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Nice-ASSE, retour sur un moment de folie

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Nice-ASSE, retour sur un moment de folie

Les images des incidents de dimanche dernier à l'Allianz Riviera ont fait le tour des médias. Comment expliquer un tel déferlement de violence ? Tentative d'éclaircissement.

Tout a commencé le vendredi par un communiqué de presse de l’association Populaire Sud, le groupe qui prend la suite de l’ancienne Brigade Sud (dissoute en 2010 sur décision du ministère de l’Intérieur) au cœur du kop niçois. Les ultras locaux y annonçaient qu’ils entameraient la rencontre contre Saint-Étienne par une grève des chants et qu’ils annulaient le tifo initialement prévu sur toute la tribune. La raison ? Un courrier de la préfecture envoyé à plusieurs membres de l’association afin de leur adresser un « avertissement » pour avoir consommé de l’alcool aux abords du stade à l’occasion de Nice-Marseille du 18 octobre dernier, contrevenant ainsi à un arrêté préfectoral diffusé 4 jours plus tôt. Selon le communiqué de la Populaire Sud, il n’y a pourtant eu aucun contrôle de cette éventuelle consommation d’alcool. Les ultras niçois s’insurgeaient donc : « Qu’est-ce qui justifie que l’on montre du doigt quelques personnes alors que des milliers d’autres, au même moment, « boivent un coup » avant le match ? Certaines directement dans les loges du stade où l’alcool est distribué gratuitement et à volonté… » Dimanche, ils ont tenu parole, mais leur manifestation de mécontentement a été totalement éclipsée par les violents incidents survenus à l’arrivée des supporters stéphanois dans le secteur visiteur de l’Allianz Riviera.

Les images qui tournent en boucle ont choqué l’opinion. Des supporters des deux camps se jetant des projectiles, notamment des sièges. Un fan des Verts, en sang, qui prend un coup de pied en pleine face. Un autre qui est à deux doigts de tomber à l’étage inférieur avant d’être rattrapé de justesse par des camarades. Un parcage évacué par les CRS avant même le début du match. Bref, des scènes que l’on avait heureusement perdu l’habitude d’apercevoir dans les gradins des stades français. Comment a-t-on pu en arriver là ? Pas si facile à savoir alors que l’enquête est encore en cours et que les groupes de supporters des deux camps contactés par nos soins (Magic Fans et Green Angels ainsi que Populaire Sud et Armada Rumpetata Nissa) refusent de communiquer « pour ne pas entretenir la polémique » selon les termes utilisés tant côté stéphanois que côté niçois.

Bus caillassé or not bus caillassé ?

Dès dimanche, les supporters des Verts ont prétendu, photo à l’appui, que le bus des Indépendantistes Stéphanois, un petit groupe du Kop Nord, aurait été touché, entre la sortie de l’autoroute et l’arrivée au stade, par des projectiles, une vitre étant abîmée par un impact sans être complètement détruite. Une version relayée par le président de l’ASSE, Roland Romeyer, devant les caméras de télévision juste après les incidents. Mais, dès le dimanche soir, Marcel Authier, directeur départemental de la Sécurité publique des Alpes-Maritimes, précisait : « Il y a peut-être eu un projectile qui aurait atteint un bus, mais c’est pour l’instant une rumeur. » André Bloch, responsable de la sécurité du club niçois, allait ensuite plus loin dans les colonnes de Nice-Matin : « D’après la gendarmerie qui a escorté les bus depuis le Var jusque dans les sous-sols où ils sont protégés, il n’y a eu aucun jet de projectile. » Le lendemain, l’OGCN publiait sur son site un article affirmant que « les images de vidéosurveillance captées lors de leur entrée dans l’Allianz Riviera démontrent sans ambiguïté qu’il n’y a eu aucun « caillassage » des bus stéphanois. Pas un véhicule n’y apparaît avec une vitre brisée. »

Laurent*, un abonné de la populaire sud niçoise présent dimanche, accrédite cette thèse. Il a vu passer un des bus stéphanois devant le noyau des ultras niçois, tenus à bonne distance par les forces de l’ordre. « Je n’ai vu aucun jet de projectile, mais je n’ai pas vu passer tous les bus. Il y a peut-être eu quelques objets lancés en direction des bus à un autre moment. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il n’y avait aucune volonté de tendre un guet-apens aux supporters stéphanois. De notre côté, les gens étaient calmes avant le match et n’avaient pas d’intention d’en découdre avec les Verts. » Vincent*, un supporter stéphanois ayant fait le déplacement à Nice, mais non affilié à un groupe ultra, affirme pourtant avoir bien vu la vitre touchée : « C’est un double vitrage, la première vitre a cassé et la seconde était abimée. D’ailleurs, je crois que la compagnie de car va porter plainte. »

