhomie de la « Tartan Army » , ces fans à l’alcool joyeux qui suivent leur sélection nationale dans le monde entier comme à Paris le mois dernier où l’équipe écossaise a joué à domicile au Parc des Princes. Pourtant, le supportérisme écossais a une autre face : celle de bandes bien organisées de hooligans. Qu’il existe une tradition violente autour du football écossais ne surprendra ni ceux qui connaissent l’histoire endeuillée de la Old Firm, le derby Rangers – Celtic, ni les fans de Trainspotting d’Irvine Welsh qui narre incidemment quelques bagarres de stade, ni les lecteurs du sociologue Richard Giulianotti (plusieurs fois interrogé par So Foot mais malheureusement pas par les auteurs de Hooligans FC) qui a bien décrit le hooliganisme écossais que cet épisode s’évertue de disséquer. On y retrouve les mêmes défauts que dans l’ensemble de la série : un ton dramatique, une musique d’ambiance se voulant inquiétante, un souci d’exhaustivité qui multiplie des témoignages qui mériteraient parfois d’être plus poussés, une mise en scène exagérée des aventures de Danny (il vient de voir le derby avec les fans du Celtic, comment va-t-il être accueilli par les supporters des Rangers ? Ouf, fort bien, car ils reconnaissent l’acteur principal du film The Football Factory et lui offrent une bière)…Les qualités l’emportent malgré tout, le documentaire révélant des aspects importants de l’histoire du hooliganisme.
Tout démarre à Glasgow avec la Old Firm Rangers – Celtic et ces durs qui paradent, comme d’autres le feront ensuite dans la série, en affirmant fièrement que leur derby est le plus redoutable du monde. Malheureusement, le reportage n’ose pas vraiment s’attaquer aux racines de cette rivalité même si un universitaire retrace brièvement la construction historique de l’opposition religieuse entre les Rangers protestants et le Celtic catholique.
Cette partie est sauvée par quelques images d’archives impressionnantes et par le témoignage d’un commissaire qui insiste sur la différence entre un match classique et le derby. Lors d’un match classique, la police doit faire face à des bagarres planifiées entre hooligans bien identifiés. A l’occasion du derby, le risque est bien plus grand d’affrontements spontanés, imprévisibles et difficiles à contrôler. La suite de l’épisode est beaucoup plus instructive.
Dans les années 1980, avec comme entraîneur un certain Alex Fergusson, Aberdeen connaît une remarquable réussite sportive et parvient à éclipser les deux clubs de Glasgow. Certains fans d’Aberdeen veulent eux aussi se faire une réputation. Les Aberdeen Soccer Casuals naissent dès 1980 et importent le style casual en Ecosse. Ils le découvrent à Liverpool, en voyant 300 gars sans couleurs du club et au style disco travaillé, ils trouvent ça cool et décident de ranger la panoplie du skinhead, grande mode des années 1970, au vestiaire. Exit les écharpes du club, les rangers et les bombers, sus aux joggings de sport et aux vêtements de marque que le boom pétrolier (à cette époque, du pétrole est découvert en mer, non loin d’Aberdeen) et les bénéfices financiers qui vont avec pour la population permettent d’acheter. Bob, membre pendant 20 ans des ASC, se souvient avec émotion : « Le truc c’est qu’on était les seuls à faire ça. Quand les fans adverses arrivaient, ils ressemblaient encore à des skinheads ou des punks et quand ils nous voyaient, ils se demandaient “Qui c’est ceux-là ?” » . C’est précisément ce qu’ont pensé les hooligans de Motherwell en voyant débarquer la bande d’Aberdeen : « On s’est dit, “Mais qui c’est ces pédés ?” On pensait qu’ils allaient se barrer, mais ils se sont battus et plutôt bien, c’était la première fois qu’on rencontrait des casuals » . Vifs comme l’éclair, les hooligans de Motherwell réalisent que la tenue des gars d’Aberdeen leur confère un avantage certain : ils ne se font pas arrêter par la police qui, en revanche, serre à la moindre occasion celui qui ressemble de près ou de loin à un skin. Dès lors, la mode casual se répand en Ecosse comme une traînée de poudre. Les anciens hooligans interrogés par Danny se souviennent qu’ils prenaient ça très au sérieux, qu’ils se passionnaient pour la mode et claquaient un fric fou en fringues, ce qui n’était pas rien pour des gars de la classe ouvrière. Se mettre sur son 31 pour se foutre sur la gueule, c’est quand même sacrément la classe. Ils se souviennent aussi que ce fut l’âge d’or du hooliganisme écossais au milieu des années 1980, avant que la police ne reprenne le contrôle et que certains affrontements aillent trop loin.
1985, dans une bagarre entre les deux principales firms écossaises, les ASC et le Capital City Service d’Hibernian (l’un des clubs d’Edimbourg), un jeune Hib est grièvement blessé. Dès lors, le CCS n’a qu’une idée en tête : prendre sa revanche.
« Et on l’a fait » avoue avec une fierté rétrospective un des hooligans d’Edimbourg. Pour se remémorer ce tournant, le documentaire convoque deux ex-hooligans, l’un de l’ASC, l’autre du CCS. Ils évoquent avec émotion les bastons à mains nues, la boule au ventre avant le combat, l’adrénaline. Et le jour de la revanche. Le moment où le CCS a lancé un cocktail Molotov provoquant la surprise et la fuite de leurs adversaires. Bradley, un des meneurs du Baby Crew formé, entre 1983 et 1985, de jeunes de 13 à 15 ans qui ont fini par se fondre dans le CCS, le reconnaît : les hools d’Hibernian utilisaient des « armes » , des bâtons, des bouteilles et même des couteaux. Une réalité nettement moins romantique que les souvenirs jaunis des ex-hooligans. La dernière étape du parcours écossais est surprenante et révélatrice. Surprenante car elle mène à Dundee où les deux clubs de la ville ont chacun leur stade dans la même rue et où les hooligans locaux ont décidé de former une seule firm afin de mieux répondre aux attaques adverses. Révélatrice car la police locale apprend la présence de Danny et lui demande de ne pas assister au match auquel il comptait se rendre, afin d’éviter tout risque de troubles. Cette anecdote en témoigne : la police, les hooligans le reconnaissent volontiers, a largement gagné la partie et les bagarres sont de plus en plus rares.
Alors que la série ne se penche pas toujours sur les parcours de ces hooligans, la fin de l’épisode s’interroge sur la sortie possible du monde hooligan. Jay, d’Aberdeen, a été fasciné adolescent par la violence des hooligans, il les observait de près, mais il fuyait comme les jeunes de son âge quand les combats se rapprochaient. A 17 ans, il n’a pas fui pour la première fois et ça lui a plu, beaucoup. Mais quand il a été emprisonné, ça ne lui a plus plu du tout. « C’était embarrassant pour ma famille, pour la famille de ma copine » . Il a donc décidé de tourner la page et nous présente sa vie modèle et bien rangée. Lucide, il ne souhaite pas, contrairement à d’autres hooligans, que son fils passe par le même chemin. John du Celtic, lui, ne se sent pas capable d’arrêter complètement : « C’est une drogue, c’est comme l’alcool » . Selon lui, on peut replonger à tout instant : « Un hooligan sera toujours un hooligan » .
Nicolas Hourcade
Série diffusée le lundi soir à 22 h 35 sur Discovery Channel depuis le 15 octobre. La semaine prochaine : les Balkans. Chaque lundi, retrouvez sur sofoot.com une chronique de l’épisode du soir.
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