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Roberto De Zerbi : « Dans le foot, personne n’invente rien »

Propos recueillis par Andrea Chazy, à Sassuolo
Roberto De Zerbi : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Dans le foot, personne n’invente rien<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

« Ça te dérange si je fume ? » En arrivant dans une salle du centre d’entraînement flambant neuf de Sassuolo, Roberto De Zerbi dégaine d’entrée sa cigarette électronique et se pose. Il est prêt. À 40 ans, l'ex-plus jeune coach de Serie A (détrôné par l'arrivée de Thiago Motta au Genoa) est prêt à faire un premier bilan en marge de sa septième saison comme coach. Entretien fleuve avec un passionné, considéré par ses pairs comme l'un des plus prometteurs de sa génération, et présenté comme quelqu'un qui n'aime pas faire comme les autres.

À quel moment cette passion pour le foot s’est révélée chez toi ?Mon père me l’a foutue dans les veines dès ma naissance, et ça s’est transformé en passion très jeune lorsque j’ai commencé à supporter l’équipe de ma ville, Brescia. J’allais voir l’équipe tous les dimanches, à domicile comme à l’extérieur. On a toujours eu tous les deux ça en nous. On regardait aussi à la maison les matchs de Ligue des champions, de Serie A bien sûr, et j’ai commencé à jouer très tôt.

Tu étais gamin quand la Serie A était au sommet. Tu aimais d’autres équipes que Brescia ?

Et puis, alors que je me dirigeais vers la fin de ma carrière, il y a eu le Barça de Guardiola. C’est l’équipe qui m’a véritablement ouvert l’esprit, qui m’a montré une autre façon de voir le football.

(Il coupe.) Je ne suivais que Brescia et seulement Brescia, comme un supporter. Mais tout m’intéressait déjà dans le football. Pour être honnête, jusqu’à l’approche de la fin de ma carrière de joueur, c’étaient les joueurs qui avaient quelque chose en plus qui captaient mon attention. Les numéros 10, ceux qui ont du talent. Ça pouvait être le 10, le 9, le 11, le 7. Je pensais, et je pense encore d’ailleurs, que le football est déterminé par ces joueurs de qualité. Les joueurs qui font la différence sont le plus souvent ceux-là. C’est plus rare de voir ton numéro 5 faire basculer un match de ton côté. C’est pour cela que tous les joueurs de talent captaient mon attention. Et puis, alors que je me dirigeais vers la fin de ma carrière, il y a eu le Barça de Guardiola. C’est l’équipe qui m’a véritablement ouvert l’esprit, qui m’a montré une autre façon de voir le football.

Tu parles beaucoup de ton passage en Roumanie, à Cluj. Que c’est notamment là-bas que tu as eu l’idée d’entraîner. Pourquoi ?Là-bas, j’étais seul et sans famille. Il faisait très froid, et j’étais très souvent à la maison. Du coup, soit j’écoutais de la musique, soit je regardais du football. On était en 2010, à l’époque du grand Barça. J’ai eu du temps pour m’ouvrir, pour ouvrir mon esprit à ce qui est devenu mon travail aujourd’hui. La télévision rediffusait les matchs de Ligue des champions, et j’ai pris le temps d’apprendre, de comprendre ce que faisait cette équipe. Parce que cette équipe de Barcelone a marqué son époque.

Mais comment tu faisais pour faire tout cela depuis ton appartement à Cluj, en Roumanie ?Pour ensuite pouvoir le transposer dans la réalité, et bien tu dois commencer à comprendre pourquoi. Tu regardes, tu réfléchis et tu te demandes : « Comment fait-il pour donner cette connaissance à ses joueurs ? » S’il y a une phase de jeu que tu aimes, mais que tu ne comprends pas de fond en comble, c’est à ce moment-là que tu dois faire l’effort d’aller au bout. Pour l’entraîneur, c’est encore pire. Car l’entraîneur doit la comprendre et ensuite la faire comprendre à ses joueurs avec la parole, l’entraînement, les exemples. C’est plus complexe que de simplement comprendre seul cette phase. Comprendre tout seul est accessible, faire comprendre à d’autres est déjà un peu plus complexe.