Des sièges qui volent

Qu’une vitre ait légèrement été atteinte ou pas, tout le monde s’accorde à penser que ce n’est pas l’arrivée en bus au stade qui a provoqué le déferlement de violence. D’ailleurs, les supporters stéphanois sont entrés paisiblement dans le stade et sont calmement montés vers leur tribune. À l’entrée dans le parcage, Vincent reconnaît que les ultras stéphanois ont lancé des insultes aux Niçois. Chants auxquels des supporters de la tribune voisine, occupée par l’Armada Rumpetata Nissa (ARN), le second groupe ultra niçois, auraient répondu par quelques jets de projectiles. Leur nature fait cependant débat. Vincent, comme Fabien, un ex-Green Angels qui a témoigné mardi dans L’Équipe, affirme que le parcage a reçu des objets dangereux comme des « boulons » . Laurent, l’abonné de la populaire sud, ne croit pas à cette version : « Je suis entré juste après dans le stade, donc je n’ai pas vu le début de l’incident, mais ce n’est pas le genre de l’ARN de lancer des boulons. Il y a peut-être eu des jets de bouteille ou de manche de drapeaux, mais ça m’étonnerait vraiment qu’il y ait eu plus que ça. »

C’est alors que selon plusieurs témoignages dont celui de Vincent, un fan des Verts casse un siège et le lance vers les Niçois, comme l’ont également reconnu deux supporters stéphanois dans L’Équipe et Nice-Matin. Puis, c’est l’engrenage, les sièges du secteur visiteur volent dans tous les sens. Selon les propos tenus à l’AFP par Julien Fournier, le directeur général de l’OGCN, « 220 sièges ont été endommagés » . Vincent, comme Fabien dans L’Équipe, assure qu’il n’y avait aucune préméditation. C’est l’enchaînement de plusieurs petits actes isolés qui aurait complètement fait dégénérer la situation. Un point sur lequel tout le monde s’accorde, c’est la fragilité des sièges. Selon Laurent, le Niçois, « ça nous pose problème dans notre tribune. Les sièges se cassent très facilement, sans aucune volonté de détériorer le matériel. C’est vraiment dangereux. J’espère que ces incidents seront un mal pour un bien et qu’on remplacera vite ces sièges complètement inadaptés. » Julien Fournier renchérit auprès de l’AFP : « Ces sièges peuvent se casser sans volonté de destruction et se coupent en pointe. » Le directeur général du club niçois affirme avoir déjà attiré l’attention du concessionnaire du stade sur ce point.

Ça part en bagarre de l’autre côté

Voyant ça, quelques supporters de la populaire sud décident de faire le tour du stade pour se rapprocher du secteur visiteur. Selon Laurent qui entre dans le stade à ce moment-là, « un petit groupe est parti vers la tribune opposée, par les coursives qui permettent de faire le tour du stade. La plupart des ultras niçois étaient encore hors du stade et n’ont rien vu des incidents. » Un autre habitué de la populaire sud complète : « Parmi les présents, ça a choqué pas mal de monde de voir que les sièges volaient dans des secteurs occupés par des supporters paisibles, dont des familles. C’est pour ça que certains ont réagi. » Vincent confirme avoir alors vu apparaître un petit groupe d’ultras locaux près du parcage (de l’autre côté que celui de l’ARN). Peu après, certains ultras stéphanois ont franchi le plexiglas les séparant de la tribune niçoise pour en découdre avec leurs adversaires. Plusieurs photos et vidéos font état de ces bagarres. « On se serait cru revenu dans les années 1990, s’étonne un autre supporter des Verts. Je n’avais plus vu des incidents comme ça depuis des années. »

Tous les témoignages recueillis affirment que les CRS ont mis beaucoup de temps à intervenir, une rumeur affirmant qu’ils n’arrivaient pas à trouver les clés permettant d’accéder à la tribune. Enfin, quand les CRS entrent en tribune pour repousser les supporters stéphanois sortis du parcage, « les gars passés de l’autre côté se sont précipités pour revenir dans la tribune stéphanoise, raconte Vincent, et l’un d’eux a failli tomber dans le vide » .

Des responsabilités partagées

Les supporters stéphanois se remettent alors à chanter avant d’être progressivement encadrés par les forces de l’ordre qui finissent par les évacuer avant même le début du match. Vincent est alors « très déçu évidemment, mais on est sortis dans le calme. Il y avait rien à faire vu le nombre de flics. Et on était bien conscients de ce qui s’était passé. »

Car si les supporters stéphanois qui nous ont parlé affirment n’avoir pas délibérément attaqué les Niçois, mais avoir répondu à ce qu’ils ont considéré comme des provocations, ils ne rejettent pas la faute sur le camp adverse. Pour un abonné du kop nord, « on ne crie pas au loup contre les supporters niçois, c’est la sécurité de leur nouveau stade qui doit être remise en cause. » En effet, les failles en matière d’équipement et de dispositifs de sécurité sont apparues béantes. Il faut espérer que ces incidents, dont les conséquences auraient pu être dramatiques, permettront de rectifier le tir en adaptant l’architecture de l’enceinte et en améliorant l’encadrement policier des supporters visiteurs.

