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Tactique : l’Angleterre, reine du bouclier

Par Maxime Brigand
8 minutes
Tactique : l’Angleterre, reine du bouclier

Battue en demi-finales du Mondial 2018, l’Angleterre a su affiner son approche pour arriver à cet Euro avec un plan capable d’éteindre n’importe quel adversaire et de maîtriser en permanence le rythme de ses rencontres. De cette question de tempo dépendra également la montée de la dernière marche face à l’Italie, dimanche.

Quel bruit fait l’histoire qui bascule ? Un boucan terrible, porté par de vieux classiques – Sweet Caroline et Football’s Coming Home – installés de force depuis quelques jours dans les cervelles et imagé par des types à gorge déployée et tous tétons dehors. Mercredi soir, Wembley, rouvert en 2007, a sans aucun doute connu la plus belle nuit de son histoire moderne, et il fallait pourtant voir, en contrebas, Gareth Southgate marcher tout en calme et en maîtrise entre les vagues, sans doute conscient d’avoir réussi un nouveau tour de force dans un Euro qui restera comme celui où l’Angleterre est enfin parvenue à faire exploser un plafond de verre contre lequel elle s’est tant de fois fracassé les dents. Ce qui nous amène au plan de bataille du dresseur des Three Lions : un plan déplié depuis le début de la compétition et qui voit l’Angleterre, quatrième du Mondial 2018, éteindre un à un des adversaires à qui elle ne concède quasiment rien. Preuve ultime, le Danemark, arrivé dans le dernier carré avec la comeilleure attaque de l’Euro et l’étiquette d’équipe qui frappait le plus au but du tournoi (85 fois avant d’affronter l’Angleterre), est reparti de Londres avec une fiche offensive rabotée : 6 tirs (3 cadrés), dont un seul effectué dans la surface anglaise, et un but – le premier concédé par les Anglais depuis le début de l’Euro – marqué sur un exploit individuel (un coup franc de Damsgaard). Là est évidemment la première réussite de Southgate dans cet Euro, lui qui a fait de son gang, au risque d’engendrer des frustrations, une formidable machine à contrôler les secousses adverses.

Du pourquoi de la possession

Au fond, Gareth Southgate se fiche des frustrations, et dimanche soir, si l’Angleterre s’embrase pour fêter le deuxième titre international de son histoire, plus personne au pays ne trouvera quelque chose à redire à l’approche tout en calcul de son sélectionneur, d’autant plus que les Three Lions ont su ajouter progressivement au fil de leur parcours des ingrédients à leur recette pour être capables de jongler efficacement entre les différentes hauteurs de bloc. Tout ça n’a évidemment rien d’un hasard et vient de loin, notamment d’un travail d’analyse réalisé par Southgate lors de l’Euro 2016 dans un rôle d’observateur technique pour le compte de l’UEFA. De son voyage en France, celui qui était alors aux commandes des Espoirs anglais avait alors ramené un paquet de notes sur l’importance des phases arrêtées ou sur la nécessité de marquer en premier lors de la phase de poules, mais aussi une grande réflexion sur la possession de balle.

Voilà ce qu’il avait alors écrit dans son rapport : « Durant cet Euro, nous avons vu un pourcentage plus élevé d’équipes qui n’ont pas réussi à gagner en ayant la possession. Nous devons nous demander pourquoi nous voulons dominer la possession. Pour certaines équipes, c’est pour marquer des buts. Pour d’autres, avoir la possession permet de mieux défendre, de se reposer avec le ballon, de contrôler le jeu plutôt que de réellement progresser et marquer avec. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise approche, juste des approches différentes. La seule chose claire, c’est que la possession n’est pas une garantie de gain. » Durant cet Euro, l’Angleterre, qui affiche un taux de possession moyen de 53,7% (le 6e du tournoi), a jusqu’ici utilisé la possession pour deux choses : maîtriser le rythme de ses rencontres et se protéger, parfois avec excès, en installant souvent de nombreux joueurs derrière le ballon (les latéraux montent rarement ensemble et la paire Rice-Phillips ne sort de sa zone que sur de très rares séquences) afin de se prémunir face à d’éventuelles pertes. Jusqu’ici, ça a toujours payé.

Exemple face à l’Ukraine de l’approche très calculée de l’Angleterre avec un duo Rice-Phillips souvent placé devant le bloc adverse et des latéraux qui s’astreignent à ne pas apporter le surnombre au même moment.