Tu expliques notamment que ce déclic en Roumanie, il a aussi été dû à la présence de nombreux joueurs étrangers. Exactement. Ça aussi, ça a participé à mon ouverture d’esprit. Il y avait pas mal de Portugais, et à cette époque-là, Mourinho était au top et proposait par ailleurs un football totalement différent du Barça. Il y avait également des Sud-Américains, des Européens, et cela m’offrait à moi, l’Italien qui a une vision footballistique et globale assez étriquée et centrée sur l’Italie, une ouverture d’esprit. Quitter mon pays m’a fait comprendre que nous, Italiens, n’étions pas forcément en avance sur les autres dans tous les domaines. Sur certains points, peut-être, mais sur bien d’autres, nous étions en retard.

Tu avais 37 ans lorsque tu as connu ta première expérience d’entraîneur en Serie A à Palerme. C’est un vrai apprentissage d’avoir une première expérience de coach si jeune, à ce niveau, avec Maurizio Zamparini comme président ?(Il souffle.) Il est particulier, je suis particulier… J’ai simplement cherché à faire mon travail du mieux possible, avec une équipe que je n’avais pas construite. Pour te dire la vérité, l’équipe à ma disposition n’était pas de bonne qualité. Et ça a été cela, ma plus grande difficulté là-bas. Aucun entraîneur ne peut faire quelque chose s’il n’a pas des joueurs de qualité dans son effectif. Pas seulement moi, tout le monde.

Oui, enfin, c’était quand même une équipe composée de professionnels avec un minimum de qualité s’ils étaient à Palerme en Serie A, non ?Oui, mais il faut comparer la qualité des joueurs à la division dans laquelle ils évoluent. Si ce sont des joueurs avec une qualité de niveau 5, pour une division qui requiert des joueurs de niveau 10, et bien tu es relégué. Et c’est ce qu’il s’est passé : Palerme a été relégué.

Qu’est-ce que tu fais lorsque tu t’adresses à ton groupe pour la première fois ?Je fais d’abord une première réunion sur les rapports personnels, l’aspect humain, la connaissance de l’autre. Je dois apprendre à les connaître, et eux doivent apprendre à me connaître. Et puis, ensuite, je fais une seconde réunion pour commencer à évoquer l’aspect tactique. Comment est-ce que nous allons jouer ? Qu’est-ce que j’attends d’eux, et comment ? Je cherche, et ça ne m’est pas difficile de leur faire ressentir ce que je suis. Plus je leur parle de mes défauts, de toutes les choses négatives que je peux avoir en moi, mieux c’est. Car à l’inverse, si tu ne montres que le beau, ils vont découvrir un jour ou l’autre le côté sombre. Et ce sera une mauvaise surprise. Je pense que si tu te présentes comme tu es, de manière sincère avec tes bons et tes mauvais côtés, tu fais déjà un pas en avant. Par exemple, c’est mieux de dire une vérité qui va faire mal à un joueur directement, plutôt que d’essayer de la transformer, de l’enjoliver alors que tu sais que c’est un mensonge et que ça va lui apparaître un jour comme une vérité dure à encaisser. La gestion d’un groupe, elle commence à partir de ce moment-là. Dès le mercato.

De dire par exemple à un joueur qu’il ne va pas beaucoup jouer cette saison…Il faut le dire tout de suite. Car, même dans le cas contraire où il gagne finalement sa place, et bien tout va bien. Alors que si tu lui dis qu’il va jouer cette saison et que ce n’est pas le cas… Moi, je ne dis jamais « Tu vas jouer » ou « Tu ne vas pas jouer » . Je dis : « Dans ma tête, tu vas jouer » mais à la fin, c’est moi qui décide. Bien évidemment en fonction de ce que le joueur fait sur le terrain. Le problème du joueur, c’est qu’il n’est pas objectif sur ce qu’il fait sur le terrain. Moi en revanche, je suis plus objectif, car que ce soit l’un ou l’autre, ça m’est égal.

