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Sélection féminine d’Espagne : Jouer, lutter et gagner

Par Anna Carreau
Sélection féminine d’Espagne : Jouer, lutter et gagner

En Espagne, le football féminin a un credo que les joueuses de la sélection ne cessent de hurler avant chaque match : « Jugar luchar y ganar » (Jouer, lutter et gagner, en français). Pour pouvoir briller sur les terrains anglais de cet Euro, les filles, anciennes comme plus jeunes, savent que le chemin a été long et qu'il reste encore beaucoup à parcourir. Et cette nouvelle génération en quête de professionnalisation entend bien poursuivre la lutte, au-delà de la simple sphère du ballon rond.

12/07/2022 à 21h
Euro 2022
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Le 14 juin dernier, le siège de la Fédération espagnole de football avait mis les petits plats dans les grands pour annoncer une nouvelle attendue par les joueuses depuis des années : l’égalisation du pourcentage des primes perçues par les joueurs des sélections espagnoles masculine et féminine. Bien loin des égalités de montants acquises par la Norvège ou les États-Unis, mais une belle avancée pour une fédération qui jusqu’alors n’avait pas le même régime pour les deux sexes, ne payant ses joueuses qu’au lance-pierre à coups de rémunération journalière, chose qui n’existe pas chez les garçons. Les filles bénéficieront enfin aussi de leur droit à l’image, allant jusqu’à 80% des montants totaux engrangés par l’institution en cas de qualification pour une finale. Le contrat passé entre les joueuses et la fédération jusqu’en 2027 exige aussi de meilleures conditions de travail et des moyens suffisants pour développer le football féminin. « C’est un jour historique, assure la capitaine de la sélection Irene Paredes, aux côtés d’Alexia Putellas et Patri Guijarro depuis l’estrade installée pour l’occasion. Le processus de négociation a été long et, en tant que joueuses, nous le considérions comme compliqué, mais le fait d’être parvenues à un accord d’une telle ampleur renforce l’idée et l’engagement de la Fédération envers l’équipe nationale féminine et surtout l’équipe senior, en améliorant les conditions pour que nous puissions faire ce que nous faisons le mieux et être récompensées et valorisées de façon remarquable. »

Aller en sélection, ça ne valait pas le coup sur le plan sportif et ça ne valait pas le coup non plus sur le plan financier, parce qu’on était payées 27 euros par jour, on perdait notre temps.

27 ans de mépris

Si la capitaine de la Roja se contente de lire son texte avec peu d’émotion, elle pèse chacun de ses mots. Irene Paredes qui vit là son troisième Euro avec l’Espagne, a été de celles qui ont connu les pires heures de la sélection espagnole. « On avait l’impression de gêner : on devait aller à l’hôtel au lieu du centre d’entraînement si les garçons étaient là, car on ne pouvait pas se croiser même à trois cents mètres », raconte Irene Paredes dans le livre No las llamas chicas, llamalas futbolistas de la journaliste Danae Boronat. Toutes les joueuses disent avoir vécu le même mépris durant les premières années de la sélection féminine espagnole, instaurée en 1988 sous la pression de la FIFA. « En tant que joueuse, ce n’était pas rentable d’aller en équipe nationale, poursuit celle qui deviendra capitaine de la Roja quelques années plus tard. Parce que tu savais que tu aurais de mauvaises séances d’entraînement, tu serais enfermée dans un hôtel… Ça ne valait pas le coup sur le plan sportif et ça ne valait pas le coup non plus sur le plan financier, parce qu’on était payées 27 euros par jour, on perdait notre temps. » Au-delà du manque d’ambitions sportives et de considération de la part de la fédération, les filles sont aussi victimes d’un homme : Ignacio Quereda. Sélectionneur des féminines du début du projet jusqu’en 2015, il est aujourd’hui l’objet de nombreuses accusations de la part des joueuses. « Mentalement, tu étais coulée, tu ne pouvais pas être toi-même, dénonce aujourd’hui Irene Paredes. Il se moquait de certaines d’entre nous, il nous traitait comme des petites filles, il y avait un manque de respect quotidien envers nous en tant que joueuses et en tant que femmes, et il avait l’habitude de souligner que nous devions le remercier d’être là. »

