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Pourquoi « Passement de jambes » est la meilleure chanson sur le foot jamais écrite ?

Par Paul Bemer
7 minutes
Pourquoi « Passement de jambes » est la meilleure chanson sur le foot jamais écrite ?

Il y a vingt ans, Doc Gyneco lachait cette bombe qu'est Passement de jambes sur l'album « Première consultation ». Un titre qui n'a pas pris une ride et fait toujours office de référence en matière de foot et rap. Jusqu'à s'imposer comme le meilleur son jamais écrit sur le sujet ? Peut-être bien que oui...

Histoire de ne pas en mettre partout, il convient d’abord de cadrer le débat. Bien que le Docteur ait clamé haut et fort qu’on pouvait le classer dans la variet’, dans les bacs de la Fnac, c’est bien au rayon rap que l’on peut tomber sur les yeux fatigués du plus funky des gynécologues. Et puisque d’autres boîtes en plastique éparpillées aux quatre coins du magasin contiennent également quelques pépites mêlant mélodie et football – comme, au hasard, The Rainbow Choir – c’est donc face à ses collègues rappeurs français que Passement de jambes du Doc Gynéco doit être passé au révélateur.

Basile, Michel et Jean-Pierre

Sortie le 15 avril 1996 sur l’album « Première Consultation » , la piste 4 fait d’emblée office de bombe atomique. De mémoire de MC franchouillard, Passement de jambes est la première chanson consacrée entièrement au football. Entièrement ou presque. Car derrière sa tchatche brossée, ses mots cadrés, son Ballon d’or, son micro d’or, son Soulier d’or et ses disques d’or, le Doc s’adonne en fait à un exercice largement répandu chez les rappeurs : l’ego trip. Mais là où l’idée devient géniale, c’est qu’en illustrant son envie de faire comprendre à tout le monde qu’il est au sommet du « rap jeu » , Gynéco nous replonge aussi dans nos rêves d’adolescent. Dans la nostalgie de cette carrière qui nous tendait les bras. Lorsque parfois, après un grand match de cour d’école, une qualification pour la finale départementale ou un simple petit pont sur un « plus grand » à l’entraînement, nous nous rêvions en future grande star du ballon rond capable d’enfiler les pions comme des perles. D’ailleurs, c’est ce qui est pratique avec la nostalgie, elle embellit tout. De la véritable valeur de votre enroulé intérieur du pied à la simple évocation d’un Rummenigge, d’un Bebeto, ou d’un Mark Landers. Tout paraît bien plus fort et intense. Mais réduire le morceau à ce constat aussi simplet qu’un banal « le rap, c’était mieux avant » serait lui faire offense. Pendant que Boli, Platini et Papin poinçonnaient leur billet pour le panthéon du football, Passement de jambes est, lui aussi, devenu un monument historique de notre patrimoine musical. Vingt ans après, le titre tourne toujours dans les têtes comme sur les platines des mélomanes du ballon. Et ça, le Doc’ himself croit savoir pourquoi. « Les années ne comptent pas pour certaines choses. Chanel n°5 par exemple, ça existe depuis 1900 !, se marre-t-il dans le dernier SoFoot. Il y a une époque charnière dans tous les milieux : la mode, c’était vers 1900, pour le rap, ce sont les années 90. »

Les fils du Doc’ ?

Depuis, la Coupe du monde 98 et l’avènement de Skyrock sont passés par là. Le rap s’est mué en « sous-culture » – « d’analphabètes » comme aime le préciser Éric Zemmour – et le foot en enjeu politique. Dès lors, normal que d’autres acharnés de la rime se soient engouffrés dans la brèche. Avec plus ou moins de réussite, et dans des styles bien différents. Une revue d’effectif de la descendance qu’il convient de diviser en plusieurs groupes. Tout d’abord, ceux qui ont respecté l’exercice en versant également dans l’ego trip. Booba en tête. Si B20 est capable de rimes comme « Mitraillette, semi-auto à la baraque. Passement de jambes, frappe d’enculé à la Chamakh » , ses deux titres que sont Milan AC et N°10 restent à mi-chemin entre le clash et l’auto-promo, légèrement saupoudrés d’une poignée de références au football. Tout comme son ennemi intime, Rohff, qui, lui, s’est offert en plus un petit featuring avec la Benz’ sur Fais-moi la passe. Un peu plus au sud, on retrouve le rappeur marseillais né à Reims, El Matador. Un homme qui, outre son Ballon d’or, a consacré un morceau à la gloire de Brandão. Morceau choisi, donc : « J’suis ptet pas bon, mais j’marque des buts. J’suis ptet pas beau, mais j’baise des putes. Les défenseurs qui m’chargent se prennent des doigts dans le ‘uc. C’est plus du foot c’est de la lutte, ah, tu vois le truc… » Vaste programme.

