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Pauline Londeix : « Le foot a toujours été récupéré à des fins géopolitiques »

Propos recueillis par Lucie Lemaire

À l’occasion de la sortie de son essai Footballs politiques, peut-on encore aimer le sport de haut niveau ?, l’autrice Pauline Londeix raconte sa passion pour le ballon rond. Dans son livre, elle parle des dérives du sport roi, qu’elles soient financières ou idéologiques, mais aussi de sa beauté.

Pauline Londeix : « Le foot a toujours été récupéré à des fins géopolitiques »

Comment est venue l’envie de rédiger cet essai sur le football ?

C’est une passion qui remonte à très longtemps, puis en grandissant, en étant confrontée aux questions de société, d’inégalités économiques, de discriminations, je me suis un peu éloignée du sport, en me disant que c’était peut-être incompatible avec certaines de mes valeurs. Mais je me suis dit : « Cette contradiction, beaucoup de passionnés comme moi doivent y faire face. Si je me pose cette question-là, beaucoup d’autres doivent se la poser. » Le livre a été pour moi une façon d’enquêter.

Le sous-titre Peut-on encore aimer le sport de haut niveau, c’est une question qu’on vous a souvent posée ?

Dans mon monde professionnel, celui de la santé, on ne parle jamais de sport. Quand des personnes qui ne s’y intéressent pas me voient en suivre, ils m’interrogent : « Pourquoi tu aimes le sport ? Il y a mille choses plus sérieuses à traiter avant le sport. » Donc d’une certaine façon, on m’a souvent posé cette question et c’est peut-être aussi une façon de répondre à tous ces gens qui ne comprennent pas pourquoi le sport a une place aussi importante dans la société et le rôle majeur qu’il peut jouer.

On peut s’indigner que le Qatar ou l’Arabie saoudite récupèrent le football, mais il y a eu une Coupe du monde en Russie avant, ça a fait moins débat.

Pauline Londeix

Le football professionnel masculin brasse beaucoup d’argent, sans doute trop maintenant. Cela a un impact plutôt négatif sur le sport et son image, non ?

Disons qu’il y a beaucoup de problèmes, notamment la question de la récupération politique et géopolitique. Mais le sport a toujours été récupéré à des fins géopolitiques. Par exemple, on peut s’indigner que le Qatar ou l’Arabie saoudite récupèrent le football, mais il y a eu une Coupe du monde en Russie avant, cela a fait moins débat. Il y a aussi des questions de cohérence à se poser. Cela fait partie d’un système avec ces dérives-là malheureusement, et évidemment il faut les combattre comme on peut. Sur les questions de régulation économique, de violences, de discriminations notamment, il y a beaucoup de choses qui peuvent être faites.

 

Crédit photo : Roberta Perrone, TDR
Crédit photo : Roberta Perrone, TDR

Justement au sujet des discriminations, on a beaucoup parlé de la lutte contre l’homophobie avec les affaires Mohamed Camara à Monaco ou Nabil Bentaleb à Lille…

C’est effarant de bêtise… Ce n’est même pas une question de ne pas avoir compris à quoi servait cette journée, c’est vraiment montrer de façon ostentatoire qu’ils étaient absolument contre la lutte contre l’homophobie, et d’une certaine façon, cela implique qu’ils trouvent que l’homophobie est légitime. Je trouve ça vraiment choquant, triste que quelqu’un se dise : « Je vais, de façon vraiment ostensible, montrer que je suis contre quelque chose contre la violence. » Je pense que les actions de sensibilisation sont essentielles et doivent continuer. On se focalise sur deux joueurs qui ont refusé d’y participer, mais il y a sûrement beaucoup de choses positives avec ceux qui acceptent et qui le font parce qu’ils comprennent ce que cela implique. Il faut se raccrocher au positif.

À l’inverse, on reproche souvent aux footballeurs de ne pas prendre la parole sur certains sujets. Il faudrait absolument leur demander de prendre position sur tout ?

Les sportifs doivent d’abord faire ce qui est leur métier, c’est sur cela qu’ils seront jugés. Je pense à l’arrêt des matchs quand il y a des insultes racistes et à ce que disait Lilian Thuram lors d’une audition à l’Assemblée nationale : c’est problématique de faire reposer tout sur les sportifs. Bien sûr, on peut espérer que des joueurs se disent : « Je ne reprends plus le jeu », mais il y a tellement d’autres personnes, chez les dirigeants, dans les ligues, qui peuvent prendre des décisions. Les sportifs ont une responsabilité, mais l’engagement ne peut pas reposer uniquement sur leurs épaules parce qu’ils doivent aussi être extrêmement performants. La prise de position forte sur des sujets difficiles attire forcément une attention sur eux, un bad buzz, du harcèlement… Peut-être que ce n’est pas hypercompatible avec la performance qu’ils doivent livrer.

