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Mathias Coureur : « Ici, c’est un verre de vodka, un verre d’eau »

Propos recueillis par Gad Messika
12 minutes
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Formé au Havre, Mathias Coureur a voyagé : France, Espagne, chez lui en Martinique et maintenant en Bulgarie. Ce joueur de 26 ans s'est posé au Cherno More Vana, pour devenir enfin sérieux.

Avant d’évoquer ton parcours d’expatrié, on va revenir sur ton ancien contexte français. Déjà, tu effectues ta première saison pro avec Beauvais. Tu joues pas mal. Comment tu te sens à ce moment-là ?

Ça m’a changé, c’est autre chose qu’avec les jeunes, donc au début, j’étais un peu impressionné. À la base, je n’étais pas venu pour jouer avec l’équipe première, c’était juste pour m’entraîner et faire monter la réserve qui était en DH.

Après ce passage à Beauvais, tu files à Nantes…

Ça se passe pas comme prévu. J’arrive dans un club où il y a beaucoup de problèmes. Moi, j’ai fait l’erreur, j’étais mal conseillé. Je ne savais même pas où je mettais les pieds… J’ai vu Nantes, ça m’a tout de suite fait rêver, donc j’ai signé. J’avais rencontré le président Waldemar Kita à Paris. Il est venu avec le directeur sportif, Christian Larièpe à l’époque. Ils m’avaient dit : « Da Rocha ne peut pas finir les matchs, on a besoin de toi tout de suite. Tu vas être son successeur. » Bon… Quand ça vient de Waldemar Kita directement, je n’ai pas hésité. Ça ne s’est pas passé comme ça après… À la base, j’étais venu pour remplacer Da Rocha en Ligue 2 et ils m’ont dit « Aide la CFA et tu joueras en Ligue 2 » . On a lutté jusqu’au bout pour pas descendre, mais on est descendus. Ils m’ont mis dans une équipe déjà en difficulté pour jouer des matchs couperets. Je n’ai pas pu me mettre à mon avantage et ils sont restés sur ces performances, ça m’a cassé. Un entraîneur voulait me faire jouer avec les A, mais ils l’ont empêché de me faire jouer. Ils lui ont dit « Coureur, il joue pas. On veut pas le faire jouer. »

Pourquoi ?Ouais, parce qu’il fallait que je parte. Je ne les intéressais plus, il voulait me vendre, alors que ça aurait pu me relancer. J’aurais pu jouer, bien jouer, j’aurais pu me vendre, mais comme on était 40 pros… Attention, je ne vais pas cracher sur Nantes. Ils m’ont donné un bon contrat, j’avais la belle vie.

Après tu pars à Gueugnon, tu joues 9 matchs, tu marques 3 buts, mais tu décides de rejoindre Orihuela en 3e division espagnole. Comment tu débarques là-bas ? J’ai fait un test en fait avec eux, j’avais un pote là-bas, je venais de résilier avec Nantes. J’ai aussi effectué des essais à Dubaï, en Grèce. Ça s’était bien passé, mais en Grèce tu n’es pas sûr d’être payé. Pour Dubaï, je me disais qu’il était un peu tôt pour y aller. Quand je me suis entraîné avec Orihuela, j’ai kiffé, mais j’ai rien demandé. C’est eux qui m’ont demandé si je voulais rester et j’étais partant.

Tu finis 4e avec Orihuela, mais tu n’arrives pas à décrocher la montée (pour monter en D2 espagnole, des play-offs compliqués doivent être joués) et tu décides de rejoindre l’Atlético Baleares. Comment tu envisages ta carrière à ce moment-là ?
Avec l’Atlético, tout se passe bien, on arrive même en finale de play-off et je signe une prolongation de contrat, car je pensais vraiment qu’on allait monter… Mais on ne monte pas. À ce moment-là, je retourne en Martinique voir ma famille. J’avais quelques petits problèmes et je résilie mon contrat en Espagne. J’en avais marre du foot, j’en avais marre de tout. Je pensais que c’était fini, trop de déceptions dans le foot… Je reste 6 mois près de mes proches en Martinique, ça se passe super bien au niveau humain. Je signe au Golden Lion, mais au niveau du football, ça me manquait. Ce n’était pas le niveau que je connaissais quoi.

