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Pourquoi ce bordel avec les supporters argentins ?

Par Léo Ruiz, à Buenos Aires
Pourquoi ce bordel avec les supporters argentins ?

À la fin de son match, Franco Nieto s'est fait tabasser à mort par des supporters adverses. Le mois dernier, sept supporters argentins ont perdu la vie, en une seule semaine. Violence, barrabravas, rivalités, aguante, corruption, mafias, territoire, gouvernement, dirigeants, tel serait le lancement d'un Bernard de La Villardière. Tentative d'éclaircissement d'un phénomène complexe, généralisé et englué.

6 novembre, affrontements entre supporters d’Almirante Brown, équipe de troisième division de la banlieue sud-ouest de Buenos Aires, avant un match contre Estudiantes de Caseros : un mort. 8 novembre, match de première division à Córdoba entre Belgrano et Defensa y Justicia : un supporter tombe de la tribune et décède. 10 novembre, les supporters de San Telmo – nous sommes cette fois en quatrième division, au sud de la capitale – se retrouvent dans un bar du quartier pour voir le match de leur équipe. À la sortie, ils croisent des supporters de Dock Sud, le rival historique : affrontements, tirs, deux morts. 11 novembre, match entre Temperley et Crucero del Norte (deuxième division, banlieue sud de Buenos Aires) : un supporter tombe à son tour de la tribune et décède. 12 novembre, des supporters d’Ituzaingó – cinquième et dernière division, banlieue ouest de Buenos Aires – s’affrontent avant un match contre Arenas : deux morts. Le bilan fait froid dans le dos et avait évidemment attiré l’attention des médias internationaux : en une semaine, sept supporters avaient perdu la vie dans le football argentin. Et désormais, un joueur, à La Rioja. « On pourrait ajouter les deux morts du Clásico de Rosario en octobre dernier, les tirs entre les deux factions de la Doce, la barrabrava de Boca Juniors, avant un match contre Tigre, ou encore la présence d’un civil armé sur la pelouse de Lanus, lors du match contre Arsenal » , précise Diego Murzi, sociologue argentin et membre de l’association « Salvemos al futbol » , qui informe et lutte contre cette violence répétée depuis 2008.

« La mort est un horizon possible »

Depuis le retour de la démocratie, en 1983, l’association enregistre 6 à 8 morts par an, avec un pic en 2013, où 13 supporters sont morts. D’où cela provient-il ? « La violence dans le foot argentin a deux origines : la culture footballistique locale et les caisses noires de notre football, répond Diego Murzi. La culture locale, c’est celle de la rivalité exacerbée, du concept de l’Aguante: être « plus supporter » que l’autre, plus fort, plus fidèle, plus résistant, plus courageux. » Dans les tribunes, les chants font constamment référence à cette notion de l’Aguante. Un exemple au hasard, un chant de Boca contre River (surnommé Gallina, Poule en VF) : « Cuando vas a la cancha / Vas con el patrullero / Vos no tenes aguante » (Quand tu vas au stade, tu y vas avec la police, tu n’as pas d’aguante). « Il faut comprendre qu’en Argentine, le recours à la violence est légitime. Pas seulement chez lesbarras, mais aussi entre joueurs, dirigeants, etc. » Dans la société aussi, même si elles ne sont pas toujours superposables, le football ayant sa propre violence. Dans la rue, un incident entre deux voitures se règlent plus généralement à base d’insultes et de coups de poing qu’avec un stylo et un constat. « Les rivalités entre clubs ennemis engendrent des combats pour l’honneur, pour la défense des couleurs, dans lesquels la mort est un horizon possible, à la différence de l’Europe, où il s’agit généralement de « simples » coups » , éclaire Murzi. Il existe à ce propos une différence culturelle entre barrabravas anciens et barrabravas nouveaux en Argentine : le recours aux armes à feu. « Avant, tout se réglait avec une bonne bagarre. Aujourd’hui, l’usage des armes à feu est systématique, comme dans le cas récent des affrontements entre supporters de San Telmo et de Dock Sud » , déplore le sociologue.

