Reynz, le rappeur de la grisaille fan du ballon rond

Karim Benzema ou Christophe Miossec… Le choix est difficile. « J’ai quand même vécu beaucoup plus d’émotions à travers Benzema », reconnaît le jeune rappeur. En ce mercredi 9 mars, soirée de huitièmes de finale de Ligue des champions, Reynz choisit pourtant d’enfiler sa doudoune noire pour rejoindre le Vauban, la mythique salle de concerts brestoise où se produit le compositeur avec qui il rêve un jour de partager un refrain. Le match Real-PSG, il le suivra quand même sur son portable, entre deux chansons à textes soufflées par la « Bonne Carcasse » .

Toujours autant de pluie chez lui

À bientôt 25 ans, Reynz sort son troisième EP, Pluie Vol.2. Comme Miossec, il s’inspire de sa ville grise pour raconter des histoires qu’il met en musique avec son acolyte Protein Papi. Si Karim Benzema est à l’origine de ses premiers émois footballistiques, c’est Orelsan qui lui a procuré un véritable déclic en matière d’écriture. « Il m’a fait prendre conscience qu’il ne fallait pas forcément venir de banlieue ou avoir des trucs hardcore à raconter pour faire du rap. Parfois juste l’ennui, ça suffit », raconte celui qui s’est entouré des ultras du Stade brestois pour son dernier clip. Après avoir rendu hommage au numéro du département à travers son titre « 30-1 » dans Pluie Vol.1, c’est à présent au code postal de sa ville que Reynz adresse un clin d’œil avec son single « 292 » . « Tourner un clip à Francis-Le Blé avec les ultras, c’était un peu un rêve de gosse. Je vais au stade depuis que je suis tout petit avec mon père. En tant que fan de foot, marcher sur la pelouse, que j’admire habituellement des tribunes, a été un gros kiff. Ça m’a mis les frissons », confie-t-il, sourire aux lèvres en repensant à ce moment.

Une grande première pour le stade Francis-Le Blé qui n’avait encore jamais accueilli de tournage de clip (juste un tournage du filmLes Seigneurs, excusez du peu, NDLR). Une expérience inédite également pour les ultras qui ont répondu présents. « Il nous semblait évident de participer au projet. Reynz est un artiste attaché à Brest, comme nous », explique l’un des supporters. « Il est quelqu’un que nous apercevons régulièrement dans les tribunes, il fait partie des nôtres », poursuit-il. « Cela permet aussi d’offrir une autre vision du mouvement ultra », ajoute un second. En parallèle, la collaboration aura permis au rappeur de s’ancrer un peu plus dans l’univers brestois en précisant son identité et de « créer un lien à vie avec les plus fidèles supporters ».

« Tu sais pourquoi on peut lire« Les Enfants de la grisaille »sur la banderole des Ultras Brestois ? » À la suite d’une courte carrière sur la pelouse qui a pris fin à l’âge de 14 ans, Reynz n’a jamais rechaussé les crampons. Aujourd’hui, c’est en enfilant sa fidèle paire de Converses qu’il s’amuse à faire le récit de l’anecdote suivante. « Lors d’un derby à Lorient, les ultras des Merlus avaient provoqué les Ultras Brestois avec une banderole qui disait« Vous êtes les enfants de la grisaille, chez vous le soleil est parti. »Malheureusement pour eux, l’attaque a eu l’effet inverse chez les UB qui ont trouvé ça hyper stylé et ont décidé de reprendre l’idée pour bien narguer les Lorientais. » Un récit qui en dit long sur la mentalité locale. À Brest, hors de question de se prendre au sérieux. Aussi rodés à l’autodérision qu’à la boisson houblonnée, les Brestois aiment clamer haut et fort que leur ville est belle, malgré ses couleurs ternes. « Brest même, des cafards coincés dans une crevasse », c’est par ces mots, à demi ironiques, que Reynz entame le premier couplet de « 292 » . Enchaînant ensuite les rimes, le rappeur né « dans la ville de Gonzalo Higuaín » ne manque pas de faire référence aux stars locales, comme Bruno Grougi.

Allez Le Blé (Photo : Karine Reynaud)

Tiraillé entre Nolan Roux et Paquetá

Depuis sa sortie, le 18 février dernier, le morceau connaît un petit succès à Brest, où il n’est pas rare d’entendre le refrain s’échapper des fenêtres ou de le voir chauvinement utilisé dans les storys Instagram. Mais le clip de « 292 » est loin d’être la première allusion de Reynz à sa passion pour le foot. Sorti en 2019, son premier EP, Olympique Poésie, faisait déjà office de clin d’œil au club de sa ville d’origine : Lyon. « Je suis arrivé à Brest très jeune, mais j’ai toujours gardé un œil sur l’OL, notamment avec mon père qui m’a transmis le goût du foot », raconte l’amoureux du ballon rond. Pourtant, quand on lui demande un de ses meilleurs moments dans un stade, il n’hésite pas à remonter à 2011 et « l’incroyable but de Nolan Roux la saison où Brest est promu en Ligue 1, à domicile contre Rennes ». Puis un second, plus récent : « L’envahissement de terrain lors de la dernière montée de Brest en Ligue 1. J’étais avec mon meilleur pote, l’ambiance était folle », se rappelle-t-il avec plaisir. Lorsqu’on parle de joueurs, son cœur est indécis, mais penche pour le « virevoltant » Lucas Paquetá. « Il a fait deux ans à l’OL, mais c’est la véritable révélation de cette saison », déclare Reynz, avant de continuer : « À Brest aussi, on a des joueurs qui régalent cette saison. Je pense à Romain Faivre qui a rejoint l’OL cet hiver, mais on a encore Franck Honorat ou Adrian Satriano qui vient d’arriver et qui a déjà fait des matchs remarquables. »

Comme prévu au Vauban, Miossec n’a pas encore interprété trois chansons, que le fanatique de football a déjà sorti son portable de sa poche pour connaître le déroulé du match. « Un triplé de Benzema ! Ce joueur est un héros ! », se réjouit-il en essayant de rester discret. « Quelle soirée ! » En effet, un peu plus tôt, c’était l’OL qui remportait le match contre Porto avec un but de Paquetá. « Je bondissais dans mon salon, le match était ouf. » Une euphorie qui ne compte pas lâcher le jeune rappeur de sitôt. « Le week-end s’annonce chargé en bonnes émotions, assure Reynz. « Vendredi soir, pour célébrer la sortie dePluie Vol.2, je joue en première partie de Jok’hair. Je fête mes 25 ans le lendemain et je finis le week-end au stade pour le match Brest-Marseille. » L’excitation se lit dans ses yeux. En quittant ce jeune Brestois ambitieux, qui vit depuis peu de sa musique, on se dit qu’on le retrouvera peut-être, en fin de saison, sur la pelouse de Francis-Le Blé pour interpréter « 292 » . D’ici là, qui sait ? Son single sera peut-être devenu le nouvel hymne du stade. Quelle est la limite des rêves quand on habite une ville où l’horizon se perd entre le bleu du ciel et de la mer ?

(Photo : Franck Prigent)