Tu avais notamment pris l’exemple de Locatelli, qui arrivait du Milan, et qui avait dû cravacher pour s’imposer en équipe première.Je prends toujours Locatelli en exemple à ce sujet. C’est un talent pur qui doit hausser son niveau d’exigence. Je lui ai dit comme ça : « Dans ma tête, tu pars comme titulaire. » Ce statut de titulaire dans ma tête, tu dois le défendre jour après jour. Il part peut-être comme titulaire, mais le jour d’après, il ne le sera peut-être plus. C’est ma septième année en tant qu’entraîneur, et je n’ai jamais eu de grand problème dans la gestion de mon groupe. Vingt-cinq joueurs d’une équipe multiplié par 7 ans, ça fait combien ? 175 ? Allez, j’ai dû avoir des problèmes avec deux voire trois joueurs maximum. C’est peut-être aussi parce que lorsque j’étais joueur, je voulais en permanence qu’on me dise directement la vérité et pas des conneries.

Ton football est basé sur deux « règles » : l’organisation et le divertissement. Peux-tu détailler un peu ta façon de penser ?

L’enfant, lorsqu’il joue, il s’amuse seulement lorsqu’il a le ballon. C’est d’ailleurs pour cela que tu les vois tous attirés par lui. Plus je l’ai, plus je m’amuse et inversement.

L’organisation signifie que c’est un travail « d’équipe » (sic), et que pour que l’équipe tourne bien, il faut que tout le monde parle la même langue. Si tu joues seul dans un sport individuel, tu dois simplement t’organiser avec toi-même. Lorsque tu es un groupe de personnes, tu dois savoir ce dont a besoin ton voisin, savoir ce que tu dois faire en fonction du choix de ton partenaire. C’est vraiment pareil que lorsque tu construis un palace. Tous ne peuvent pas s’occuper de construire les planchers, tous ne peuvent pas s’occuper des douches ou de fabriquer le ciment et ce n’est qu’en étant organisés qu’ils travaillent mieux. L’amusement, c’est le ballon. Et je prends toujours l’exemple du joueur lorsqu’il est enfant. L’enfant, lorsqu’il joue, il s’amuse seulement lorsqu’il a le ballon. C’est d’ailleurs pour cela que tu les vois tous attirés par lui. Plus je l’ai, plus je m’amuse et inversement. Je raisonnais comme cela lorsque je jouais, et c’est pareil aujourd’hui quand j’entraîne.

Tu évoques souvent cette image des enfants qui vont jouer au parc ou à l’oratorio. Pourquoi ?Un travail, si tu le fais en t’amusant, tu le fais mieux. Mais attention, lorsque l’enfant joue au football, il s’amuse, mais il n’a absolument pas envie de perdre. L’enfant ne rigole pas lorsqu’il joue, il y a une forme de sérieux. L’image qui me plaît, c’est justement de voir cet enfant, dans un parc, s’amuser en jouant, mais en n’ayant aucunement envie de perdre. Ce n’est pas un passe-temps, un moment où tu ne te donnes pas à 100% et c’est ça qui est intéressant. À l’inverse, si tu ne t’amuses pas, cela commence à devenir un poids et jouer devient alors plus compliqué.

Mais c’est possible aujourd’hui de transporter cet ADN de l’enfant qui joue dans un parc à une équipe professionnelle ?

Lorsque tu fais de la tactique à l’entraînement, c’est comme lorsqu’une femme va chez l’esthéticienne et qu’elle se fait enlever les poils à la cire. C’est beau ensuite, non ? Sauf que sur le moment, eh bien ça fait mal.

Oui, c’est possible. Mais toutes les choses ne sont pas amusantes, il y en a aussi des chiantes. Moi aussi, je suis chiant dans ma façon de travailler. Mais le dimanche, ce n’est que lorsque tu as le ballon et que les choses que tu as bossées toute la semaine fonctionnent, que tu t’amuses. Attention, à l’entraînement aussi tu t’amuses. Mais l’entraînement n’est pas fait que de petits matchs. Lorsque tu fais de la tactique à l’entraînement, c’est comme lorsqu’une femme va chez l’esthéticienne et qu’elle se fait enlever les poils à la cire. C’est beau ensuite, non ? Sauf que sur le moment, eh bien ça fait mal.