Contrôle de la barra, contrôle du territoire

Deuxième origine de la violence : les « caisses noires » . « Il s’agit là des enjeux économiques, de l’argent illégal qui circule en masse entre les différents acteurs du monde du football. Le foot est un gros business : joueurs et entraîneurs gagnent des sommes démesurées, les dirigeants, les agents, les entreprises liées au foot s’enrichissent. Donc lesbarrabravas, qui se sentent eux aussi acteurs centraux du football, par leur présence continue, par l’ambiance qu’ils mettent dans les stades, réclament également leur part » , détaille Diego Murzi. Dans les grands clubs argentins, le contrôle de la barrabrava garantit des entrées d’argent considérables : revente de billets, stationnements, vente de sandwichs et de boissons, vente de produits dérivés, etc. Ce sont des centaines de milliers de pesos qui sont en jeu à chaque rencontre. D’où les luttes internes pour être à la tête de la barra, et donc du business. C’est, par exemple, l’enjeu principal de la guerre que se livrent Rafa Di Zeo et Mauro Martin, deux anciens leaders de la Doce, passés par la case prison. Mais l’argent n’est pas la seule explication. Murzi encore : « Si on prend le cas des supporters assassinés lors des affrontements internes à Ituzaingó, en cinquième division, ou celui d’Almirante Brown, l’argument économique n’est plus valable, parce qu’il n’y a pas grand-chose en jeu. Mais alors, pourquoi s’entretuent-ils ? L’hypothèse principale est celle de la réputation et du contrôle du territoire. En Argentine, l’accès au territoire est très important, car il donne accès à d’autres types de pouvoir, comme par exemple les faveurs des politiques, la reconnaissance dans le quartier, le contrôle des trafics de drogue. »

Derrière les barras, d’autres acteurs

Il est impossible de parler de la violence dans le football argentin sans évoquer le rôle des dirigeants de clubs, de l’État et des médias. Anthropologue, José Garriga Zucal a beaucoup analysé et décrit le phénomène. « Il faut faire attention à ne pas limiter cette violence auxbarrabravas. Et ne pas tomber dans le préjugé selon laquelle les violents sont les pauvres. Certes, le chef de labarraest devenu une figure. Dans la « popular » (le kop), il captive les gamins, qui lui demandent des autographes. Mais les médias se trompent en se contentant de parler d’eux et des morts quand il y en a, seulement quand il y en a. Et les dirigeants, qui les utilisent et les financent ? Et la Fédération ? Et le gouvernement ? L’État ne propose que des solutions immédiates, sans jamais traiter le fond du problème, car il en est l’une des causes. Les supporters adverses ont été interdits il y a deux ans, soi-disant pour limiter les affrontements. Mais depuis, il y a encore plus de morts, et des incohérences, comme l’autorisation de ces mêmes supporters adverses en coupe. Selon moi, cette mesure ne fait que contribuer à nous différencier encore un peu plus de l’Autre, car elle prétend qu’un supporter de River et un supporter de Boca ne peuvent pas regarder un match ensemble. » Et Diego Murzi de compléter : « La presse utilise toujours le même vocabulaire pour qualifier lesbarras. Elle parle de « sauvages », « d’animaux », de « mafieux » et « d’êtres irrationnels ». Mais au contraire, tout est calculé. Ils ne tuent pas par simple plaisir, ou du moins pas dans la majorité des cas. Il y a des ordres et des enjeux. Mais à la limite, la presse vit de ce sensationnalisme. Le pire, c’est l’État. Après la série de morts, Jorge Capitanich, chef du cabinet des ministres, a parlé de « délinquants » et qualifie cela « d’intolérable », comme s’il n’avait rien à voir avec ça. Pareil avec les dirigeants de club. Tout ce beau monde profite desbarras, les emploie, les utilise comme force de combat, puis se lave les mains. »

Par Léo Ruiz, à Buenos Aires

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