Et tu signes en Bulgarie, au Cherno More Vana. Comment se passe ton transfert ? En fait, ils me suivaient depuis l’Atlético Baleares. Vu que j’ai pas trop joué au Huracán, je savais que j’avais cette opportunité d’aller en Bulgarie. On m’a appelé pour aller là-bas et j’ai foncé. Un agent n’arrêtait pas de me harceler en me disant qu’il me voulait. J’avais deux propositions : soit à Béroé, soit au Cherno More. J’ai choisi le second club, puisque Béroé traînait un peu sur l’affaire, et Cherno More me voulait vraiment.

Quelles ont été tes ressentis, tes appréhensions sur le championnat bulgare ?J’ai la chance d’avoir des amis qui jouent en Bulgarie, Salim Kerkar (joueur du Béroé) surtout. On s’appelait souvent, il me disait d’y aller, de ne pas hésiter. J’avais toujours une appréhension. Quand on entend Bulgarie, on pense directement à un « pays peu développé » , un peu en « retard » et franchement, je suis surpris au final. Je pensais au niveau, que ça allait être nul. Au final, c’est une première division, ils m’ont dit qu’ils voulaient jouer la Ligue Europa. Bon, c’est un peu mal parti, mais c’était l’objectif de début de saison. Chaque match, il y a 6 000 personnes, c’est pas mal !

Comment est le niveau du championnat bulgare justement ?Le championnat bulgare a un bon niveau quand même. C’est de la bonne Ligue 2, mais pas tous les clubs, hein ! Certains, je ne suis pas sûr qu’ils passeraient en Ligue 2 et même pas sûr en National. Le reste, c’est de la bonne Ligue 2, les clubs comme Béroé, Ludogorets… Bon Ludogorets, ils sont vraiment au-dessus. C’est vraiment la meilleure équipe du championnat avec le CSKA Sofia. Le reste, style Levski Sofia, Litex tout ça, c’est de la D2 en France.

J’ai connu quelques filles bulgares, ou bien des Françaises qui font leurs Erasmus en Bulgarie.

Comment se passe ton intégration avec les membres de l’équipe et le staff ? La barrière de la langue est compliquée. Déjà qu’ils ne parlent pas bien anglais et que moi non plus. En plus, on a mal commencé, et le coach s’est fait virer. Le nouveau coach ne me connaît pas, donc il veut voir des joueurs qu’il connaît, mais j’ai joué récemment. Je ne vais pas baisser les bras comme je l’ai fait quand j’étais jeune et je travaille de mon côté. Quand tu arrives dans un club, les gens te respectent par rapport à ce que tu montres sur le terrain. Je me concentre sur le terrain, et petit à petit, ça va le faire !

As-tu appris à parler bulgare ?Bien sûr ! Déjà, les bases quand je suis sur le terrain : « À gauche, à droite » . Ensuite compter jusqu’à dix et quelques gros mots. Ce sont les premiers mots que j’ai appris. Je peux me faire comprendre dans certaines situations basiques, donc ça va.

Quel est ton quotidien là-bas ?Je me réveille, ensuite j’ai entraînement. Souvent avec les joueurs étrangers, on traîne ensemble. On va au restaurant. J’y vais tous les midis. Ensuite, je me fais une petite sieste tranquille et sinon je me fais un cinéma ou bien des grands centres commerciaux, avec tout ce que tu peux trouver en Europe de l’Ouest. Pourtant, les boutiques style Zara sont au même prix qu’en France. Après, tout ce qui est bulgare est beaucoup moins cher.

