Quel est ton rapport au football ?
Le foot, c’est une passion. La musique, le foot, la culture : ça va ensemble. L’énergie d’un stade, c’est ce que tu peux retrouver dans un concert de rock hyper attendu, par exemple. C’est ce que je recherche : le beau jeu et puis cette espèce d’émulation collective.
T’es fan d’une équipe en particulier ?
J’ai une équipe de cœur : les Girondins. Parce que c’est la première équipe que j’ai vu jouer de ma vie, j’étais tout gosse. Mon premier match à Lescure, c’était en 88. J’avais huit ans. Un Bordeaux-Nantes qui se termine 5-0. Je me rappellerai toute ma vie des mecs qui gueulaient : « Cuicuicui, les Canaris sont cuits ! » C’était mythique. Le stade était blindé et il y avait encore cette rivalité Bordeaux-Nantes, même si Bordeaux, c’était déjà plus ce que c’était dans les années 80. Remarque, en 90, on finit deuxième sur le fil derrière Marseille juste avant d’être rétrogradé en D2. À partir de là, c’était fini. Marine et Blanc, c’est mes couleurs à vie, quoi. Je me rappelle également d’un 3-0 pour Bordeaux face à l’OM à cette période. C’était pas mal, ça, aussi.
En fait, tu as complètement occulté tes mauvais souvenirs des Girondins !
Ah non non, j’ai assisté à des purges aussi. Il n’y a pas de problème. Des belles défaites, j’en ai vu quelques-unes. Mon équipe, c’est mon équipe. Même en D2, j’allais quand même au stade. J’ai vu des fantastiques Bordeaux-Strasbourg. Des trucs pas super, quoi… J’y allais quand même. Aussi, j’ai fait un truc débile, une fois. Mes frères sont supporters du RC Lens et pour leur faire plaisir, j’ai été voir un Bordeaux-Lens à Lescure dans le kop lensois. Évidemment, Bordeaux a gagné – 3-0 je crois – et moi, à chaque but de Bordeaux, je gueulais, j’étais tout content. Alors évidemment, tous les Lensois me regardaient d’un œil louche, très louche… Au bout d’un moment, ils ont commencé à chanter « Les touristes, à la maison ! » en me regardant bien directement. C’était assez pathétique, je me sentais tout piteux, alors je me suis barré. J’ai pas vu la fin du match. Ceci dit, le souvenir le plus dur pour moi, ça reste la défaite en finale de Coupe UEFA face au Bayern. Mais c’est encore autre chose. Alors d’accord, il y a le match face au Milan AC juste avant, mais cette défaite en finale, je pense que personne ne l’a digérée à Bordeaux. On était hyper contents d’aller en finale, mais on aurait aimer aller jusqu’au bout. Quoique, le quart de finale en Ligue des champions perdu face à Lyon m’a beaucoup fait souffrir.
La finale face au Bayern était impossible à gagner. Le quart de finale face à Lyon, c’est autre chose, en effet…
Surtout quand on voit que Lyon se fait défoncer par le Bayern en demi-finales alors que nous, on les avait bien bougés en poules. Après, c’était pas le même Bayern entre les poules et les demies, mais Bordeaux aussi était monté en puissance. Ça jouait pas mal cette année-là. Surtout, se faire éliminer par Lyon, c’était les boules. Quitte à perdre, autant le faire face à un grand club européen ! Après, on s’est effondrés en fin d’année, c’est vrai. Je ne sais pas trop pourquoi, d’ailleurs…
Laurent Blanc qui, une fois la machine enrayée, n’a pas essayé de trouver une solution de rechange ?
Je crois surtout qu’il ne pouvait rien faire de plus. Après, c’est vrai qu’il n’a pas forcément vu que Gourcuff commençait à peiner et il l’a maintenu, maintenu, maintenu sur le terrain. Après, on n’est pas dans le vestiaire pour savoir, mais le fait qu’il ait annoncé qu’il se barrait pour prendre l’équipe de France a peut-être joué. Malgré tout, je pense qu’il y a beaucoup de joueurs qui pensent avant tout à leur carrière et ça peut expliquer les résultats en dents de scie de Bordeaux. Regarde en 99 : Benarbia gagne le titre et qu’est-ce qu’il fait ? Il se barre au PSG !
