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« Le poste de latéral va devenir de plus en plus important »

Propos recueillis par Jérémie Baron
11 minutes
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De Leonardo Spinazzola à Joakim Mæhle en passant par Luke Shaw, César Azpilicueta, Steven Zuber ou encore Robin Gosens, rarement les arrières (latéraux ou pistons) auront autant pris la lumière lors d'une grande compétition. Manuel Amoros et Didier Domi, spécialistes du poste, livrent leur analyse sur la question et filent quelques clés pour comprendre ce mois de folie dans les couloirs.

Y a-t-il un latéral qui vous a particulièrement marqué lors de cet Euro ?Didier Domi : Joakim Mæhle, le Danois. Il y a aussi le Suisse (Steven Zuber). Shaw n’a pas été mal. Et j’ai bien aimé Spinazzola. C’est très pertinent de parler des latéraux. Ils sont beaucoup montés. C’est une évolution depuis quelques années : le jeu se rétrécit, est beaucoup plus compact, forcément tu es obligé d’utiliser les ailes, donc les latéraux sont plus sollicités. Déjà dans la construction : avant, ils restaient derrière, aujourd’hui ce sont eux qui prennent la largeur du terrain. C’est super important, car tu peux les trouver et tu peux trouver des chemins à l’intérieur. Et ils sont aussi encore plus importants dans la dernière passe, dans les 30 derniers mètres. Ils sont devenus des armes à part entière. Ils ont différentes qualités : ils vont vite, ils ont une qualité dans le timing de la prise d’espace, la qualité de course. Quand tu formes des triangles, tu as quelqu’un au ballon, un homme libre, et le plus important, c’est la qualité de la course, parce que ce ne sont pas des dribbleurs, à part Spinazzola. Ils aiment bien partir de derrière. Concernant Spinazzola, on a une équipe qui commence à quatre derrière et qui construit à trois : forcément, lui va se mettre sur un côté, il y a de vrais circuits, il est déjà très haut ; Mæhle joue souvent dans un 3-5-2, donc il est déjà très haut ; Zuber, pareil ; quand Shaw combine avec Grealish, etc. contre l’Allemagne, il est déjà dans un 3-5-2 ou 3-4-3 ; ça facilite leur expression.

Manuel Amoros : L’Italien Spinazzola a été l’un des meilleurs. Avec une équipe qui jouait vers l’avant, qui avait régulièrement le ballon et récupérait haut, il a su se montrer dangereux à chaque fois que son équipe attaquait. Je regarde d’abord les qualités défensives et ensuite offensives ; défensivement, il a été très bon, performant dans le coulissage, la couverture des centraux, il savait rester dans une position un peu plus attentiste quand l’autre latéral montait. Je l’ai trouvé très intelligent dans ce côté-là, parce qu’on voit souvent deux latéraux qui montent en même temps et ne font pas attention. On nous apprend à l’école de foot à monter l’un en même temps que l’autre, mais c’est une entente, aussi, avec le milieu de terrain. De ce côté là, les Italiens étaient très bien organisés.

Quand tu as deux hommes très écartés, c’est difficile de défendre. Et tu peux trouver des chemins à l’intérieur parce que ça ramène plus d’espace.

Une bonne partie des équipes a évolué à un moment avec des pistons dans un système à cinq derrière. Pourquoi, à votre avis ?D.D. : On s’aperçoit qu’à trois derrière, tu as toujours une supériorité numérique. S’il y a deux attaquants, tu es à trois contre deux, s’il n’y en a qu’un et que tu as un défenseur central assez bon techniquement, il peut monter et créer de la supériorité numérique dans la construction du jeu, comme Azpilicueta à Chelsea. Ensuite, avec tes deux pistons qui doivent avoir les qualités de vitesse, de centre et d’intelligence tactique, tu as encore cette supériorité numérique au milieu de terrain pour pouvoir avancer, conserver et aller dans la zone de déséquilibre très rapidement. Quand tu as deux hommes très écartés, c’est difficile de défendre. Et tu peux trouver des chemins à l’intérieur, parce que ça ramène plus d’espace. Même si ça n’est pas utilisé dès le départ, comme pour l’Italie ou Manchester City qui essaient toujours de sortir à trois avec un latéral et un ailier qui prennent le couloir. Et une fois que tu as trouvé les espaces à l’intérieur, tu vas trouver les hommes de côté qui peuvent faire parler leur vitesse et leur qualité de centre. Tu peux aller presser très haut avec tes deux pistons, et quand tu veux presser bas tu as vraiment une ligne de cinq et tu occupes encore plus la largeur. C’est un système très flexible, tu passes de l’un à l’autre très rapidement. Tu peux aussi jouer la contre-attaque, donc ces joueurs-là doivent avoir un gros volume de jeu. Mais pas forcément une grosse VMA, c’est une question d’utilisation de l’oxygène. Tu as des latéraux qui n’ont pas une grosse VMA mais peuvent répéter les efforts à haute intensité, l’utilisation de l’oxygène est maximale chez ces gens-là. (Dans un système à trois derrière avec des ailiers en guise de piston plutôt que des latéraux) Ça peut passer, surtout si tu es dominateur et si tu presses haut comme au Barça : quand tu récupères le ballon, tu es déjà dans une zone haute, donc tu as des dribbleurs comme Thorgan Hazard, ça c’est cohérent. Le top pour un entraîneur, c’est d’avoir un ailier d’un côté et un latéral de l’autre, comme Meunier et Hazard avec la Belgique.