Tu fais quoi de tes soirées là-bas ?Les Bulgares aiment beaucoup la fête. Même si tu as l’impression qu’ils ne la font jamais, ils sortent tous les soirs. Franchement, les bars sont ouverts du lundi au dimanche. Là-bas, ils adorent la vodka. Tu peux aller n’importe où, que ce soit pour passer un moment tranquille ou pour aller regarder un match dans un bar, c’est un verre de vodka, un verre d’eau. Ils boivent ça pur. Personnellement, je suis souvent à la maison. Mais le lundi, je m’accorde un petit plaisir.

Tu fais des rencontres ? Elles sont comment les femmes en Bulgarie ?Franchement, les Bulgares niveau visage… j’ai rarement vu ça ! Elles sont super, super belles. Pour le reste, ce n’est pas trop ce que j’aime. J’ai connu quelques filles bulgares, ou bien des Françaises qui font leurs Erasmus en Bulgarie…

Quelles sont les plus grosses différences entre la France et la Bulgarie à ton avis ?Déjà financièrement, c’est beaucoup moins cher en Bulgarie. Pour 3-4 euros, tu peux aller au restaurant et bien manger. Les Bulgares sont plus fermés au niveau des différences culturelles, il n’y a pas de « Noirs, d’Arabes, de Chinois » . Après, la France – en général – est quand même plus développée.

Le fait que tu sois métisse et que tu arrives dans un pays qui ne connaît pas vraiment la mixité, comment les gens ont réagi ?Ils me posent un tas de questions sur la Martinique. Je leur ai montré où ça se situait sur une carte. Ils pensent que c’est le désert là-bas. J’ai dû leur montrer des photos pour voir que c’était quand même développé. Par exemple, pour te donner une idée simple, dans le vestiaire, il y a une télé et à un moment, nous tombons sur un clip. Un clip africain, et eux me disaient « mais c’est comme ça, la Martinique ! » . Moi, je leur disais que la Martinique, ce n’était pas l’Afrique. Et ils ne savent pas non plus qu’en France, on a une image bizarre de la Bulgarie.

On mange quoi en Bulgarie ?Bah, tu peux manger soit bulgare soit continental. Il y a un restaurant qu’une Bulgare a ouvert, le « Happy Green » , qui a aussi ouvert à Barcelone. Avant les matchs, on mange une salade bulgare (de la laitue, du yaourt bulgare, des concombres, des noix et de l’aneth). Il y a un autre plat à base de yaourt. Une sorte de milkshake avec du lait concentré, c’est vraiment pas mal.

Tu te sens comment depuis que t’es arrivé là-bas ?Déjà, quand on m’a parlé de la Bulgarie, j’entendais la pauvreté, la température, les mecs de l’Est racistes. Au final, j’en parlais avec mon agent, je ne veux pas partir, je me sens super bien ici. J’ai pas connu le grand froid comme on m’avait dit, mais franchement j’adore ! J’ai vécu en Espagne et honnêtement, je préfère la Bulgarie.

À Nantes, j’avais mon salaire qui tombait chaque mois, je ne jouais pas et j’ai rien fait pour retourner la situation

Qu’est-ce que les gens pensent de toi maintenant ?Dans mon club, les supporters se sont pris d’affection pour moi. Au départ, je jouais pas souvent, mais maintenant que je joue et que je suis le meilleur buteur de l’équipe toutes compétitions confondues, j’ai beaucoup de demandes d’ajouts sur Facebook, ma mère aussi d’ailleurs (Rires) ! Les gens veulent la remercier de m’avoir mis au monde. Ça fait plaisir. Dans la rue, le plus souvent, je sens qu’on me regarde, que les gens savent qui je suis. Après, ça arrive que des personnes m’arrêtent, me demandent une photo ou un autographe. La dernière fois que je suis sorti en boîte, il y a un mec qui est venu me voir, il me dit : « Merci, je vais partir en vacances super bien, merci de votre but contre le Levski » . C’est gentil, tu vois.