Revenons aux bons moments. Ton meilleur souvenir des Girondins ?
Le dernier titre. Déjà parce qu’il y avait la fête qui allait avec et puis, le niveau de jeu affiché toute l’année. Je me rappelle un Rennes-Bordeaux en particulier. Il y a 2-2 à la 88e, on est à dix contre onze, et t’as Gourcuff qui met une frappe magistrale dans les dernières secondes. C’était un match incroyable. Il y a même un match que l’on remporte à neuf contre onze cette année. Tu avais la paire Gourcuff-Chamakh…. Une des plus belles actions, je me demande si c’était pas contre Rennes encore, mais à Bordeaux cette fois-ci. Quatre une-deux entre eux et la balle finit sur le poteau. Un truc complètement dingue ! Du foot de console ! Ça faisait longtemps qu’on n’avait pas vu ça à Bordeaux…
Oui parce qu’on se fait souvent chier à Lescure !
Boh, en même temps, on a gagné une petite Coupe de France il n’y a pas si longtemps. Mais c’est plus au niveau du jeu que c’était gênant ces dernières années pour Bordeaux. Là, ça repart un peu mieux, même si Sagnol a connu un petit coup d’arrêt. Un 3-0 contre Paris, ça fait pas si mal. Mais je vois pas ce qu’on va faire à perdre contre Caen.
En plus de Bordeaux, tu aimes beaucoup le Barça, c’est ça ?
J’ai vécu à Barcelone. Et là, j’ai découvert un autre niveau de football et un autre niveau de passion. C’était plus pareil, forcément. J’ai compris ce que c’était de voir une ville entière, une région entière qui vibre pour un club. Là-bas, on dit que les deux mecs les plus puissants sont le patron de la banque Santander et le président du Barça. Et tu te rends compte que c’est vrai, en fait. Les jours de match, les Barcelonais ne pensent qu’à ça. Notamment pour les matchs de Ligue des champions. Tu vois des maillots partout dans la rue et quand tu reçois un mail, les mecs signent « Allez Barça ! » Des vieux, des jeunes, des hommes, des femmes… C’est un truc que je n’avais vécu, surtout avec le niveau des supporters de Bordeaux. Et puis, le stade est immense. Trois, quatre heures avant, la ville bouillonne autour. Tout ce monde qui converge vers le stade… Tu prends le stade de Bordeaux et tu le multiplies par quatre, quoi !
C’est quoi les plus beaux matchs que tu as vus là-bas ?
Mon premier match là-bas, c’était une demi-finale de Ligue des champions face à Valencia. C’est l’année où ils perdent contre le Real en finale. On avait Rivaldo, les frères De Boer… C’est le jour où Van Gaal se fait plus ou moins éjecter de Barcelone. Ce qui m’a marqué, c’est que pendant tout le match, le public supporte le Barça, mais à la fin, parce qu’on sait que Valencia va affronter le Real, t’as le stade entier qui se met à encourager Valencia pour pas que le Real gagne derrière. C’était énorme. Mais le plus beau truc que j’ai vu, c’est un quart de finale face au Bayern. Un 4-0 où les quatre buts sont mis pendant la première mi-temps : doublé de Messi, un but d’Eto’o, un but de Henry. Il faut savoir qu’en Liga, même si le stade est énorme, il ne fait pas un bruit de fou, mais quand ça passe en Ligue des champions, les mecs deviennent hystériques. Un chaudron. T’en peux plus. Après, je n’ai jamais eu l’occasion d’aller voir un Clásico. Mais un Barça-Valladolid ou un Barça-Alavés, tu t’attends à ce qu’ils leur collent une valise ! En Ligue des champions, ils viennent voir des superbes gestes. D’ailleurs, c’est là que tu vois que c’est un public d’amateurs : ils sont tout autant capables d’applaudir un beau geste de leur équipe comme de l’adversaire !
