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Barry Copa, au bout du rêve

Par Christophe Gleizes & Émilien Hofman
Barry Copa, au bout du rêve

Samedi, il était au plus bas, unanimement critiqué et insulté par tout un pays. Entré ce dimanche dans la légende, Barry Copa peut aujourd'hui raccrocher les gants avec la satisfaction du devoir accompli, vingt-trois ans après le miracle Alain Gouaméné. Au bout du rêve, une étoile est née.

Notre destin a ceci d’excitant et d’inquiétant qu’il n’est jamais tout tracé. De zéro à héros, il n’y a parfois qu’un pas à franchir ou un but à marquer. À l’instant même où sa frappe s’est figée dans la lucarne, et qu’il a compris ce qui arrivait, la vie de Boubacar Barry Copa a basculé. Tandis qu’il communiait au milieu de la foule, le monde s’est effacé dans une apesanteur suave et onirique, à faire oublier les crampes et les critiques. Vingt-trois ans après, la Côte d’Ivoire renouait avec le succès, grâce à lui, l’héritier d’Alain Gouamené. C’était si beau pour être vrai qu’il n’a pas su retenir ses larmes au moment de parler : « Je ne suis pas grand, ni par le talent, ni par la taille. Mais j’ai toujours voulu travailler et progresser. (…) Ma maman souffrait. (il pleure) Merci à elle, merci à tous les Ivoiriens. Le foot m’a permis de voyager, il n’y a pas de place pour tout le monde ; mais il y a la place pour le travail. Dieu m’a récompensé. »

« Je lui ai dit d’attendre son heure »

Certes, pour que l’histoire se reproduise exactement à l’identique, il fallait bien une intervention divine et millimétrée, tandis que le Ghana avait fait le break et qu’une défaite se profilait. « On y a cru jusqu’au bout » a expliqué après coup Hervé Renard, auréolé de son deuxième sacre africain d’affilée : « Juste avant que Copa ne frappe le penalty, j’ai dit aux autres qu’un gardien qui a travaillé avec Jean-Marc Guillou est capable de tirer… » Formé à l’académie Mimosifcom, l’excellent centre de formation de l’ASEC Mimosas, Boubacar Barry Copa est l’un des derniers vestiges de la génération dorée de Drogba et Zokora. À l’origine, il se destinait à une carrière de joueur de champ, mais c’est le technicien français qui l’a finalement installé au poste de gardien de but, où sa détente impressionne. Pendant sept ans, ce dernier va le polir et le former, en plus de son idole Alain Gouamené, qui l’entraîne alors dans les différentes sélections nationales de jeunes : « C’est un joueur que j’ai couvé, il était impatient de jouer et d’être titulaire. Mais je lui ai dit d’attendre son heure. »

Lors d’une tournée en France en avril 1997, le destin sinueux de Boubacar prend un premier tournant. Inspirée, l’Académie Mimosifcom remporte un match face au centre de formation rennais, lors duquel le jeune gardien se fait remarquer. Trois ans plus tard, il est finalement engagé en Ille-et-Vilaine. « À l’époque, Gérard Le Fillâtre, manager du club, m’avait dit d’aller voir les jeunes de Guillou, que je connaissais personnellement. C’était une promotion de grands talents, avec Kolo et Yaya Touré, Baky Koné, Arouna Koné… Et puis il y avait ce gardien » , se souvient avec amusement Patrick Rampillon, le directeur du centre de formation breton : « Ce n’était peut-être pas le plus gros potentiel de la génération en question, mais son jeu au pied pouvait intéresser le Stade rennais, et c’est pour ça qu’on l’a fait venir. Ça correspondait à nos besoins. » Las ! Successivement barré par la concurrence de Bernard Lama et de Petr Čech, la jeune recrue ne disputera pas un match sous ses nouvelles couleurs en deux saisons. « Il avait très certainement fait valoir des qualités, mais n’avait peut-être pas la dimension Ligue 1 » , estime son recruteur avec le recul, avant de préciser : « Cela ne l’a pas empêché de faire une belle petite carrière. »

« Il amène énormément dans le vestiaire »

Celle-ci se dessine alors hors de France. Pour renouer avec les terrains, le portier ivoirien s’engage en 2003 à Beveren, en Belgique, où il est prêté. S’affirmant comme un dernier rempart fiable et régulier, Barry Copa récupère ses sensations et convainc ses dirigeants de lui signer un contrat longue durée. Une fois ce dernier terminé, il s’engage finalement en 2007 avec le club flamand de Lokeren dans l’optique de poursuivre sa progression. Un pari gagnant ! Étincelant, Barry Copa est sacré meilleur gardien de but de la League en 2009 avant de remporter coup sur coup ses premiers titres en Coupe de Belgique, en 2012 et 2014. « C’est une icône, ça fait tellement longtemps qu’il joue ici » , assène son coéquipier belge Denis Odoi, sous le charme d’une personnalité qui fait l’unanimité outre-Quiévrain : « Tout le monde a du respect pour Boubacar. Le mec a quand même joué deux Coupes du monde, il a beaucoup d’expérience dans les matchs ou les moments difficiles. C’est une très bonne personne, avec beaucoup de respect pour tout le monde, qui nous amène énormément dans le vestiaire. »