Ensuite, il y a ceux qui préfèrent utiliser la métaphore pour décrire la puissance de leur quartier, de leur ville ou de leur département. Kery James bien sûr, et son 94 c’est le Barça où Wiltord, Martin, Mavuba, Fanni, Souley Diawara et Luis Fernandez squattent le clip. Mais également son cousin méconnu 91 c’est le Bayern, remixé par Rabakar. Sans oublier Sinik, l’autre fils de l’Essonne, qui tente un « Pour pas glisser, ce soir, j’ai mis les vissés. Dégage de mon équipe, t’as le cancer des pieds à Cissé » dans son 4-4-2. Et puis, il y a le Parisien Kennedy, qui se paye Nico Anelka sur Mouille le maillot : « Si j’avais eu la chance de faire partie des 23, j’aurais mouillé mon maillot, pas comme ce connard d’Anelka. » Voilà qui est dit.

Passer à côté des MC qui dédient un son à leur club de cœur serait également une erreur. Bon, ok, pas avec le PSG Clic Clic d’Alibi Montana. Mais plus avec le En avant les Marseillais sur la compil’ OM All Stars, ou le fameux Nissa de Kaotik, dans lequel on peut entendre : « On a quitté le stade du Ray pour plus de place à l’Allianz Riviera. On n’oubliera jamais ces matchs mythiques qui ont bâti Nissa. » Ou encore avec La crinière du Lion de KLX, un tube qui magnifie le FC Sochaux. Rien que ça.

Et puis il y a ceux qui rappent en hommage au ballon rond, tout simplement. Et au sens large. Passons (très) rapidement sur le Victory de Soprano pour arriver directement au collectif IV My People, où Kool Shen, Alcide H, Exs et Salif tentent de conseiller la jeunesse qui rêve de centres de formation dans C’est pour toi qu’tu joues. La chanson Rooney d’Akhenaton aussi, qui est en fait une ode à la gloire de PES, et surtout cet OVNI déniché au fin fond du deep web dont le titre est aussi concis que précis : Loïc Rémy.

Et si, au fond, le succès était aussi simple qu’un bon jeu de mots avec le patronyme d’un footeux ? C’est en tout cas ce qu’aimerait bien prouver REDK dans son Simple Constat 5 tourné dans un five : « Mais je ferai remarquer que les vrais connaisseurs sont ceux qui avant la Coupe du monde ont aimé Jacquet. » Ou encore l’habitué des Rap Contenders, Dinos Punchlinovic, qui, non content d’avoir tourné son clip à l’arrache devant les barrières du Parc des Princes, a pondu quelques belles punchlines comme : « L’Angleterre est dans la merde si Wayne se casse le pérooney » , ou « Certains joueurs se noient dans la beuh. Manquerait plus que la beuh noie Pedretti. » Du lol, quoi.

Vidéo

Bref. Après avoir écouté tout ça, on se dit que, vingt piges plus tard, les lyrics et le flow de Gynéco sont toujours aussi fluides et aériens. En fait, il n’y a guère que le Doc’ lui-même qui a pris quelques rides. Quelques kilos aussi. Et quarante et un printemps qui ne l’empêchent pas de continuer à tenter « le coup franc magique de Michel Platini » sur les terrains de l’ES parisienne tous les dimanches matin. « C’est du sérieux. Pour le coach, si tu ne viens pas aux séances, tu ne joues pas. Je n’ai pas de statut VIP. Je suis souvent sur le banc parce que je n’ai pas la condition pour jouer quatre-vingt-dix minutes. Sinon, je joue en pointe ou ailier droit. Je sais qu’il faut être rapide à ce poste, et moi, je suis un faux lent. » Depuis toujours.

Aurait pu être cité dans la revue d’effectif : Vaudeville Smash – Zinédine Zidane. Pour le clip, et parce qu’en matière de flow, on est presque sur du rap. Ou pas.
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Par Paul Bemer

Propos du Doc Gynéco extraits de l'interview publiée dans le numéro 135 de SoFoot.

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