Personnellement, je ne sais pas.Moi non plus. Mais c’est ma femme qui me le dit.

Comment as-tu développé ta philosophie de jeu dans un pays où vaincre est la seule chose qui compte ? « Vaincre est la chose qui compte » , c’est assez banal finalement. C’est comme dire… (Il marque une pause.) C’est comme dire que j’aimerais être grand, beau, riche, ne pas travailler, être en vacances toute l’année, avoir la plus belle femme du monde, les plus beaux enfants du monde, la plus belle voiture… C’est évident que tout le monde veut gagner. Après, tu as besoin de choisir quelle route tu prends pour arriver à ce résultat. Elle est là, la différence. Gagner est la seule chose qui compte ? Bien sûr. Ma façon de voir les choses n’est ni la pire ni la meilleure, je sais simplement ce que je crois. Et je ne me fatigue pas à transmettre ma façon de voir les choses à mes joueurs, car je les choisis. Eux aussi, ils croient en ce que je leur propose de ce fait. Il n’y a pas qu’eux qui ont besoin d’être convaincus par ce que je propose. J’aime travailler lorsque le directeur sportif est convaincu, le président, l’attaché de presse, la secrétaire, le photographe, les supporters…

Tous doivent être convaincus par ce que tu proposes ?Non, ils ne doivent pas être convaincus. Simplement, s’ils sont convaincus, c’est mieux. Mais dans les deux cas, j’avance quand même.

Tu n’aimes pas gagner par hasard et tu as évoqué un match lors de ton passage à Palerme où, face à la Sampdoria de Giampaolo, ton équipe gagnait, mais ne jouait pas vraiment comme tu le souhaitais.Ce jour-là, je m’en rappelle, il restait seulement vingt minutes. On jouait à Gênes avec Palerme et nous menions 1-0 face à la Sampdoria. On jouait extrêmement mal ce jour-là, j’étais au club depuis 3-4 matchs. Je me suis alors tourné vers mon adjoint, et je lui ai dit : « Si c’est comme ça la Serie A, si c’est pour jouer comme ça, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas en être. Si c’est pour voir ça, je préfère retourner en Serie C, là je me divertis. » Il m’a répondu : « Allez Roberto, regarde le match, on en parlera demain. » La Sampdoria a égalisé à la 96e minute. En rentrant aux vestiaires, j’ai dit à mes joueurs : « Pourquoi êtes-vous déçus ? C’est normal qu’ils aient égalisé ! » Est-ce qu’on aurait pu gagner ? En rejouant le match dix fois, oui, une fois ou deux. Mais sur la durée, je n’y crois pas. Je crois que la façon qu’a un entraîneur de voir le foot dépend beaucoup de son caractère. Lorsque tu joues comme ça en espérant gagner sans être protagoniste, ce n’est pas une bonne façon de faire. C’est un raccourci. Ce n’est pas une façon selon moi de préparer le futur. Tu navigues à vue en faisant ça. Moi, j’ai besoin de savoir ce que je fais aujourd’hui, ce que je fais demain, ce que je fais dans un mois, dans un an.

Comment ? Pour en arriver là, j’aime quand mon équipe arrive au stade le dimanche et qu’elle sait tout. C’est la phase de préparation, d’ordre essentiel. Il faut avoir étudié. Après, comme je suis un esprit libre, je suis en capacité de décider ce que je veux faire de ma vie. Et j’aime aussi quand ceux qui m’entourent sont comme ça. C’est pour ça que, même si mes joueurs doivent tout savoir en arrivant sur le terrain, je veux que ce soit eux qui prennent la décision le moment venu. Ça ne m’intéresse pas de les manœuvrer comme si j’avais un joystick sur la Playstation. Lorsque le match débute à 15h le dimanche, le joueur doit faire le choix qu’il juge le plus pertinent. Il doit être ouvert, libre, respecter son prochain. Tu ne peux pas faire autrement que ce que tu es, sinon, c’est contre-nature à ta façon de voir la vie.

Il y a eu des matchs qui t’ont conforté dans cette façon de voir le football ?