En cause, une personnalité attachante, à la fois humble et spontanée. « Il est très croyant, c’est un exemple pour les musulmans de notre équipe qui parlent beaucoup avec lui. Il dit beaucoup de phrases spirituelles qui sont très portées sur le côté humain, et ça parle à tout le monde, musulmans ou pas, ça n’a pas d’importance pour lui » , détaille Denis, bientôt secondé par son ancien coéquipier Ivan Leko : « Il sourit tout le temps, mais c’est un grand professionnel. C’est le genre de gars qui peut amener de l’intensité à une équipe tout au long de la saison. Il adore faire des blagues pour détendre l’atmosphère, mais une fois sur la pelouse, c’est une autre personne, extrêmement concentrée. » Pour le milieu croate, pas de doute, le sympathique et emblématique portier de Lokeren « aurait pu connaître une très belle carrière hors des pelouses belges » , au plus haut niveau européen : « À chaque fois qu’il a rejoint l’équipe nationale ivoirienne, il a toujours bien joué. Il a montré plusieurs fois aux CAN et à la Coupe du monde qu’il avait le niveau pour évoluer dans une grande compétition. »

« S’il s’était raté, il ne mettait plus le pied au pays »

En réalité, depuis sa première en 2001, le portier ivoirien a connu un bilan mitigé au gré de ses 86 sélections. Remplaçant lors de la Coupe du monde 2006, il joue celle de 2010 en tant que titulaire et parvient à préserver ses cages contre le Portugal et la Corée du Nord. De retour en force lors de la CAN 2012, il échoue de justesse en finale face à la Zambie aux tirs au but, sans avoir pourtant encaissé un seul but dans le jeu sur l’ensemble de la compétition. Pas mal, mais globalement insuffisant pour conquérir le cœur exigeant du public ivorien, impatient face aux contre-performances de la génération dorée. « Il a été violemment critiqué et insulté en Côte d’Ivoire » , regrette Alain Gouamené, le héros de la finale 1992. « Quand on perdait, on ne disait pas que l’équipe était mauvaise, mais que Coppa Barry n’était pas au niveau. C’était toujours lui. S’il s’était raté aujourd’hui, il ne mettait plus le pied au pays. » Seul contre tous, Barry Copa a profité de ce dénouement épique pour redorer son blason et prendre la plus belle des revanches, à 35 ans bien sonnés.

Le plus amusant dans tout ceci reste encore qu’il n’aurait jamais dû jouer. Depuis quelque temps, Boubacar avait en effet perdu sa place de titulaire en sélection au profit de Sylvain Gbohouo, le gardien phare du Sewé San Pedro. C’est une blessure la veille à l’entraînement qui aura finalement décidé du moment. L’occasion fait le larron. « Dans cette finale, il a fait ce qu’il fallait. C’est lui qui ramène le trophée, c’est un beau pied de nez à tout le monde. Il le mérite, je suis content pour lui » , savoure Alain Gouamené, qui avait réalisé le même exploit lors du premier sacre légendaire des Éléphants dans la compétition, déjà face au Ghana. À ceci près que lui n’avait pas simulé les crampes avec autant de talent… « On retrouve de sa personnalité dans son attitude, à la fois décontracté et très concentré sur son sujet » , décrypte Patrick Rampillon, impressionné par le numéro d’acteur : « J’avais recruté le footballeur, tout en étant très attentif à l’individu. C’était quelqu’un qui avait envie de réussir sa vie, avec le football pour tremplin. Son état d’esprit, sa mentalité, son éducation, il les avait avant, mais ça a été gonflé avec l’apport du foot. Je suis content pour lui, c’était un bon gamin. »

« Il s’est rendu compte que c’était le moment clef »

Si elles ont sans doute perturbé les tireurs, l’intention première de ces simulations reste encore à prouver. « Connaissant Boubacar, il est tellement peu préparé à tirer un penalty de cette importance qu’il a peut-être cherché à gagner du temps pour se concentrer » , rigole Ivan Leko, heureux d’avoir vu son ami vaincre ses démons pour accomplir sa destinée : « Il s’est rendu compte que c’était le moment clé de la finale et de sa carrière » . Dans un stade interdit, à l’instant décisif où basculent les légendes et se forgent les épopées, Boubacar s’est concentré sur la dernière action de sa vie. « Quand un rêve se répète, c’est qu’il cherche son interprète, celui qui lui permettra de s’accomplir dans une relation concrète avec le monde » expliquait le psychologue Tobie Nathan. Alors, décidé comme jamais, Barry s’est relevé et s’est rapproché du ballon au point de penalty. Quand il a ouvert son pied pour tirer, peut-être savait-il déjà qu’il allait marquer l’histoire de son pays. Parfois, le monde se répète avec une telle perfection qu’il laisse songeur. Mais c’est sans doute une phrase de rêveur.

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Par Christophe Gleizes & Émilien Hofman

Tous propos de Patrick Rampillon tirés de 20 minutes, ceux de Alain Gouaméné recueillis par CG, et ceux de Ivan Leko et Denis Odoi par EH.

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