Quelle est la meilleure boîte dans laquelle tu es allé en Bulgarie ?Elle est à Sofia, elle s’appelle le « Bedroom » . Je ne sors pas beaucoup, mais la seule fois où je suis allé dans une vraie boîte bulgare, ils chantaient tous La Chalga (un style musical bulgare), c’était assez marrant. À la longue, ça devient saoulant, mais au « Bedroom » , il y a un peu de tout.

Tu as visité un peu la Bulgarie ?Bien sûr, j’ai visité Varna avec ma mère. On a vu des monuments qui rappellent le passé turc du pays. Je me suis beaucoup renseigné sur le pays et j’ai vu que c’était un pays de conquérants.

Depuis 2013, tu joues avec l’équipe de la Martinique, quel est le niveau de cette sélection ? Maintenant, les pros commencent à venir dans la sélection comme Frédéric Piquionne. Dernièrement, il y avait Marvin Esor, Steve Elana, Olivier Thomert, Babin qui a joué ce week-end contre Barcelone avec Granada… Il y a de plus en plus de pros qui veulent venir.

Selon toi, pourquoi tous ces joueurs veulent renouer avec la Martinique et sa sélection ? Un engouement commence à se créer là-bas, par rapport à la sélection, grâce à la Gold Cup. C’est un truc de fou, tu joues contre Chicharito et d’autres ! Beaucoup ne peuvent pas aller en équipe de France, et la Fédération française nous a laissé à la CONCACAF. Bientôt, on espère avoir l’indépendance sportive pour pouvoir essayer de faire une Coupe du monde. Les jeunes peuvent faire des Coupes du monde, les U17, U21, mais les seniors, non. En tout cas, c’est super bien pour tous les Martiniquais, ça commence à se structurer, et j’espère franchement que de plus en plus de Martiniquais de là-bas vont évoluer dans la sélection.

La Martinique a fini 4e de la dernière Coupe des Caraïbes en 2012. Quels sont vos objectifs futurs ?Il faut se qualifier pour aller en Jamaïque et on va essayer de finir mieux que 4es. Et puis, si on finit dans les 4 premiers, on est qualifiés pour la Gold Cup. C’est l’objectif.

Tu as posté récemment une vidéo sur Facebook résumant ta carrière. Pourquoi ?J’ai déjà un projet pour l’avenir. Ce serait de faire une passerelle pour les joueurs martiniquais pour venir jouer en France. Vraiment, il y a du talent là-bas, mais c’est difficile… T’es à 6 000 km de la France, t’es pas forcément considéré, ça leur coûte énormément d’argent. Je pense que même si j’ai fait des erreurs de carrière, je me suis trompé en signant dans des clubs, j’étais mal entouré.

Comment ça mal entouré ?Des agents qui n’étaient pas forcément là pour moi, des amis qui n’étaient pas vraiment des amis. Si tu veux, moi, j’ai oublié le foot, je voulais faire plaisir à tout le monde. Je me pensais déjà arrivé, j’avais de l’argent. Tu te penses important, mais c’est rien. Je n’ai pas pensé au foot. À Nantes, je ne vais pas te mentir, je ne jouais pas. J’avais mon salaire qui tombait chaque mois et j’ai RIEN fait pour retourner la situation en ma faveur. J’espère que les jeunes ne feront pas ça.

Donc le conseil aux jeunes, ce serait de ne penser rien qu’au foot ?Il faut aimer souffrir, ce n’est que maintenant que je le fais. Ce n’est que maintenant que je reste après les entraînements, c’est maintenant que je vais à la muscu’. Dès que tu as un moment de détente, il faut en profiter pour de vrai. Par exemple, là, ma mère est venue. Quoi qu’il arrive, le travail paie. Travailler, ce n’est pas seulement sur le terrain. Quand on dit de bien manger, il faut bien manger. Idem pour le sommeil. On se rend pas compte comment c’est important. Regarder des matchs à la télé, comprendre pourquoi un tel joueur se déplace comme ça. Ce sont des choses que je ne faisais pas, maintenant je le fais. Avant, je n’étais pas prêt.

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Propos recueillis par Gad Messika

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