3615 code G 14
Un proverbe africain dit : « Tant que les lions n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse continueront de glorifier les chasseurs.» C’est sur la base de ce postulat qui invite à la construction et à l’action que s’est mis en place en septembre 2000 un bien curieux groupement répondant au nom de code de : G-14[1]"The voice of the clubs".
Les plus mauvaises langues qui ne voient dans le football moderne que la pire expression du capitalisme ont très vite estimé que ce groupement d’entrepreneurs conquérants n’était qu’un nouveau lobby, un instrument de communication stratégique, visant à mettre en phase des objectifs de management et des décisions politiques, sur la base de dossiers techniques, comme on dit dans les cercles restreints, qui ont pour but de faire comprendre à des législateurs que la somme d’intérêts privés ferait l’intérêt général.
Pour les plus pragmatiques, le G-14 c’est une institution qui en veut à mort à l’UEFA. Car on peut être pragmatique et trivial à la fois. Le club belge de Charleroi qui réclame devant le tribunal de commerce siégeant de ladite ville la somme de 1,25 millions d’euros à la FIFA en dédommagement de la blessure en sélection de son milieu de terrain Abdelmajid Oulmers ; l’Olympique Lyonnais qui revendique devant le Tribunal de Grande Instance de Lyon pareille demande pour une somme différente pour la blessure d’Eric Abidal sont par exemple soutenus par le G-14.
Mais au fait, le G-14, « The voice of the clubs », c’est quoi ? Des exemples valant mieux que de longs discours, nous avons pris la peine de nous rendre sur le portail internet de « The voice » (www.g14.com). Au-delà d’une présentation graphique aux dominantes bleues, du triomphe assumé de l’anglais, c’est le kit de presse, dans sa version française, qui retient toute l’attention. En quatre pages de textes à la gloire du groupement et de deux organigrammes, « The voice » explique aux paresseux, aux languides, bref aux feignants, sa raison, sa nécessité, sa pertinence, son rôle de chevalier Bayard qui serait confronté à la terrible Union européenne de Football Association (UEFA) soutenue par la non moins dangereuse Fédération mondiale, la FIFA.
Car « The voice » c’est un peu Cosette qui aurait gagné à Euromillions mais serait restée cette petite malheureuse opprimée. Tout ce qui va suivre est authentique. A l’origine de l’histoire, c’est le constat d’un drame. « Les plus grands clubs de football européens » ont découvert dans les années 90 « qu’ils partageaient un certain nombre d’objectifs et devaient relever les mêmes défis » . « Véritables créateurs de richesses, pierres angulaires du système » les futurs membres de « The voice » ont alors eu à cœur de résoudre « les problèmes inhérents à cette absence de représentation directe. » C’est ainsi qu’en septembre 2000, « quatorze clubs créèrent le groupement européen des clubs de football(G-14), groupement européen d’intérêt économique enregistré à Bruxelles et premier organe mondial à représenter les clubs. »
Dès le début le ton est donné. « The voice » : ce sont aujourd’hui dix-huit résistants qui sont décidés à dire ce qu’ils pensent du système qu’ils font fonctionner. Car volonté valant mieux qu’espérance et action valant mieux qu’utopie, le G-14, « légitime voix des clubs » a pour objectif de « faire en sorte que ses 18 membres participent en toute transparence au processus décisionnel des instances du football. »
A en croire « The voice », il y aurait donc des oppresseurs, des despotes qui légiféreraient sur le football (Fédérations nationales et leurs représentants continentaux) sans donner la voix aux entrepreneurs qui sont le charbon de la machine, résistants opprimés, éloignés d’un système qu’ils font pourtant vivre. Le message est limpide. « Jusqu’à présent les institutions n’ont jamais écouté ni associé les clubs à la prise de décisions ayant des répercussions sur la situation financière et de gestion de ces derniers, ainsi que sur la mise à disposition des joueurs pour les rencontres opposant les équipes nationales. »
C’est cela qui justifie l’existence de « The voice », organe dont l’unique ambition est de redonner le pouvoir aux clubs riches qui mettent à disposition leurs joyaux à la face de l’Europe lors de la Ligue des Champions de l’UEFA et se partagent les recettes générées par les droits audiovisuels, ou encore ceux qui supportent l’indisponibilité des joueurs blessés en sélection nationale et qui devraient recevoir un dédommagement. Le G-14 parviendra t-il à ses fins ? Pour l’instant « The voice » ne porte pas loin son dicours. « The voice » sans voix ?
Ce n’est pas le 30ème congrès ordinaire de l’UEFA qui s’est tenu à Budapest fin mars 2006 qui donnera une réponse favorable à ses revendications. Les esclaves ou prétendus tels ne seront pas affranchis si facilement. Lennart Johansson (le Président de l’UEFA) a rappelé que le football professionnel a besoin d’instances régulatrices comme les associations sportives nationales, mais aussi d’autorités sportives supranationales même si « un petit groupement de clubs bafouait les principes démocratiques. » Car pour l’UEFA, qui soit dit en passant a déjà cédé à « The voice » en créant cette machine à euros qu’est la Ligue des Champions, il s’agit désormais de revenir à l’idée que le football a une nature particulière. Pour Lennart Johansson le football n’est pas une activité économique comme les autres. Il convient de combler le fossé entre les points de vue et d’éviter « des recours de plus en plus fréquents devant les tribunaux civils, le plus souvent dans le cadre d’affaires financières. » Selon l’UEFA il s’agit de ne pas tomber dans le piège proposé par « The voice » de ligues fermées mais de croire « aux valeurs d’un modèle européen du sport, avec des compétitions ouvertes basées sur un système de promotion et de relégations, laissant une place décisive aux résultats sportifs. » Et d’ajouter : « De quel droit, par exemple, les membres d’un petit groupement de clubs peuvent-ils bafouer les principes fondamentaux de la démocratie en se déclarant pompeusement, le voix des clubs ? » ou encore que la philosophie de l’UEFA « n’est pas partagée par le G-14, un groupe autoproclamé des clubs les plus riches. »
Sur le fond, les principes proclamés par l’UEFA sont justes. Il est évident que le football n’est pas une activité économique ordinaire. C’est presque une tarte à la crème que de dire que les clubs sont des groupements particuliers qu’il faut éviter de pousser vers le fossé qu’est par exemple la bourse. C’est rabâcher que constater que la gestion des clubs doit être encadrée. Et pourtant. Comme au moment de l’affaire Bosman, l’UEFA ne sait, et malheureusement ne semble pouvoir, que réagir par la force, la contrainte, les avertissements, les déclarations solennelles. Parce qu’elle a cédé, il y a trop longtemps déjà, à la couleur des dollars, l’UEFA ne peut sérieusement critiquer la douleur des euros. La politique de conquête de nouveaux marchés initiée par la FIFA (par exemple les coupes du monde aux Etats-Unis et en Asie), la création de la Ligue des Champions dans sa forme actuelle, ont décuplé les appétits.
L’UEFA joue aujourd’hui les vierges effarouchées et s’étonne que ses monstres lui échappent. C’est l’arrogance et le mépris réunis qui ont conduit à l’arrêt Bosman. C’est la négociation qui a ouvert les appétits. L’UEFA se trouve aujourd’hui dans la double position du bourreau et de la victime. Elle n’a raison que sur le seul terrain de la régulation : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » (Lacordaire)
Jean-François BORNE
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