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« On a 10 000 matchs enregistrés »

Propos recueillis par Thomas Pitrel, à Donetsk
7 minutes
«<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>On a 10 000 matchs enregistrés<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Ce dimanche, pas de joueur au point presse des Bleus mais Thierry Marszalek, responsable du pôle documentation, informatique et vidéo à la FFF. Pour une fois, il s’est donc dit des choses intéressantes.

En quoi consiste votre travail ? Je suis analyste vidéo. Mon travail consiste à analyser nos adversaires à travers leurs matchs. J’observe aussi les matchs de l’équipe de France pour proposer un montage au staff technique. Je fais ça depuis 98 et c’est un travail qui a beaucoup évolué dans le temps. Aujourd’hui, on individualise beaucoup. On fait des montages collectifs, mais aussi des montages sur les performances des joueurs. J’essaie aussi de coupler les statistiques à la vidéo pour avoir un retour sur la performance du joueur. On travaille évidemment avec le staff technique en permanence. Laurent Blanc s’occupe de l’analyse du match de l’équipe de France, Alain Boghossian et Jean-Louis Gasset s’occupent de l’adversaire. Je travaille aussi avec Franck Raviot (l’entraîneur des gardiens) et Philippe Lambert, parce que tous les entraînements sont filmés, décortiqués. On a fait l’acquisition d’un système GPS, tout ça est relié. Donc, mon travail est d’apporter des outils aux entraîneurs et de faire de la veille technologique pour qu’on soit le plus performant possible.
Comment utilisez-vous le GPS ? C’est Philippe Lambert qui s’en occupe, nous, on a simplement couplé la vidéo. On a des données cardiaques, des données sur la vitesse, sur l’intensité des chocs, sur les sauts. Après, comme tous les entraînements sont filmés, on peut avoir un rendu visuel sur les efforts. Philippe Lambert récolte toutes les données physiologiques, nous, on se charge de synchroniser les données du GPS avec la vidéo.
Qu’avez-vous préparé pour le match contre la Suède? Exactement la même chose que ce qu’on prépare pour les autres adversaires. On a suivi la Suède dans ses matchs de préparation contre la Serbie et contre l’Islande, puis sur les deux premiers matchs de poule. On a aussi des entraîneurs qui sont partis en observation. On récupère leurs rapports et on va faire un travail de montage d’une vingtaine de minutes maximum pour présenter aux joueurs les caractéristiques du jeu de la Suède. Je ne vais pas vous donner ici le contenu de la séance, mais on travaille à peu près sur tous les adversaires de la même façon. Une étude très poussée, très approfondie. Un match d’1h30, on passe de 6 à 8 heures dessus. Il y a des déplacements, des choses qui sont intéressantes quand on les revoit plusieurs fois.
Est-ce que l’analyse de l’Espagne, de l’Italie ou de la Croatie a déjà commencé ? Bien sûr. Tous les matchs de l’Euro sont couverts par des entraîneurs nationaux. On a deux entraîneurs par match qui nous rendent un rapport. C’est un travail peu connu, mais qui est très utile pour nous. Ces entraîneurs viennent ensuite à Kirsha pour faire un debriefing avec le staff technique. Ce sont des informations très précises parce qu’à la télé, on ne voit pas tout. Chaque entraîneur a une ou deux équipes à suivre.
Combien de temps dure un montage individualisé et qui est demandeur ? Un garçon comme Karim Benzema est systématiquement demandeur. Il vient chercher son montage, il travaille dessus. On prend 5 à 10 secondes avant l’action du joueur, 5 à 10 secondes après l’action, selon les cas. Au total, ça dure une dizaine de minutes pour les attaquants, 25 minutes pour les milieux de terrain. Contre l’Ukraine, Ribéry a touché 100 ballons, son montage durait 22 minutes. Tout dépend de l’activité du joueur. Le montage d’Hugo Lloris était beaucoup plus réduit (rire). Ce qui est intéressant c’est qu’on observe aussi les déplacements du joueur sans ballon. On a des plans larges donnés par l’UEFA. Dans le cas de l’Ukraine, vous aviez deux extérieurs, Konoplianka et Yarmolenko, qui jouaient faux pied, donc qui rentraient systématiquement à l’intérieur. Ce sont des détails qu’on peut donner en leur disant attention, lui il va rentrer pour frapper.
