C.Ancelotti : « Entrainer, c’est juste un divertissement » (3)
Tout le monde dit que David Beckham est un grand professionnel, on s’en doute bien, mais qu’est-ce qu’il a de si intéressant que les autres joueurs n’ont pas ? Beckham est quelqu’un de très intelligent, en plus d’être très sérieux au quotidien. C’est vraiment une bête de travail. Sur le terrain, il voit tout avant tout le monde. Je pense même qu’il a la meilleure vision de jeu de mon équipe. Sur ce point de vue-là, il n’a même rien à envier à un joueur comme Kaka. Quand tu vois tout avant tout le monde, tes passes sont forcément meilleures. C’est ça, sa plus grande qualité.
Comment expliquez-vous qu’il n’ait jamais été considéré à sa juste valeur ? Pour moi, c’est un grand joueur, après ce qu’il fait dans sa vie personnelle, je m’en fous, c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas.
Maintenant qu’il joue dans une position plus axiale, comment faire pour que David Beckham progresse encore plus dans sa vision de jeu ? C’est une qualité naturelle que l’on ne peut pas lui faire travailler. L’instinct est d’ailleurs la seule chose qu’on ne peut pas enseigner. La seule chose que je peux lui montrer, ce sont les mouvements et la coordination avec les autres joueurs. En assimilant les mouvements et les appels de ses coéquipiers, il peut utiliser plus efficacement son excellente vision du jeu. D’ailleurs, je pense qu’il l’a améliorée en changeant un peu sa position sur le terrain. Aujourd’hui, je suis même certain qu’il a une meilleure vision du jeu qu’à l’époque de Manchester. Il a compris très vite, en perdant un peu de sa vitesse, que sa vision du jeu allait pouvoir lui faciliter son adaptation dans un rôle un peu plus axial.
Pourquoi l’avoir replacé dans l’axe alors qu’à la base, c’est un ailier pur ? David n’a plus rien à voir avec le joueur qu’il était à Manchester. Ses caractéristiques ont changé, il est un peu plus lent, mais tactiquement et techniquement je pense qu’il est plus fort.
Il y a quatre ans, vous aviez raté sa signature de peu. Vous l’auriez fait jouer de la même manière qu’aujourd’hui s’il avait signé ? Selon moi, sa meilleure position, c’est au milieu de terrain. Il y a deux ans, nous avions également essayé de le faire venir à Milan, mais ça n’avait pas non plus marché. Aujourd’hui, je le fais jouer comme j’aurais voulu le faire jouer quelques années auparavant. C’est-à-dire dans un rôle un peu plus axial. Vu ses caractéristiques physiques, sa résistance, sa combativité et sa qualité de passe, c’est sa meilleure position sur un terrain.
Est-ce que David Beckham ne serait pas une sorte de Maldini anglais ? On peut dire ça. Ce sont des garçons intelligents, sérieux, professionnels, élégants, qui ne font jamais de polémiques dans un vestiaire. L’image que les gens ont de David Beckham est totalement fausse.
Est-ce que ce n’est pas à cause de sa femme justement ? Je le répète, l’image que les gens ont de David Beckham est totalement fausse.
Est-ce que l’arrivée de Beckham à Milan ne va pas lui donner une nouvelle crédibilité en tant que footballeur ? Son rêve est de participer à la Coupe du Monde 2010. Pour y parvenir, il vaut mieux évoluer dans l’une des meilleures équipes d’Europe, et dans l’un des championnats les plus difficiles du monde que dans un championnat peu réputé. Je pense que ce serait un désavantage pour lui de retourner au Los Angeles Galaxy.
Quelle image aviez-vous de lui avant de l’avoir sous vos ordres ? Je le considérais comme un bon joueur, mais pour moi, ce n’était pas un “top-class”. Aujourd’hui que je le connais un peu plus, je peux dire que c’est un grand joueur, vraiment très intelligent, mais personnellement je ne le considère toujours pas comme un “fuoriclasse” (grandissime footballeur), même s’il m’a conquis par ses prestations et son caractère.
Il y a trois Ballons d’Or à Milan. On dirait les Galacticos du Real… Je l’ai dit, chaque équipe a sa propre histoire. Nous ne prenons pas des joueurs en fonction de leur palmarès, ou de leur(s) Ballons d’Or, mais plutôt en fonction de leurs caractéristiques. Quand le Milan AC signe un joueur, c’est parce qu’il est bon et qu’il peut être utile à l’équipe.
Mais Ronaldinho et Sheva sont arrivés à Milan après des périodes très délicates… Dans une carrière de joueur, il y a toujours des hauts et des bas. Pour expliquer leur méforme, on peut toujours penser que l’ambiance dans laquelle ils étaient ne leur convenait pas. S’ils sont aujourd’hui à Milan, c’est aussi pour se remettre en question dans un nouveau cadre de vie.