Le refus de l’emballement, Sterling en pétard

L’idée ici est évidemment de ne jamais laisser la rencontre s’emballer, de casser l’élan du pressing adverse et d’étouffer progressivement les matchs, ce que l’Angleterre a également pu faire en n’étant menée qu’une fois dans le tournoi – neuf minutes face au Danemark – et en marquant parfois (contre l’Ukraine et la Tchéquie) très rapidement, le score jouant un rôle psychologique éminemment décisif. Autre élément central de cette approche : dans cet Euro, les Three Lions, qui ont su resserrer leurs boulons après le Mondial à la suite de quelques sorties qui avaient alerté Southgate (notamment une victoire 5-3 face au Kosovo et la défaite en demi-finales de la Ligue des nations contre les Pays-Bas, deux matchs disputés en 2019), cherchent avant tout à éviter l’intérieur et à contourner leurs victimes afin de limiter les pertes de balle dans des zones potentiellement mortelles. La suite du plan avec ballon appartient aux quelques éléments créatifs du onze.

C’est là qu’un joueur s’élève en patron de la meute au cours de ce championnat d’Europe. Il s’agit évidemment de Raheem Sterling, meilleur dribbleur de l’Euro (19 dribbles réussis, soit 7 de plus qu’Alexander Isak, Dani Olmo et Kylian Mbappé, ses dauphins), deuxième meilleur buteur anglais du tournoi et élément brillant pour conserver le ballon sous pression lorsque le jeu le demande, d’où son maintien sur la pelouse lors de la prolongation de la demi-finale plutôt que celui de Jack Grealish. Harry Kane, l’autre tête pensante du secteur offensif de Southgate, a tardé de son côté à entrer dans son Euro, mais a sorti son nez une fois la phase de poules passée, soit quand l’Angleterre a accepté de se livrer un peu plus afin de faire basculer du bon côté les rencontres à élimination directe. Face au Danemark, Kane s’est ainsi allumé après l’ouverture du score de Damsgaard et a enfilé avec brio son costume de faux 9/10 dans un rôle comparable à celui joué par Olmo avec l’Espagne la veille contre l’Italie. En cessant de décrocher avec excès dans son camp pour exister, le joueur de Tottenham a été de tous les circuits offensifs de son équipe et a même eu, à certains moments, un masque debruynesque.

Lors de la séquence de l’égalisation face au Danemark, Kane décroche au milieu du double pivot danois et se retrouve dans une position de faux 9…

… il peut ainsi faire parler sa qualité de passe supérieure pour trouver Saka dans le dos de Vestergaard.

Quand on ajoute à ces deux ampoules la science des appels du jeune Saka, le talent des entrants (Sancho, Foden, Grealish, Rashford) et la parfaite gestion des phases arrêtées offensives pour libérer Maguire, l’Angleterre n’a souvent pas eu besoin d’ouvrir trop de brèches pour faire la différence. Il faut même noter que les hommes de Southgate, qui se plaît à justifier son approche en répétant « ne pas jouer aux jeux vidéo » (un argument également souvent apporté sur la table par Didier Deschamps), en ont ouvert plus que d’habitude lors de leur demi-finale (20 tirs, dont 15 dans la surface avec des centres qui trouvaient quasiment toujours preneur). Questionné après la rencontre, Kieran Trippier a été clair : « Avant la prolongation, le coach nous a simplement dit : « Nous jouons bien, nous sommes dans une bonne position, il faut être patient avec et sans ballon… Notre chance va arriver. » C’était aussi simple que ça. Il nous a demandé d’être courageux, et je trouve que tout le monde l’a été. C’est difficile de trouver les mots pour dire à quel point tout le monde travaille chaque jour… »

Reste une ultime marche à franchir pour une sélection qui a eu la joie de disputer la quasi-intégralité de ses rencontres dans son salon. Avant de défier l’Italie, plusieurs questions se posent : l’Angleterre voudra-t-elle encore le contrôle du ballon ou assumera-t-elle de vivre sans en misant sur son organisation défensive royale depuis le début de l’Euro dans sa gestion des airs (Maguire n’a perdu que 2 duels aériens et affiche un 89% de réussite dans l’exercice), de la profondeur (grosse mention à Walker) et des espaces entre les lignes avant de plonger dans les espaces laissés en transition ? De son côté, l’Italie cherchera-t-elle à chasser haut – elle semble avoir tout intérêt à le faire – pour appuyer sur la faiblesse au pied de Pickford (38,7% de passes réussies face au Danemark, dont 17,6% dans le camp adverse) au risque de s’ouvrir comme face à l’Espagne et de souffrir des décrochages de Kane dans le dos de Jorginho, puis des lancements en profondeur du capitaine anglais dans le dos des latéraux adverses ? Seule certitude : Southgate, qui a passé au peigne fin les succès du Portugal en 2016 et de la France en 2018 pour en tirer la conclusion qu’une grande compétition se gagne avant tout à la force de son bouclier, ne prendra pas le risque de perdre le contrôle du tempo et de se lancer dans une rencontre de ping-pong dont ses hommes, qui ne sont ni les plus rapides ni les plus forts, mais certainement les plus fonctionnels, pourraient sortir perdants. S’il réussit ce pari de la maîtrise du temps, le boucan pourrait de nouveau être au bout de la nuit.

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Dans cet article :
Gareth Southgate n’exclut pas d’arrêter sa carrière d’entraîneur
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