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On a vu monter le FC Nantes

Par Thomas Pitrel, à Nantes
On a vu monter le FC Nantes

Il y a eu les hôtels de luxe, il y a eu les concertos de Vivaldi, il y a maintenant le chemin de croix du FC Nantes. Après quatre saisons passées en Ligue 2, les Canaris ont retrouvé l'élite ce vendredi soir et ont fêté ça comme il se doit. Récit, des tribunes aux vestiaires, des vestiaires au centre-ville.

Depuis le début de la semaine, les appels au calme s’étaient multipliés. Le message officiel du club à l’attention des supporters nantais était clair : s’il vous plaît, n’envahissez pas la pelouse ! C’est que le FC Nantes a un sursis au-dessus de la tête et risque une grosse amende, voire une suspension de stade, si son public déconne encore. À la 87e minute du match, la victoire sur Sedan semblant acquise, tout comme la montée en Ligue 1, le speaker se fend d’une petite relance : « Le club vous le demande à nouveau, restez dans les tribunes. » Huées. Évidemment. L’envahissement de la Beaujoire, qui a toujours refusé de cloîtrer l’audience derrière des grillages, est devenu une tradition à Nantes, que ce soit pour fêter les titres ou pour s’indigner d’une descente, comme en 2007. Comparaison hasardeuse : essayez de forcer le Mur Jaune de Dortmund à s’asseoir, vous verrez comment vous serez reçu.

Alors au coup de sifflet final, évidemment, le mince cordon de stadiers ne peut pas grand-chose face à la marée humaine. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’ils ont reçu des instructions pour ne pas s’interposer. En deux minutes, la pelouse est noire d’un peuple jaune et le discours change au micro : « Amis supporters, votre club retrouve la Ligue 1 ! […] Car un club comme Nantes ne meurt jamais. […] On va sans doute avoir une prune, mais c’est pas grave. C’est moins grave que de ne pas monter. » Les fumigènes s’allument, les écharpes sont brandies. Sur le pas de la porte de sa loge, Patrice Loko a le sourire. Devant ses yeux, des dizaines de drapeaux. Ceux de l’Algérie et de la Bretagne, comme dans tout événement qui se respecte en France (avec un supplément ici pour le « gwen ha du » breton). Celui du Venezuela, aussi, en hommage à Gabriel Cichero et Fernando « El Vikingo » Aristiguieta, qui avaient séché le Harlem Shake de début mars pour faire le deuil d’Hugo Chávez.

Crackhead et champagne dans les cheveux

La sono du stade résonne maintenant des noms des héros locaux : Filip Djordjevic, 18 buts cette saison, Michel Der Zakarian, qui fait monter Nantes en Ligue 1 pour la deuxième fois en tant qu’entraîneur, Rémy Riou, impeccable dans les cages sur les deux matchs décisifs. Tous sont ovationnés, sauf un, Waldemar Kita. Toujours très critiqué, le propriétaire des Canaris vit également sa deuxième montée en Ligue 1, mais il avoue dans les tribunes qu’il vit ce soir sa « plus belle émotion » . Près des vestiaires, d’où parviennent maintenant les cris de victoire et de soulagement, le président se fait pourtant discret, préférant laisser à son fils Franck le soin de répondre aux interviews. Assis derrière le bureau de la salle de presse, Michel Der Zakarian a les yeux qui brillent dans le vague, et de la mousse de champagne collée dans les quelques cheveux qui lui restent. Lui que l’on a l’habitude de voir si remuant sur son banc semble avoir avalé une boîte de tranquillisant pour chevaux. « Pour être honnête, quand on a perdu contre Clermont (35e journée, ndlr), j’ai vraiment eu peur, avoue-t-il. Mais là le club a 70 ans, moi je viens d’en avoir 50, j’ai fêté mes 30 ans de mariage, je suis heureux. Parce que quand je vois des gens heureux, ça me rend heureux. »

Les tee-shirts « Retour vers la Ligue 1 » (avec la typographie de « Retour vers le futur » …) sont de sortie et rappellent au passage les titres de champions décrochés par les équipes de CFA2, U19 et U17. Lucas Deaux débarque d’on ne sait où, deux bouteilles de G.H.MUMM sous le bras, une tondeuse à la main, tout sourire. Elles semblent loin, ses larmes de la 4e minute, après son expulsion précoce. Willy Grondin, entraîneur des gardiens, se marre au micro de France Bleu. Il ne sait pas encore qu’il va se faire coincer dans les vestiaires et se faire raser intégralement le crâne. Dans le couloir, un gamin alpague Aristiguieta comme un crackhead aborde un dealer. « Hey, y a moyen d’avoir un petit truc ? » « Que ? No comprendo pas. » « Ouais, c’est ça, mytho, va. » Un peu plus loin, après une petite séance photo-souvenir, Djordjevic s’éloigne seul en buvant du champagne au goulot. Aux abords du stade, les friteries vendent leurs dernières formules merguez-frites-Kronenbourg. La rencontre est terminée depuis 1h30, l’action se déplace. Tout le chemin entre le stade et le centre-ville est pavé de klaxons. Les chiens de garde des usines avoisinantes aboient, mais la caravane passe. À l’arrêt Haluchère, le dernier tramway de la soirée n’ouvre même pas ses portes. Paumé au milieu des lotissements de la Souillarderie, un couple de retour d’un déménagement s’énerve : « Mais ça ne sert à rien, le foot, ça ne sert à rien les footeux ! » Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

Cône orange et canaris géants

Comme d’habitude à Nantes, le centre névralgique de la célébration est situé sur la place Royale, dont la fontaine a été investie quelques minutes après le coup de sifflet final, avant d’être entourée de 2000 à 3000 fêtards. La statue en marbre blanc représentant une femme à trident, symbole de la ville, a perdu un peu de sa superbe avec un cône orange sur la tête. Les bouteilles de vodka orange passent de main en main, le sol est bientôt jonché de morceaux de verre et de restes de fumigènes. On se tape dans la main, on s’embrasse. Sans que l’on puisse déterminer s’il est sérieux ou pas, un type regarde les vitrines de la rue d’Orléans avec une pointe de regret : « Et dire qu’on était venu pour péter tout ça. » Contexte oblige, les « évènements » du Trocadéro sont dans toutes les têtes, mais ce n’est pas vraiment l’esprit de la soirée.

Le seul incident arrive très précisément à 1h25, lorsqu’un petit groupe, visiblement énervé par la présence de cinq ou six CRS à un coin de la place, s’emploie à les invectiver à bonne distance. Pas de bol, un flic en civil traîne dans le coin et plaque le « leader » au sol, provoquant un mouvement de foule. Quelques bouteilles volent en direction de la maréchaussée. C’est le moment choisi par quatre mecs pour débarquer déguisés en canaris géants et se faire prendre en photo avec tout le monde. Les keufs reculent. Plus d’ennemi, plus de colère. De toute façon, le gros des troupes s’est déjà déversé dans les bars des environs. Certains en sont déjà à faire des concours de celui qui pisse le plus haut sur les façades de la rue de la Marne. Un solitaire titube et fait des tours sur lui-même au milieu du cours des 50 otages. Une jeune fille grimpe sur le dos de son compagnon qui s’étale de tout son long sur le trottoir. Demain, il y aura la gueule de bois. Oui mais demain, il y aura aussi la Ligue 1.

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