Une situation vécue par toutes les générations de filles passées par la sélection durant l’ère Quereda, qui racontent aussi des propos homophobes, machistes, voire extrêmement déplacés, des entrées impromptues dans les vestiaires, des remarques sur leurs physiques… Alors que les clubs espagnols professionnalisent leur section féminine et qu’une vague de revendications féministes arrive dans le Royaume, les filles se qualifient en 2015 pour la première fois de l’histoire de la sélection à une Coupe du monde. Mais rien ne change du côté de la fédération. « La façon dont nous nous sommes préparées au Mondial était une blague, rembobine Alexia Putellas, qui avait débarqué dans cette sélection archaïque au moment de l’Euro 2013. Nous étions la seule équipe qui n’a pas joué un seul match amical de préparation pour une compétition de cette taille. Nous n’avions joué qu’entre nous. » Les joueuses se souviennent aussi avoir atterri au Canada seulement trois jours avant leur premier match, ne s’être entraînées que sur des terrains synthétiques, n’avoir eu aucune préparation tactique de la part de Quereda, si ce n’est un changement de système de dernière minute qui bouscule tous les automatismes. Un manque de préparation que tentent de contrecarrer les 23 sélectionnées elles-mêmes, organisant sans le savoir le début d’une révolution. « Nous avions l’habitude de nous réunir après les repas pour regarder des vidéos de nos rivaux et des vidéos de motivation, car le groupe était très uni », explique l’actuelle joueuse du Real Madrid Marta Corredera des années plus tard. « Nous nous réunissions dans une pièce et préparions quelques plans en matière de pressing, de défense et aussi quelque chose au cas où les choses tourneraient mal, où est-ce que nous devions tirer », poursuit Vicky Losada.

J’aime être une footballeuse et j’aimerais pouvoir concentrer 100% de mon énergie sur la performance, mais bon, c’est ce que nous devons faire et c’est notre responsabilité.

La fin de l’ère Quereda et une première victoire

Éliminées malgré tout dès la phase de poules, les joueuses se servent de cette union collective instaurée pendant la quinzaine pour demander ouvertement la tête de leur sélectionneur Ignacio Querada, alors en place depuis 27 ans. « Nous pensons qu’une étape est arrivée à son terme, écrivent les joueuses depuis Toronto avant leur retour à Madrid. Il y a encore un long chemin à parcourir et de nombreuses portes à ouvrir. C’est un grand moment pour notre sport, avec de nombreux défis et rêves à venir, et il est de la responsabilité de chacun de définir la voie à suivre. Pour voir où nous allons et comment nous le faisons. » Les 23 présentes au Canada pour la plus grande compétition jamais jouée par la sélection féminine se font une promesse : ne plus porter la tunique rouge tant que les choses n’auront pas changé. Une prise de position historique, qui a notamment forgé les plus jeunes, qui sont encore en sélection aujourd’hui, comme Alexia Putellas. « Celles qui étaient dans l’équipe depuis dix ans ont décidé qu’avec toutes celles qui arrivaient, nous devions nous battre, raconte la joueuse du FC Barcelone. J’étais dans l’équipe depuis trois ans, j’étais au courant des choses qui s’étaient passées… Les joueuses qui avaient une voix, les capitaines, l’ont proposé, et tout le monde était d’accord. » Plus d’un mois après, le 29 juillet 2015, Ignacio Quereda démissionne. La fin d’un premier combat.