Un président qui met de l’argent et qui en perd, ça montre que ce n’est pas seulement un sport. C’est de la passion. Si on n’a pas cette passion en nous, nous sommes justes des poupées gonflables.

Il y en a eu énormément. Mais pas seulement dans les matchs. Le football n’est pas un simple sport, c’est aussi un moyen d’exprimer son caractère. De l’entraîneur en passant par les joueurs ou même le supporter. Ce dernier exprime sa personnalité, son sentiment d’appartenance comme un fils qui va au stade avec son père. Il y a un transfert d’idéaux qui s’y opère, ce n’est pas simplement un sport. Un président qui met de l’argent et qui en perd, ça montre que ce n’est pas seulement un sport. C’est de la passion. Si on n’a pas cette passion en nous, nous sommes juste des poupées gonflables. Tu sais comment ça se passe avec une poupée gonflable ? Tu pars avec et puis… Bref, la poupée gonflable n’a pas d’émotion. Le professionnel froid et détaché n’a pas d’émotion non plus, au contraire d’un autre, passionné, qui reçoit et transmet de l’émotion. Comme avec un public passionné, tu ressens de l’émotion.

Quand tu vois et tu parles avec un joueur pour la première fois, c’est quelque chose que tu cherches chez lui ? De voir que c’est un passionné ?J’essaie avant tout de le comprendre. Certains ont cette passion déjà en eux, d’autres ne l’ont pas et j’essaie de leur transmettre. Mais ce n’est pas une exigence, ce devrait être un devoir. Simplement car on te paye pour ça, que tu endosses un maillot qui appartient au supporter passionné qui paye, qui pleure même en fonction du résultat final. Tu te dois de respecter ça. C’est un devoir. Mais comme je le disais tout à l’heure, certains voient le football comme ça et d’autres voient ça comme un métier, pensent que le supporter paye son billet et n’a rien à redire derrière. Mais ce n’est pas ma façon de voir le foot.

Tu répètes souvent que lorsqu’un joueur rate, c’est de ta faute. Que c’est essentiel qu’il n’ait pas peur d’oser.

Le chef cuistot aussi pense savoir faire mon travail. Alors que moi, au cuistot, je ne viens pas lui donner des conseils sur comment couper ses tomates.

Ce n’est pas tout le temps de ma faute. Sur les choses que je demande, c’est normal de dire que c’est de ma faute si le joueur rate. Si c’est une erreur d’inattention, due à un manque de concentration ou un geste superficiel, là non. Mais celui qui se trompe le plus au centre d’entraînement, c’est moi. Parce que mon travail, ici, tout le monde pense savoir le faire. Ton travail, je ne pense pas savoir le faire. Le travail de la secrétaire, je ne pense pas non plus savoir le faire. Pareil pour celui du physiothérapeute. En revanche, lui pense savoir faire mon travail, la secrétaire aussi. Le chef cuistot aussi pense savoir faire mon travail. Alors que moi, au cuistot, je ne viens pas lui donner des conseils sur comment couper ses tomates.

L’importance du résultat occupe-t-elle trop de place dans le football actuel ?J’ai une autre idée. Le résultat est aussi important pour moi que pour n’importe qui. Le problème, c’est la prospective. Le résultat, c’est la finalité. Et je ne peux pas commencer à travailler en partant de la fin.

On est quand même mieux ici, assis dans des fauteuils pour faire l’interview plutôt que sur deux scooters qui roulent l’un à côté de l’autre, pas vrai ? Tu t’exprimes toujours mieux lorsque tu es dans les meilleures conditions possibles. Berardi ne va peut-être pas marquer tout le temps, l’équipe ne va pas gagner en permanence, mais on aura tout fait pour que ça arrive.

(Il mime.) C’est comme si tu as une pyramide face à toi, et que la pointe correspond au succès. Ceux qui partent de cette pointe en descendant étage par étage se disent : « Que dois-je faire pour gagner ? » Ensuite : « Je dois marquer un but. » Puis : « Que dois-je faire avant de marquer un but ? Ne pas en prendre. » Et ainsi de suite. Moi, je pense qu’il faut faire l’inverse et partir d’en bas. Comment faire pour marquer ? Avoir des joueurs de qualité et les mettre dans les meilleures conditions. Et ainsi de suite jusqu’au résultat.