M.A. : C’est une question de pressing en permanence sur l’adversaire. Cela permet de rester haut, d’empêcher l’adversaire de sortir le ballon, d’essayer de le contrer et de récupérer le ballon dans la moitié adverse pour contre-attaquer.

Il y a notamment beaucoup de latéraux parmi les meilleurs passeurs de cet Euro. Comment expliquer que les arrières et pistons soient autant devenus les clés des rencontres ?D.D. : Avant, les latéraux n’avaient pas ce rôle de relanceur. Maintenant, tu le vois : quand le jeu vient sur le côté, ils sont pressés, ce sont des petits espaces, tu es sur le côté collé à la ligne de touche, donc tu as beaucoup moins d’angle, et techniquement le niveau s’est élevé. Ils doivent être capables de se sortir de ces situations et de combiner. La deuxième chose, c’est leur technique : ils doivent être capables de trouver des angles de passes, courtes et longues. Et la troisième, c’est dans la zone de déséquilibre où ils doivent avoir une qualité de centre et parfois aussi une qualité de dribble comme Spinazzola. Le jeu a évolué : dans les années 1980, tu jouais peut-être sur 40-50 mètres, maintenant en première période – je ne parle pas de la deuxième quand tout le monde est fatigué -, tu joues sur 26-29 mètres. Forcément, ce sont des blocs beaucoup plus compacts. Il te faut écarter tout ça. Soit tu l’écartes avec les ailiers, soit avec un ailier et un latéral, soit avec les deux latéraux. Quand tu veux sortir à trois, la chose est réglée : voilà pourquoi les latéraux ont une énorme importance.

Leonardo Spinazzola

M.A. : C’est surtout que, quand on a le ballon, offensivement, on a un appui important sur les côtés. Aujourd’hui, quand une défense est regroupée dans l’axe il faut écarter le jeu, et en fonction du schéma tactique, par exemple dans le 4-3-3 de l’Italie, l’ailier rentre souvent et laisse l’opportunité au latéral d’apporter le danger. Pour continuer avec l’Italie, qui a souvent eu le ballon, sauf contre l’Espagne où elle s’est fait malmener, les latéraux se sont souvent retrouvés aux avant-postes pour délivrer des centres ou éventuellement concrétiser des occasions. Pour que les latéraux puissent briller, il faut que l’équipe soit en permanence en possession du ballon, comme ça ils peuvent amener un plus et un soutien offensif. Quand vous êtes dominés dans le jeu comme les Italiens contre l’Espagne – qui a conservé le ballon avec un pressing assez haut – on voit moins les latéraux. Cela dépend aussi de l’entraîneur, qui peut décider que les latéraux restent en place pour ne pas se mettre en danger face à une équipe difficile.

Depuis une quinzaine d’années, les postes qui progressent le plus sont les numéro 6 et les latéraux.