Mais les supporters stéphanois sont également conscients de leurs propres responsabilités. « On ne peut pas défendre l’indéfendable » , reconnaît volontiers Vincent. Un autre fan des Verts admet que plusieurs de ses camarades ont « complètement pété les plombs » .

Des ultras face à leur responsabilité

Face à la violence des incidents et des images diffusées, les autorités sportives et publiques ont immédiatement réagi. Frédéric Thiriez a insisté sur la nécessité de renforcer la répression et évoqué une fin possible des déplacements de supporters. Manuel Valls a rappelé, avec Valérie Fourneyron, « la fermeté et l’intransigeance » du gouvernement face aux violences des supporters avant d’inviter les dirigeants des clubs à faire preuve de plus de responsabilité envers les supporters.

Avec ces incidents, les ultras, prompts à critiquer la politique répressive à leur égard, ont, une nouvelle fois, donné le bâton pour se faire battre. Alors qu’ils dénoncent leur mise à mort par les autorités, ils donnent souvent l’impression de creuser leur propre tombe. Depuis dimanche, des débats sans fin agitent les forums ultras entre ceux qui critiquent vertement les débordements de l’Allianz Riviera et ceux qui rétorquent que de tels incidents ont toujours fait partie du mouvement ultra. Laurent formule les choses de manière plus large : « Les gens aiment l’ambiance des ultras, les tifos, les chants, etc. Mais ils ne voient pas que la ferveur débouche nécessairement parfois sur des dérapages. Ils voudraient les bons côtés des ultras, sans les mauvais. C’est illusoire. » Est-ce vraiment si illusoire que ça ? Le mouvement ultra ne devrait-il pas faire son examen de conscience, définir ses priorités et limiter les débordements ? Après tout, il a évolué depuis ses débuts dans l’Hexagone il y a bientôt 30 ans. Pourquoi serait-il incapable de le faire encore ?

Associer répression et prévention ?

Laurent, abonné de la populaire sud niçoise, va cependant plus loin. « À force de restreindre nos moyens d’action, nos libertés, les autorités nous foutent la pression et ça finit par exploser. Aujourd’hui, qu’est-ce qu’on peut encore faire dans un stade ? Quels sont les espaces de liberté ? Ils sont infimes, alors qu’il faudrait qu’ils soient importants pour calmer les gens. On ne peut plus faire de banderoles ironiques, on ne peut plus lancer des chants d’insulte, on ne peut plus faire de deuxième degré, toutes nos chorégraphies sont contrôlées… On n’a plus de marges. On est dans une société castratrice où le principe de précaution est partout. Et en même temps dans une société hyper-violente. Les deux sont liés. Et c’est pareil au stade. »

Dans un précédent article que nous avons consacré aux ultras, le sociologue Ludovic Lestrelin soulignait justement que « la perception de l’injustice peut être un moteur puissant de mécontentement, mais aussi de tension voire de radicalisation » avant d’ajouter : « On a là tous les ingrédients d’un cercle vicieux… » Partant de ce constat, plusieurs voix ont appelé ces derniers jours à ne pas se contenter d’une répression ferme, déjà bien développée en France, mais à adopter une politique plus globale associant cette nécessaire répression à un travail de prévention et de dialogue : Ludovic Lestrelin s’est exprimé notamment sur le site du Figaro, Nicolas Hourcade, sociologue et collaborateur à So Foot, sur celui du Monde, Franck Berteau, auteur du récent Dictionnaire des supporters dans Le Plus du Nouvel Observateur ou Pierre Barthélémy, avocat de plusieurs fans parisiens, dans les Cahiers du Football.

En invitant à une table ronde sur la situation des stades, associant tous les acteurs dont les supporters, l’AS Saint-Étienne s’engage aussi dans cette voie, dans une lettre ouverte publiée mardi soir. Idée séduisante, mais confrontée à de nombreux obstacles. Il faudrait en effet que les autorités ouvrent un dialogue fermé depuis de longs mois. Et que les groupes ultras s’interrogent vraiment sur leur rapport ambigu à la violence. C’est pas gagné…

Par Quentin Blandin et Antoine Aubry, avec Nicolas Kssis-Martov et Mathieu Faure

* Les prénoms ont été changés. Merci aux supporters qui ont accepté de nous répondre même anonymement.

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