C’est aussi pour cela que tu insistes pour que ton gardien relance au pied en permanence ? Qu’il n’y ait jamais de longs dégagements ?(Il se lève et se dirige vers un terrain-tableau muni d’aimants.) Si Berardi reçoit le ballon à 50 mètres du but adverse dos au jeu sur un dégagement, ou bien à l’entrée de la surface adverse face au but à la suite d’une phase de possession qui a fait monter l’équipe ensemble, c’est évident qu’il y a une phase qui me rapproche du résultat espéré plus que l’autre. Il faut que mes joueurs offensifs que sont Caputo, Berardi et autres soient dans les meilleures conditions possibles. Mais ça vaut pour n’importe quel métier. On est quand même mieux ici, assis dans des fauteuils pour faire l’interview plutôt que sur deux scooters qui roulent l’un à côté de l’autre, pas vrai ? Tu t’exprimes toujours mieux lorsque tu es dans les meilleures conditions possibles. Berardi ne va peut-être pas marquer tout le temps, l’équipe ne va pas gagner en permanence, mais on aura tout fait pour que ça arrive.

L’an dernier, Pep Guardiola a vanté les mérites du jeu pratiqué par ton équipe au cours d’une conférence en présence de Carlo Ancelotti et d’Arrigo Sacchi. Tu as même été comparé à lui par l’un de tes anciens joueurs, Bacary Sagna. Quelle relation as-tu avec Pep Guardiola ? C’est un modèle ?

Guardiola, c’est le numéro 1. C’est un point de référence pour beaucoup qui ont une certaine idée du jeu.

Guardiola, c’est le numéro 1. C’est un point de référence pour beaucoup qui ont une certaine idée du jeu. Son Barcelone est l’équipe qui a produit le plus beau jeu de mon point de vue. Mais un bon entraîneur doit aussi savoir apprendre des autres. J’ai cherché à comprendre ce qu’il faisait, mais aussi ce que faisait Mourinho, ce que faisaient Klopp, Giampaolo, Sarri, Paulo Sousa, Bielsa, Gasperini et beaucoup d’autres. Beaucoup, mais pas tous.

Comment as-tu choisi les coachs dont tu voulais apprendre ?C’est comme avec les autres êtres humains. Il y a des gens qui te tapent dans l’œil, qui te provoquent quelque chose. De la sympathie, de l’intelligence, une émotion. Tu regardes un match, une équipe jouer et tu es intrigué, ça ne te laisse pas indifférent.

Je prends l’exemple de Guardiola, car en France, certains entraîneurs répètent qu’ils aimeraient le voir à leur poste pour voir s’il ferait mieux jouer leurs équipes avec moins d’argent et de talent. Tu penses qu’avoir des sous est un élément obligatoire pour délivrer un beau football ?L’argent dans le foot, c’est comme dans la vie. Mais ce n’est pas parce que tu as une équipe bâtie avec des millions qu’elle va bien jouer au football. Certaines de celles-ci ne font pas trois passes d’affilée. Alors, l’argent est-il toujours important ? Oui, bien sûr. Mais seulement s’il y a une idée derrière. Si tu n’as pas ça, tu ne feras pas grand-chose avec ton argent. C’est vrai que sans cet argent, Guardiola n’aurait peut-être pas aussi bien joué comme il l’a fait au Barça, au Bayern ou à City. Mais c’est vrai aussi que d’autres équipes bâties avec les mêmes sommes ne font pas trois passes d’affilée. Dans la vie, l’argent t’aide-t-il à être heureux ? Oui. C’est plus facile. Après, ça reste toujours une perception du jeu. Le Barça de Guardiola a gagné en son temps, mais l’Inter de Mourinho a aussi gagné et pourtant, elle ne jouait pas bien. L’un croyait en une façon, l’autre différemment, mais ils ont tous les deux fini par gagner. La France, qui était composée de grands champions, a gagné la dernière Coupe du monde en jouant mal. L’Allemagne et l’Espagne avant eux ont gagné en jouant au foot, alors que l’Italie en 2006 a gagné en jouant mal aussi. Quelle est la vérité ? Personne ne sait. Chacun a ses croyances, ses clés de lecture du jeu, mais il faut respecter celles des autres. C’est une constante dans notre métier que de mal parler de ce qu’il se fait à côté : « Guardiola machin, Guardiola j’aurais aimé le voir à Sassuolo… » Qu’est-ce que ça veut dire ? (Il marque une pause.) Aujourd’hui, Guardiola entraîne Manchester City, pratique une beau football et gagne des titres. Le reste, ce ne sont que des paroles en l’air.

