- Foot et santé
Diffuser un match en opérant, pas si bête
Au Chili, deux médecins ont été filmés en train de regarder une partie de football alors qu’ils semblaient en pleine opération. Risqué. Mais dans certaines conditions, projeter une rencontre pendant l’acte chirurgical peut être conseillé... pour le bien-être du patient.
La scène n’est pas commune. Alors qu’une télévision montre João Moutinho se préparer à frapper son tir au but lors de la demi-finale de Coupe des confédérations opposant le Portugal au Chili, le regard est attiré par la pièce qui accueille l’écran. Qu’abritent donc ces murs blancs dénués de toute décoration ? Ce matelas clair, serait-ce un bout de lit ? Et cette machine bleue, à quoi sert-elle ? Lorsque Claudio Bravo, le gardien sud-américain, stoppe la tentative du Lusitanien, le reste du lieu est dévoilé. Des hommes à masque, charlotte sur le crâne et ustensiles de chirurgie dans la main, laissent éclater leur joie. Pendant ce temps-là, une tête floutée laisse deviner le corps d’un patient endormi. Sur lequel reviennent ces potentiels médecins, tout heureux de la qualification. Plus de doute, il s’agit bien d’une salle d’opération. Le Chili est en finale, bienvenue à l’hôpital.
Polémica en redes sociales por video donde equipo médico celebra triunfo de Chile en plena cirugía https://t.co/Yfzfn80Qr0 pic.twitter.com/zmbIbIghTp
— La Tercera (@latercera) 29 juin 2017
Une urgence en finale de Coupe du monde
Sur les réseaux sociaux, le petit film fait polémique. En réponse, Karla Rubilar, députée représentant la commission de santé de l’Assemblée nationale, réclame carrément une enquête. Car évidemment, suivre un match de football quand on est en train de travailler sur le corps d’une autre personne vivante est loin d’être recommandé. Quels que soient le lieu, l’activité ou la nature de l’opération, d’ailleurs. « Les yeux restent notre principal outil, tu es obligé de regarder ce que tu fais, confirme sans surprendre personne Pierre, chirurgien-dentiste en Loire-Atlantique. Moi, si j’essaie d’exercer à l’aveugle, ça va clairement être un carnage. » Bah ouais, mais si le supérieur hiérarchique a refusé la demande de congé ou si une urgence tombe au moment de la finale de la Coupe du monde à laquelle participe la nation, comment faire pour ne pas louper la rencontre ?
« Si vraiment je n’ai pas le choix, je monte le son à fond et je suis le match avec les commentaires, répond Pierre, ni convaincant ni convaincu. Écouter la radio, je pense que c’est faisable. Mais voilà, ça risque de me déconcentrer, de déconcentrer mes éventuels assistants, et ce sera un beau bordel sonore avec le bruit des machines. » Les médecins chiliens semblent donc avoir opté pour la moins pire des solutions afin d’éviter toute coupure mal placée pour celui qui est anesthésié (et qui ne peut donc même pas participer au plaisir commun) : s’arrêter quelques instants de charcuter son prochain pour regarder les minutes fatidiques qui font basculer un match sans vainqueur. Autrement dit, la séance de penaltys.
Le football prend soin de vous
En revanche, un téléviseur diffusant du foot peut être une excellente idée s’il est destiné au patient. Cela concerne bien entendu les opérations sans anesthésie complète, comme la plupart des chirurgies dentaires. « Une télé accrochée au plafond en face des yeux du patient, ça, ce serait faisable. Qu’il regarde un match de foot pendant que tu es en train de prendre plus ou moins soin de lui, c’est imaginable, ouais. D’ailleurs, les cabinets dentaires avec une télé au plafond existent déjà » , rapporte Pierre. Et pour le bruit parfois chiant pour l’opérateur, « suffit de brancher un casque » , n’oublie pas le dentiste. Outre la distraction procurée au patient, le match diffusé facilite également le boulot du spécialiste médical.
Comment ? En « hypnotisant » (de manière toute relative) une partie du cerveau du patient, qui ne ressent plus, ou moins la douleur. Et dont l’appréhension va sans doute diminuer drastiquement s’il est passionné de football. Loin du cliché de l’horloge qui se dandine, l’hypnose chirurgicale (par simple « discussion » avec l’anesthésiste) est déjà utilisée en complément de l’anesthésie locale afin d’éviter l’anesthésie générale lors d’opérations parfois lourdes (mammectomies, ablations de thyroïde ou d’hernie linguale, accouchements, soins dentaires, endoscopies…). De là à considérer un match de foot comme une arme de sédation ? Aux chercheurs de creuser, ou pas, cette piste. En tout cas, la rencontre choisie ne devra pas être un Toulouse-Nancy, qui pourrait amener le patient à reporter son ennui sur sa douleur, ou un Real-Barça, qui devrait le faire un peu trop bouger aux yeux des chirurgiens. Si ces derniers ne sont pas devant la TV…
Par Florian Cadu
Propos recueillis par FC