Bruno Derrien : «L’arbitre n’a rien d’une Cosette»

Y avait-il but pour Bordeaux sur le dernier corner en fin de match dimanche soir ?

Disons que c’est une micro-faute pour une maxi-conséquence. Des fautes comme ça, il y en a des dizaines par match. Mais là, l’arbitre est obnubilé par le duel sans regarder l’action. C’est dommage. C’est à ce genre de détail qu’on voit qu’il manque l’expérience des grands matchs dans l’arbitrage français.

L’arbitre de la rencontre (M.Gautier, ndlr) va-t-il être pénalisé pour cette erreur ?

Non, il ne risque rien ! C’est un arbitre jeune (31 ans) et prometteur,seulement trois saisons en Ligue 1 et 37 matchs au compteur. L’année prochaine, il sera dans les 3 premiers. Au dernier classement des arbitres, il était 5ème, une belle performance à son âge. Ceci dit, le premier avait 16,80 et le dernier 16,30/20… Ca n’a donc aucun sens, c’est du patinage artistique.

Et ce n’est guère mieux concernant le nouveau dada des arbitres : les mains dans la surface…

Grotesque. C’est un décret franco-français : nous sommes le seul pays dans le monde du football où désormais le caractère intentionnel n’est plus pris en compte pour juger de la main. Or la ligne officielle de la FIFA est claire à ce sujet, il n’y a main que quand il y a intention de faire main. Et les règles sont faites pour être appliquées partout…

Stéphane Bré a donc eu raison de ne pas siffler pénalty sur la main de Varrault samedi dernier (Saint-Etienne–Grenoble, 1-0) ?

Il n’a pas appliqué les consignes de la DNA (Direction Nationale de l’Arbitrage, ndlr) données par M.Batta aux arbitres. Le problème, c’est qu’il met dans l’embarras ses collègues. Mais, aujourd’hui, M.Bré, il est en fin de carrière, il s’est fait un nom, il ne risque plus grand-chose. Il a donc raison de déroger à la règle.

La solution ne serait-elle pas d’imposer une camisole à tous les défenseurs de Ligue 1 ?

Ou de leur attacher les mains derrière le dos ! Quitte à faire une entorse aux règles existantes…

Cette consigne sur les mains va-t-elle être tuée dans l’œuf ?

Comme toutes les fois où on tombe dans l’excès. Souvenez-vous en 2006, avec le fameux “nettoyage des surfaces”, les tirages de maillot sanctionnés de pénalty à tout-va. C’était le début du championnat également, un Sochaux-PSG. Tony Chapron, qui officiait ce soir-là, avait loupé le début de saison parce qu’il était blessé et donc il arrive hyper-motivé pour son premier match, il veut donner le ton. Et boum, ça ne manque pas ! Respect à la lettre des consignes et sanction de Yepes. La journée d’après, Stéphane Bré se dit qu’il va faire mieux que Chapron. Résultat, PSG-OM, un pénalty de chaque côté dès la première mi-temps. C’est de la surenchère bête et méchante. Mais ça s’est arrêté trèsvite. Ce n’était pas tenable. Avec le tollé général, ils vont vite comprendre que cette mesure leur fait du mal en réalité.

Les arbitres ne sont-ils pas un peu trop opprimés et asservis par ces nouvelles mesures chaque année ?

C’est tout le problème de l’harmonisation des règles. En France, on veutrobotiser l’arbitrage. Ce n’est pas forcément une bonne chose. Sur le terrain, un bon arbitre est justement celui qui exprime son libre-arbitrage (sic). Il ne faut pas enfermer les arbitres dans des carcans ! Bien sûr qu’il faut un minimum d’homogénéisation, mais la grandeur d’un arbitre vient aussi de cette part d’indépendance qu’il peut avoir.

Comment en est-on arrivé à une situation si compliquée dans la sphère arbitrale aujourd’hui ?

C’est une querelle d’hommes, une fois de plus. Tout le problème actuel vient de la nomination de Claude Colombo, qui a tout de même été 30 ans arbitre, dont 17 en première division. Il est représentant de la Ligue avec une voix consultative. Il a donc un pouvoir extrêmement limité, il ne vient pas pour mener la révolution ou pour nuire. C’est un mauvais procès qu’on fait à la Ligue. Quand j’entends parler d’une mainmise de la LFP sur l’arbitrage, je trouve cela absurde. Ne serait-ce que par les textes, jamais la Ligue ne pourra gérer l’arbitrage en Frace. Tout ce qui dépend de l’arbitrage est sous la responsabilité de la Fédération. La Ligue ne fait que payer en somme, et elle paye cher : 10 millions d’euros par an. Je comprends donc que la Ligue ait envie de donner une image positive à l’arbitrage pour ce prix-là.

Pourtant les relations sont vraiment tendues avec la LFP…

Mais, cette réaction des arbitres est totalement déplacée. Cela devienttotalement ridicule de taper sur la Ligue. Vous savez la condition des arbitres aujourd’hui n’est pas du tout à plaindre. Cet été, pour le stage de préparation, ils n’étaient pas à l’Etape Hotel de la Porte Saint-Ouen. Ils sont bichonnés, tant mieux, avec l’argent engendré par le football actuel, c’est normal d’être bien rétribué. Mais vous savez combien gagne un arbitre aujourd’hui ? 2 500 euros mensuel fixe, plus 2 000 euros de prime à chaque match et tous les frais extérieurs remboursés. Rajoutez à cela la prime à la retraite de 12 500 euros par saison arbitrée… Je ne crois pas que les arbitres soient des Cosettes dans le contexte actuel.

Le problème vient donc de la DNA ?

Le problème, ce sont les querelles de chapelle. Aujourd’hui, l’arbitragefrançais a plutôt besoin d’ajouter les talents. Cela fait combien de temps qu’un Français n’a plus arbitré de finale européenne ? Or on constate que les plus grands arbitres –prenez Veissière, Sars, Quiniou– sont en dehors de la gestion de l’arbitrage. La DNA est un microcosme contemplatif, empli de paranoïa, qui voit des complots partout. C’est la problématique du moment : Colombo est reconnu pour ses compétences, donc c’est un danger pour la DNA.

Que faudrait-il selon vous pour sortir l’arbitrage de toutes ces polémiques ?

Une autorité forte, respectée et entendue. Vous avez entendu M. Batta depuis le début de la crise ? Il est où ? C’est un vrai problème. Il faut de la fermeté face à ce type de réaction. Si l’arbitre est chargé de faire respecter l’autorité sur le terrain, il devrait d’abord commencer par respecter son autorité de tutelle. Aujourd’hui, ils sont plus forts pour signer des pétitions que pour aller arbitrer. Quand on est arbitre, on a des droits certes mais on a aussi des devoirs, et notamment celui de signer les feuilles de match. C’est comme si la police refusait de signer un PV. Au nom de quoi ? Si j’étais président de la Fédération aujourd’hui, j’arrêterais les stages d’arbitres, puisqu’à chaque fois cela se transforme en réunion syndicale.