Vous pensez vraiment récupérer Sheva ? Je n’ai pas de doute là-dessus. Ces deux dernières années ont été mauvaises pour lui. Il s’est blessé, puis il a eu des problèmes au dos, et quand il est revenu, il n’avait plus confiance en lui. Je suis persuadé que Shevchenko redeviendra celui qui a quitté Milan, car il a la volonté pour ça.
Après huit années passés sur le banc du Milan AC, vous n’avez pas l’impression d’avoir fait le tour de la question ? Ça ne vous intéresserait pas un nouveau challenge à l’étranger ? Tout est possible. Je ne pense pas encore vivre mes dernières heures à Milan. Le jour de dire « C’est fini » n’est pas encore arrivé.
Comment expliquez-vous votre longévité sur le banc des Milanais ? (sourire) Officiellement, c’est parce qu’il y a une belle histoire entre les dirigeants et moi, et qu’il y a une bonne ambiance au sein du club… C’est ce que je dois dire pour la version officielle. La réalité est toute autre. Si je suis encore là, c’est parce que j’ai des résultats, et uniquement parce que j’ai remporté des trophées.
Apparemment, vous êtes encore là parce que les joueurs aiment également être sous vos ordres… Ça je ne sais pas. Moi, j’ai du respect pour eux, et j’espère qu’ils en ont pour moi, mais ce serait présomptueux de ma part de dire que tous mes joueurs m’adorent. Pour moi, un entraîneur doit savoir être le plus naturel possible. Il faut être honnête avec les joueurs, ça ne sert à rien de jouer un rôle de petit chef. Vous savez, je me considère comme un membre de plus du groupe. Penser que je suis au-dessus ou différent d’eux serait une grave erreur de ma part. Alors même si c’est moi qui prends les décisions au final, j’essaie toujours d’être à l’intérieur du groupe, et pas en dehors. Pour qu’une équipe fonctionne, il faut qu’il y ait une harmonie totale entre l’entraîneur et les joueurs. Sans ça, il n’y a pas de communication, pas de progrès et pas de résultats. Sans les joueurs, l’entraîneur ne serait rien, c’est bête, mais c’est comme ça. Pour faire passer un message ou une philosophie de jeu, il faut des longs dialogues et des discussions franches. Je connaissais des entraîneurs qui imposaient leur point de vue sans s’expliquer, et de manière trop autoritaire : « Tu fais ça parce que je te le dis et basta ! » . Je ne pense pas que ce soit une bonne façon d’entraîner ou de faire passer un message aux joueurs. Au contraire… Je ne suis pas borné, et j’essaie au maximum de ressentir les vibrations, bonnes ou mauvaises, de mes joueurs durant la semaine. Si je vois qu’un de mes entraînements est mal compris ou ne stimule pas mes joueurs, je ne vais pas insister, j’en change et puis c’est tout.
Quel est l’entraîneur qui vous plait le plus actuellement ? (Sans hésiter) Hiddink ! Je ne le connais pas bien, j’ai parlé quelquefois avec lui, mais je trouve qu’il a un truc spécial.
Des produits “spéciaux” sans doute… Des produits ? Ah non… (Il hésite) Si ? Non vraiment je ne pense pas. (Carlo a une photo de lui avec Guus dans le vestiaire. On n’avait jamais remarqué, mais ils se ressemblent un peu, Ndlr).
Quel est l’entraîneur adverse qui vous a le plus mis en difficulté et comment ? (Grande grimace, puis il sourit) C’est vraiment très difficile pour moi de répondre à cette question, comme vous l’imaginez. Néanmoins, l’équipe souffre beaucoup lorsque Pirlo ne peut pas s’exprimer. C’est le cerveau de l’équipe, alors s’il est bien pris, tu imagines ce que ça donne.
Hiddink est arrivé à Chelsea jusqu’à la fin de saison. C’est vous son successeur chez les Blues ? (Il hoche la tête plusieurs fois) Non, vraiment pas.
On parle aussi de vous au Real… C’est pareil, c’est non, en tout cas, je ne suis pas au courant. (Sourire) Moi j’ai un contrat jusqu’en 2010 avec le Milan, et je suis quelqu’un qui respecte ses engagements. Néanmoins, je suis effectivement attiré par une expérience à l’étranger, mais je ne suis pas pressé. Après la Juve et le Milan Ac de toute façon, je n’aurai pas vraiment le choix. En Italie, je ne pourrai plus entraîner de clubs, c’est certain.
Part 1 de l’entretien avec Carlo Ancelotti
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