C’est encore possible d’inventer quelque chose dans le football aujourd’hui ?Dans le foot, personne n’invente rien. Mais le foot évolue, avance. Il évolue au niveau tactique, physique, sur le plan de la vélocité. Il évolue, car les règles évoluent aussi. Par exemple cette saison, tu n’es plus obligé d’envoyer ton six mètres en dehors de la surface. Tu peux faire de nouvelles choses avec ça. Tu pourras toujours tenter des choses, mais à la fin, le football viendra t’apporter l’addition comme au restaurant. Et dans le foot, l’addition, c’est le résultat pour tout le monde.

Quelles sont les sources d’inspiration dans lesquelles tu pioches pour les appliquer au football, à ton équipe ? Tu regardes d’autres sports ou tu t’inspires même de trucs qui n’ont rien à voir avec le foot ?Je m’inspire de tout ce qui m’entoure. D’une pensée qui me traverse l’esprit, d’une vidéo vue sur Internet, d’un match, de ce qui se passe dans le monde. De tout et de tout le monde. Je me donne le droit de dire à mes joueurs tout ce qui me passe par la tête.

Par exemple ?Par exemple si je vois au journal télévisé des enfants qui meurent de faim, des petites embarcations qui essayent de rejoindre l’Italie ou une petite fille qui décède d’une tumeur, je me dois de leur rappeler que l’on a de la chance de faire ce que nous faisons. Je n’ai pas de problème à leur dire. Si je pense une chose, qu’elle plaise aux joueurs ou non, je leur dis. Mais toujours avec respect.

Est-ce que tu penses en permanence à ton équipe, même lorsque tu es avec ta famille ? Ils t’ont déjà reproché de penser à comment faire jouer Berardi pendant un repas de famille par exemple ?Toujours. J’aimerais pouvoir changer ça, pour pouvoir donner plus d’attention à ceux qui m’entourent et cela me rendrait probablement plus lucide au moment de justement me pencher sur mon travail. De toujours y penser, y réfléchir, ça te donne davantage de risques de te perdre. Ça t’enlève de la lucidité. Mais c’est dur de changer.

Même la nuit ?Inconsciemment, oui.

Comment vois-tu le futur pour le football ?Le football est fait de périodes. Lorsque je jouais, c’était le pire moment pour les joueurs de talent. Le numéro 10 en Italie était un poste à oublier. On commence un peu plus à redécouvrir ce rôle. Aujourd’hui en Italie, tous les entraîneurs ou presque veulent repartir de derrière et ce n’était absolument pas le cas il y a encore deux ou trois ans. Quand j’ai commencé il y a sept ans, on me prenait pour un gars bizarre lorsque je mettais ça en place. Lorsque la Juve de Conte jouait en 3-5-2, tout le monde en Italie jouait en 3-5-2. Quand Sacchi jouait en 4-4-2, c’était la mode du 4-4-2. Moi, je pense qu’il y a des modes, il y a des périodes, mais si tu crois vraiment en un idéal, alors tu n’es pas influencé par cette mode-là qui est suivie par la masse. Ce qui me fait plaisir, c’est justement d’être vu comme l’un des points de référence. D’être vu comme un coach qui a une vision du football qui lui est propre et qui s’y tient.

Dans cet article :
Giovanni Rossi, l’OM de l’ombre
Dans cet article :

Propos recueillis par Andrea Chazy, à Sassuolo

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