On a vu Alain Boghossian montrer des schémas tactiques sur un ipad aux joueurs qui s’apprêtaient à rentrer. Qu’est-ce qu’il y a dessus ? C’est un petit logiciel qui permet de faire des animations. Quand on effectue un changement, on peut expliquer au joueur comment il va rentrer, dans quelle position, les conséquences que ça va avoir pour son jeu. Il y a aussi la position sur les coups de pied arrêtés. Chaque joueur a une fonction bien particulière. Il peut être dans le mur, au marquage, au poteau, en zone…
Quel est votre rôle pendant les matchs ? On fait de l’observation individuelle. À l’aide de l’ipad, on tague tous les ballons touchés par chaque joueur. Après, on a un travail de vérification. On désigne qui marque qui sur les coups de pieds arrêtés et on vérifie que cette désignation est correcte. Si elle ne l’est pas, on va tout de suite la rétablir en prévenant le staff technique. On saisit aussi des statistiques en temps réel et on peut donner ces informations au staff technique à la mi-temps ou à la fin du match.
Le GPS, les entraînements filmés, est-ce que ça a déjà influé sur une composition d’équipe de Laurent Blanc ? C’est lui qui peut vous répondre. Mais ce sont des données intéressantes parce qu’on peut avoir des éléments en direct. Pendant l’entraînement, on sait quelles sont les charges subies par les joueurs. Influer sur la composition d’équipe, ça me paraît beaucoup, mais on peut dire qu’on arrête un peu tel joueur parce qu’il est au-dessus, ou que tel autre n’a pas travaillé assez et qu’on doit le faire travailler spécifiquement. Ce qui est intéressant, c’est l’individualisation du travail.
Comment s’est exercé votre œil en 14 ans ? L’expérience fait que plus les années passent, plus on peut apporter quelque chose au staff technique. Le foot a beaucoup évolué, mais, ce qui est intéressant, c’est qu’à travers le temps, les nations conservent leur identité. Par exemple, la Suède joue un 4-4-2 en zone, intégral, à plat, depuis 14 ans. C’est intéressant d’avoir l’historique de l’évolution de ces pays.
De combien d’heures d’archives disposez-vous à Clairefontaine ? Le centre technique a été créé en 1988 et, depuis, on enregistre systématiquement tous les matchs qui passent à la télé. On a environ 10 000 matchs, internationaux comme de clubs. On a aussi créé un serveur vidéo que l’on peut interroger d’ici. On a mis en place une liaison internet haut débit, on n’a pas emmené les 10 000 cassettes et DVD.
Comment ça se passe dans les autres sélections ? Quand on a commencé, on avait de l’avance, on faisait partie des premières sélections à travailler en ce sens. Aujourd’hui, on s’aperçoit qu’on n’a plus cette avance parce que les gens ont mis des moyens importants. Maintenant, à la Coupe du monde féminine, l’équipe d’Allemagne avait quatre personnes qui s’occupaient de l’observation. Je crois qu’à Manchester City, ils sont sept au service vidéo. Ils ont systématiquement le montage de leur performance, mais aussi celui de l’adversaire qu’ils vont rencontrer. Moi, je dirige un service de cinq personnes au total. On a un peu perdu cette avance, même si on fait tout ce qu’on peut pour rester à la pointe.
Est-ce que vous retirez une certaine fierté quand un but est marqué grâce à une faille que vous aviez relevée ? Oui, mais on a beaucoup d’humilité, on sait que notre travail ne représente qu’un pourcentage infime de la réussite des joueurs qui sont sur le terrain. Quand on prépare un match, on prévoit un scénario, donc, quand il s’applique, on est satisfait et quand on se trompe complètement, on se remet en cause.

Propos recueillis par Thomas Pitrel, à Donetsk

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