Portée par celles qui sont à l’origine de ce premier séisme, la sélection espagnole ne s’arrête pas là et peut compter sur l’une des pionnières devenue star : Alexia Putellas. « J’espère qu’un jour, lorsque nous parlerons de foot féminin, nous ne parlerons que de sport et non des batailles pour nos droits, déclare celle qui fut la première Ballon d’or espagnol depuis Luis Suárez en 1960. La prochaine génération devra concentrer toute son énergie uniquement sur la performance, pour tout laisser sur le terrain et obtenir de bons résultats. Nous, pour le moment, nous devons investir un peu d’énergie pour obtenir de meilleurs moyens, de meilleures infrastructures et de meilleures conditions pour pouvoir être performantes. J’aime être une footballeuse et j’aimerais pouvoir concentrer 100% de mon énergie sur la performance, mais bon, c’est ce que nous devons faire et c’est notre responsabilité. » Malgré les récentes avancées, la capitaine espagnole dénonce une société machiste, où « le fait de ne pas avoir les mêmes ressources est dû au simple fait d’être une femme ». Guidées par Irene Paredes et Alexia Putellas, les plus jeunes arrivant en sélection savent que la route vers la pleine égalité de traitement est encore longue, mais elles n’hésitent pas à le dire.

Dans notre cas, nous n’avons jamais eu la couverture médiatique dont bénéficient les garçons, donc je ne me suis jamais inquiétée de ce qu’ils allaient dire ou de savoir si je pouvais perdre des campagnes de pub ou des sponsors.

« Comme nous n’avons jamais rien eu, nous n’avons rien à perdre »

« Nous souffrons beaucoup moins que nos prédécesseurs et nous espérons que celles qui viendront auront encore moins d’obstacles. De nombreuses anciennes joueuses se sont battues pour que nous soyons ici aujourd’hui », salue la jeune Amaiur Sarriegi, 21 ans et remplaçante d’Alexia lors de cet Euro. Récemment, les joueuses du championnat espagnol ont toutes fait grève pour exiger de pouvoir vivre de leur sport, alors que leurs conditions ressemblaient à celle de sportives amateurs. Après des mois de lutte, un accord a finalement été conclu entre les clubs féminines et la FUTPro, syndicat des joueuses créé par elles-mêmes, fixant un salaire minimum de 16 000 euros par an pour les joueuses à temps plein et de 12 000 euros pour les joueuses à temps partiel. Mais bien au-delà de leur propre sort, les joueuses tentent aussi de porter d’autres causes sociétales. Dans la lutte contre les violences faites aux femmes, contre les victimes de la prostitution, contre les cancers féminins, contre le handicap, contre l’homophobie dans le sport, les joueuses de la sélection espagnole se veulent être « des modèles ». « Tout comme nous sommes un exemple de beaucoup de choses, maintenant nous sommes aussi un exemple pour donner de la visibilité et essayer de normaliser l’homosexualité », estime Irene Paredes le 28 juin dernier, alors que la sélection a elle-même décidé d’arborer un brassard aux couleurs arc-en-ciel lors de son match de préparation contre l’Australie.

« Dans le sport, il y a encore un manque de modèles à suivre, regrette sa coéquipière Mapi León, qui avait fait son coming-out en 2018 et s’était opposée aux Mondiaux en Russie et au Qatar en raison du non-respect des droits humains. Je pense que cela peut avoir un rapport avec la peur d’être pointée du doigt, la peur de recevoir des critiques ou la peur de ne pas s’accepter tout simplement. Dans notre cas, nous n’avons jamais eu la couverture médiatique dont bénéficient les garçons, donc je ne me suis jamais inquiétée de ce qu’ils allaient dire ou de savoir si je pouvais perdre des campagnes de pub ou des sponsors. Cela joue en notre faveur : comme nous n’avons jamais rien eu, nous n’avons rien à perdre. » Celle qui préfère ironiser de sa propre situation conclut : « Évidemment, il ne faut pas se déconcentrer : on va en Angleterre pour jouer au football, mais, d’un autre côté, c’est toujours le bon moment pour faire des petits pas de normalisation et de sensibilisation car, pour dire les choses crûment, il y a encore beaucoup de Cro-Magnon. »

Dans cet article :
Dans cet article :

Par Anna Carreau

Propos issus du livre de Danae Boronat No las llames chicas, llamalas futbolistas, de conférences de presse et de l'article de Vogue España « Una puede imaginarse este momento, pero nunca sabe lo que es hasta que lo vive: así afronta la selección española de fútbol femenino la Eurocopa 2022 »

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