Qu’est-ce que cela veut dire sur l’importance qu’a prise ce poste dans le football d’aujourd’hui ?D.D. : Il va devenir encore de plus en plus important. On essaie souvent d’avoir une supériorité numérique au milieu, on a beaucoup moins d’ailiers qui mangent la ligne, ils doivent être beaucoup plus complets pour venir à l’intérieur et créer de la supériorité. Donc parfois, tu vas beaucoup voir les latéraux en position de un-contre-un. Mais je pense qu’on n’est pas arrivés au bout de la chose, on commence à voir que ça devient important, et à l’avenir, il faudra que ce soient encore plus de grands dribbleurs. Le jeu fait qu’on trouve des chemins à l’intérieur et qu’on va directement dans les zones extérieures. Ce ne sont pas des ailiers, donc sept fois sur dix, tu les vois redonner le ballon derrière. Ils ont des situations de un-contre-un, ils devraient plus les exploiter. Mais comme ils n’ont pas été formés pour ça… Spinazzola m’a beaucoup impressionné là-dessus, quand il ne vient pas de derrière à 100 000 à l’heure. Tu vois qu’il cherche le un-contre-un. C’est la prochaine phase de la progression. Il ne faut jamais oublier que ce sont des défenseurs, la première chose reste de défendre – et encore, cela dépend si tu joues haut ou pas, si ton équipe a le ballon ou pas. Il y en a qui sont très bons quand il s’agit d’aller chercher haut l’adversaire, mais en situation de un-contre-un, c’est un peu plus difficile ; Spinazzola, c’est l’un des seuls qui osent dribbler, créer des un-contre-un, et je trouve ça extraordinaire. Les autres, de par la qualité des milieux de terrain, viennent de derrière. Il faut étirer les blocs pour avoir des centres ou laisser un peu de place au milieu, et ça va continuer à aller dans ce sens. Ce sera aussi de plus en plus important d’avoir des milieux de terrain qui manient encore mieux le ballon, qui ont une perception encore plus forte – parce qu’il y a une grosse densité – pour pouvoir lancer les latéraux. Ça va avec la progression du football : depuis une quinzaine d’années, les postes qui progressent le plus sont les numéro 6 et les latéraux. On a beaucoup plus de moyens d’attaquer, maintenant.

M.A. : Le tout, c’est d’avoir le ballon. Si vous prenez l’exemple du Paris Saint-Germain qui l’a en permanence, les latéraux sont très importants. Tout dépend du schéma tactique, si l’on évolue face à une équipe à trois attaquants, des joueurs sur les côtés qui empêchent les latéraux de monter… C’est une adaptation à ce poste qui est en constante évolution et qui fait qu’aujourd’hui, les latéraux sont devenus très importants. Mais peut-être que dans les années à venir, ce ne seront plus des latéraux dans ce rôle de piston, mais des ailiers, parce qu’il seront plus à même de pouvoir attaquer.

Les droitiers Joakim Mæhle, Steven Zuber et Leonardo Spinazzola ont notamment brillé en « faux pied » au poste d’arrière ou piston gauche. Cette tendance peut-elle se généraliser, comme cela se fait en Serie A ?D.D. : S’ils sont amenés à aller vraiment plus haut, je ne pense pas. Là, ce sont vraiment des cas spéciaux : Zuber joue très bien du pied gauche, Mæhle est capable de te mettre des extérieurs du droit comme contre la Tchéquie, Spinazzola est presque ambidextre, même quand il arrive en bout de course il a une grosse qualité de pied gauche. Je ne vois pas cette tendance aller trop loin : quand tu dois faire quinze centres par match…

M.A. : Si le joueur est adroit des deux pieds, il n’y a pas de raison qu’il ne puisse pas jouer sur les deux côtés. Mais ce n’est pas évident, pour un pur droitier qui n’a pas de pied gauche, d’évoluer à gauche. C’est quelque chose qu’il faut que les joueurs aient, par rapport au travail fait en centre de formation. Moi, j’avais cette capacité parce que j’avais travaillé mon pied gauche au centre et je pouvais rentrer sur mon pied droit et frapper au but, je crois qu’à Monaco, j’ai plus joué à gauche qu’à droite. Du moment qu’il a les deux pieds, l’adaptation est la même des deux côtés, ce n’est pas un inconvénient. Être polyvalent permet de s’en sortir sans grosse difficulté à chaque fois.

Ironiquement, côté français, c’est ce poste qui semble avoir fait défaut lors de la compétition. Qu’est-ce qui a manqué à Jules Koundé, Benjamin Pavard et Adrien Rabiot, qui ont occupé ce poste ?D.D. : Depuis tout à l’heure, on parle du côté offensif, mais il a manqué le côté défensif. À un moment, surtout quand tu es à quatre, tu dois bien défendre, dans les un-contre-un, dans la couverture, il ne faut jamais oublier ça. Ça n’est pas forcément le physique ou les duels, c’est parfois l’anticipation, la notion du jeu, etc. Avec Lucas Hernandez, ça aurait été une autre paire de manches.

M.A. : Koundé n’est pas un latéral – même s’il peut dépanner -, donc il n’a pas de repère ou très peu, Rabiot ne joue pas dans ce contexte non plus. Ils n’ont pas ces réflexes de replacement, de tempo. Pavard a été moins bien sur cet Euro, mais en club, il a toujours été performant. Contre l’Allemagne, on a très bien défendu, contre la Hongrie, on n’a pas su, car on a peut-être sous-estimé l’adversaire, on a pris un but rapidement… Il y a des situations qui parfois ne permettent pas de se montrer davantage.

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