C’est un truc que t’aimes bien, cette « communion » dans le foot ?
Oui complètement, et c’est d’ailleurs pour ça que j’essaie toujours d’aller voir les Bordeaux-Saint-Étienne parce que les kops de supporters s’adorent. Je me rappelle du but pour le titre de Gouffran et lui n’arrive pas à célébrer son but parce qu’il vient d’envoyer son club de cœur en Ligue 2. Même chose avec Pauleta qui plante avec le PSG face à Bordeaux. Le speaker n’annonce pas son but, mais le stade se lève et l’applaudit… Ou Gernot Rohr qui revient alors qu’il est entraîneur de Nice et t’as des grandes banderoles « Bienvenue chez toi, Gernot ! » T’es pour le jeu. Pour les gens. Pour tout te dire, j’ai arrêté d’aller voir les matchs dans le virage sud le jour où Dugarry est revenu à Bordeaux avec le maillot de Marseille sur le dos. Les mecs chantaient « Dugarry enculé ! » pendant tout le match. Ils auraient pu au moins trouvé une rime en « i » , quoi ! (rires)
Pas de mauvais bougres du foot pour toi, donc ?
Ah si, j’aime bien. Il en faut tout le temps un ou deux dans une équipe. Il faut toujours qu’il y ait un petit boucher qui traîne sinon, ça fonctionne pas. À un moment, je faisais partie du fan club de Patrick Colleter. C’était une meuf qui avait monté ça sur Minitel ou un truc dans le genre et tu recevais des photos dédicacées ou des VHS des « plus beaux gestes » de Patrick Colleter. Allez hop ! Le tacle au-dessus du genou, à la carotide… C’était de la vraie poésie ! (rires) Quand tu avais Cyril Rool et Jurietti aux Girondins, là aussi, t’avais de la poésie…
Tu cites beaucoup de joueurs, mais que ce soit à Bordeaux, à Barcelone ou ailleurs, tu as été marqué par des joueurs en particulier ?
Je vais pas faire dans l’originalité, mais il faut reconnaître qu’une fois que tu as vu jouer Léo Messi, bah… T’es pas dans la même dimension. En particulier pendant ce match contre le Bayern. Il est démarqué tout le temps. Les mecs du Bayern ne pouvaient pas le charger. Le mec, je ne sais pas comment il fait. Le mec, il touche le ballon, t’as la chair de poule. Et t’as une espèce d’émotion qui parcourt tout le stade… T’as l’impression que tout tourne au ralenti autour de lui tellement c’est rapide et fluide. Messi, c’est de la magie blanche ! Après, c’est pas forcément les joueurs les plus stylés que j’apprécie. Par exemple, j’adorais Lilian Laslandes. Il a fait les belles heures de Bordeaux, mais aussi celles d’Auxerre. Il mettait des vieux buts de raccroc, mais il en mettait plein, par contre. Et parfois, il te sortait un geste de nulle part, genre un ciseau retourné. Johan Micoud, aussi. Il m’a rendu complètement dingue avec ses grosses patates ! Et puis, une conduite de balle incroyable. Quand il est parti au Werder, je me suis à suivre les matchs du Werder rien que pour lui.
Et pas Cheick Diabaté, donc ?
Le grand Cheick… Il a un style parfait ! C’est pas beau à voir, mais c’est efficace. Il a des genoux magiques. Le mec est capable de marquer de la nuque, il s’en fout. Et puis, il est tellement lent… Il y a ce match dégueulasse de Coupe de la Ligue où il tente un passement de jambe. Ça lui prend dix secondes pour faire le tour du ballon ! Et il le met ! C’est ça, le pire, il le met ! Le gardien arrive quand même à se faire feinter… C’est terrible pour lui, quand même.
L’EP éponyme de Cliché est sorti le 6 octobre dernier chez Microqlima Records
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