
Sa gorge se noue. Impossible d’en dire plus. Elle a 23 ans et n’a jamais vu jouer Maradona, comme beaucoup de ceux qui sont présents ce soir-là. « Mais Diego, ça se transmet de génération en génération en Argentine » , explique sa maman, Dolores, 58 ans. Elle, oui, a vu jouer le Pibe de Oro à la Bombonera. Et même si elle reconnaît préférer Riquelme comme joueur de Boca, « Maradona, lui, c’est l’Argentine. C’est notre héros national » . Un gamin venu d’un bidonville, Villa Fiorito, qui a redonné sa fierté à un pays en inscrivant deux buts de folie contre l’Angleterre quatre ans après la guerre des Malouines. « Un morceau de notre histoire est mort, mais il va rester présent avec nous pour toujours » , assure Federico, un vieux maillot azul y oro du Diez sur les épaules. Boca ne jouera pas ce soir. Le match de huitièmes de finale de Libertadores face aux Brésiliens d’Internacional a été reporté pour respecter les trois jours de deuil national décrété par le gouvernement argentin. Mais à dix heures du soir, comme dans tous les stades en Argentine, la Bombonera s’est illuminée. À dix heures. Comme le dix du héros disparu.

Un jour qui va rester dans les livres d’histoire
Les rassemblements se multiplient partout dans le pays. À La Paternal, le quartier du club d’Argentinos Juniors, la première équipe de Pelusa, des centaines de supporters du Bicho pénètrent dans le stade Diego Armando Maradona peu avant 23 heures. Au cœur de la capitale, ils sont des milliers au pied de l’Obélisque. Le lieu sert habituellement de festivités après une élection présidentielle, un succès de la sélection ou une équipe de la capitale. Ce soir, c’est un lieu de recueillement. Des supporters de River Plate et Boca, de Racing et Independiente chantent ensemble pour Diego. « AD10S » s’inscrit sur un des écrans publicitaires autour de la place. Des images du Mondial 1986 repassent en boucle. Celui de ce jeune Maradona que les Argentins retiennent avant tout. « Il est entré dans l’inconscient collectif. Il nous a montré que nous, les Argentins, nous pouvions vaincre ceux qui nous ont battus et nous ont fait beaucoup de mal. Même si c’était sur un terrain de foot, il nous a montré que l’Argentine pouvait se relever » , dit Jonas, fausse tunique de la Coupe du monde mexicaine achetée quelques minutes plus tôt à un des nombreux vendeurs ambulants.

Il est minuit. Beaucoup se dirigent déjà vers la place de Mai et la Casa Rosada, le palais présidentiel argentin, où une messe funèbre est prévue ce jeudi. Le corps de Maradona y a été transféré aux alentours d’une heure du matin. Son ex-femme Claudia et ses deux premières filles Dalma et Giannina accompagnent la dépouille. Des champions du monde 1986 arrivent sur place. Devant les grilles, des milliers d’Argentins attendent déjà avec drapeaux et banderoles. « Je pense que ça va être énorme. C’est un jour qui va rester dans les livres d’histoire. Diego le mérite » , estime Joaquín déjà en place devant l’Élysée local. À la radio, le mythique commentaire de Victor Hugo Morales du but du siècle repasse en boucle. Les chaînes de télévision, elles, sont restées en direct toute la nuit. Certains médias comme le canal d’information TN l’assure : malgré la pandémie, ils pourraient être des millions ce jeudi pour apercevoir une dernière fois leur idole.
Par Georges Quirino-Chaves à Buenos Aires
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