En parlant de performance et de course à la performance, de nombreux sportifs mettent en danger leur propre corps en minimisant la dangerosité des tacles, des blessures ou en revenant trop vite. En tant que professionnelle de la santé, qu’en pensez-vous ?

Sur ce point, les joueurs ne sont pas les premiers responsables. C’est quelque chose qui a été intégré. Je travaille depuis plus de 15 ans sur les questions de santé, j’y suis vraiment très sensible. Dans la société, on voit qu’il y a un manque d’investissement sur la prévention. Dans le football, j’ai parlé en off avec différents kinés qui ont travaillé pour des grands clubs de foot en Europe, et qui m’ont, à chaque fois, dit la même chose : beaucoup de gros clubs ont énormément de moyens, mais n’ont pas suffisamment de staffs médicaux, il y a beaucoup de turnover. Parfois, la prévention de rechute de blessures de certains joueurs importants peut être bâclée, et cela pose question.

Vous confirmez également que les footballeuses sont plus souvent victimes de ruptures des ligaments croisés.

C’était vraiment au croisement de différents travaux que je suis tombée sur un travail de recherche de la journaliste Anna Carreau, qui a signé un papier pour So Foot très intéressant là-dessus l’été dernier. En le lisant, je me suis dit que cela recoupait complètement mes travaux : la recherche de la part des équipementiers pour faire des crampons adaptés à la morphologie des femmes est quasiment inexistante. Dans la préparation physique, il n’y a pas non plus de prise en compte des spécificités du développement musculaire des femmes, qui est un peu différent de celui des hommes pendant l’adolescence. En enchaînant les matchs à cet âge-là, les joueuses semblent avoir plus de risques d’avoir des blessures parce que leur développement musculaire n’est pas aussi abouti.

 

Une Ligue féminine de football professionnel vient d’être créée en France. Peut-on enfin espérer des améliorations à ce niveau-là ?

En Italie, où je vis, le statut professionnel des joueuses a vraiment changé la donne parce que ça leur permet aussi de prendre leur retraite plus tôt, il y a cette prise en compte de l’impact sur leur corps sur le long terme. Donc en France, on pourrait espérer que cela aura aussi cet effet positif. Après, il faut espérer que tout le reste suive, le statut professionnel ne suffira pas, il faut aussi que les structures d’entraînement soient adaptées, que les équipes puissent s’entraîner sur du gazon et pas sur du synthétique, que les conditions pour les joueuses soient vraiment en adéquation avec le haut niveau qui leur est demandé.

Ça me paraissait essentiel de passer en revue tout ce que l’on peut reprocher au sport.

Pauline Londeix

Après avoir évoqué les nombreuses dérives, la dernière partie du livre semble plutôt être une ode au football, comme si vous preniez sa défense. Vous y teniez ?

Absolument ! Je ne voulais pas que ça fasse catalogue des violences et du négatif dans la première partie, mais ça me paraissait essentiel de passer en revue tout ce que l’on peut reprocher au sport, et c’est vrai que la seconde partie, c’est vraiment un hommage à ce sport que j’aime énormément. L’idée, c’était de m’adresser à des personnes qui pensent que le football est un sport un peu stupide ou qui n’en comprennent pas forcément le fonctionnement ni le rôle dans la société, et d’avoir une réflexion intellectuelle autour de ce jeu. Je voulais sortir de quelque chose de trop manichéen, qu’il y ait une sorte d’équilibre.

Vous parlez de « tournant » dans votre livre, vous êtes plutôt optimiste ou pessimiste quant au futur du football ?

J’ai envie d’être optimiste, mais surtout pour le football féminin, dans le sens où le football masculin est vraiment pris dans des enjeux géopolitiques qui échappent quasiment à tout le monde. On voit Emmanuel Macron qui prend l’avion pour aller voir Florentino Pérez (président du Real Madrid) ou l’inverse. Je pense que le football féminin se cherche encore. Il est peut-être l’avenir du football, au niveau tactique. Il y a une marge de progression importante, mais il faut justement saisir cette opportunité de guider ce sport vers moins de dérives que le football masculin. Pour lui, c’est peut-être un peu trop tard.

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