Mourinho ou l’hyper licencié
« Ce pays est fou ». Pedro Santana Lopes l'a mauvaise sur un plateau de la LCI portugaise. Pedro Santana Lopes se voyait comme un type important, ancien maire de Lisbonne et fugace Premier ministre (quatre mois), et voilà qu'on le coupe en pleine interview pour un événement de la plus haute importance : José Mourinho pose valise à l'aéroport de Lisbonne. Qu'est-ce qu'il croyait Santana ? Le Special One qui revient au pays, ça rivalise avec la sortie de prison de Paris Hilton.
Il est partout : impossible d’allumer sa télé ou d’ouvrir un journal sans tomber sur lui, et ne comptez même pas sur le journal de la nuit. José Mourinho soit l’hyper licencié, mange l’espace médiatique au Portugal. Du moins les médias portugais servent du Mourinho à haut débit, près de 20 minutes dans tous les JT le jour de son départ de Chelsea.
A côté, notre hyper président passerait pour le premier Frédéric Nihous venu.
Mourinho arrive en ville donc. Au même moment l’opposition de droite du pays, le PSD, tient son congrès. Mauvais timing. En difficulté dans son parti après sa défaite aux législatives de 2005, l’ancien Premier ministre Pedro Santana Lopes vient s’expliquer sur le plateau de SIC Noticias, quand en plein développement de sa pensée, la présentatrice du journal le coupe pour un duplex de la plus haute importance. Mourinho serait arrivé à l’aéroport de Lisbonne en provenance de Londres. Duplex de plusieurs minutes, un troupeau de journalistes aux fesses du Special One, SIC Noticias peut le confirmer en exclusivité : José Mourinho n’aurait perdu aucun bagage en vol. Le Portugal respire. Retour en plateau, Santana Lopes entre dans une colère froide. « José Mourinho est beaucoup plus important que nous tous, cela ne fait aucun doute. Son arrivée met le pays en délire. Les problèmes politiques n’intéressent personne. Je suis venu ici au prix d’un sacrifice personnel et je suis interrompu par l’arrivée d’un entraîneur de foot. Je pense que ce pays est fou. Je ne vais pas continuer l’interview, vous avez encore à apprendre certaines choses » .
L’épisode rappelle celui de Mika Brzezinski. Cette journaliste américaine de la chaîne MSNBC est devenue via YouTube, la porte étendard du ras le bol face à la pipolisation de l’info, pour avoir refusé d’ouvrir son journal par la sortie de prison de Paris Hilton et tenté d’immoler la feuille où figurait l’info en question.
Plus qu’un autre politicien, Pedro Santana Lopes sait pourtant que le football occupe une place déraisonnable dans son pays. Chaque personnage politique se doit de se doter d’un avis sur les choses du ballon rond et d’afficher sa préférence pour un club. Lui-même a construit une partie de sa notoriété en flirtant de très près avec le foot. Entre 1995 et 1996, il préside ainsi le Sporting Portugal, puis livrera ses pensées footballistiques en tant que chroniqueur pour divers médias. Le mélange des genres ne le dérange alors pas. A l’époque, il comprend qu’au même titre que l’économie ou la sécurité, le foot s’avère une thématique comme une autre pour exister sur la scène politique. On ne va pas radoter avec les exemples de Berlusconi et Tapie. « Un mélange d’astrologue et de commentateur sportif » avait d’ailleurs balancé sur lui l’actuel président de la Commission européenne, José Manuel Barroso, quand Santana Lopes cherchait à le contester à la tête du PSD.
Calculé ou non, son coup de sang lui a valu en tout cas de recevoir le soutien de ses congénères politiques de tous bord, eux aussi révulsés par ce manque de respect affiché par SIC Noticias. Même la presse écrite – pas toujours bienveillante à son encontre – salue son attitude. Mais du côté de la chaîne incriminée, on ne cherche pas à s’excuser. Bien au contraire. Le directeur adjoint de l’information juge la sortie de Santana Lopes « inappropriée et disproportionnée » . Pour la SIC, cette interruption entre dans le cadre d’une logique éditoriale : « L’arrivée de Mourinho est l’évènement qui a marqué la nuit » . A savoir, un mec qui part de l’aéroport en voiture pour rentrer chez lui.
Pour défendre nos confrères, il faut admettre que Mourinho s’avère l’unique rock star portugaise, le George Clooney du coin et le plus grand penseur lusophone de sa génération pour ceux qui n’auraient pas encore compris.
Le Portugal se rêve en Mourinho, moderne et sûr de sa force dans un costard hors de prix. Il se projette dans ce petit adjoint parti de rien, pour devenir l’une des figures centrales du football européen. Celui qu’on admire ou exècre, mais qu’on respecte. Le Portugal ferme les yeux sur ses provocations, célèbre son parachute doré comme une victoire en Coupe d’Europe. Mourinho peut tout se permettre, comme refuser pour l’instant le poste de sélectionneur sous prétexte que ça reviendrait à un boulot de pré-retraité. Mourinho peut tout se permettre, ce pays est fou de lui mon cher Santana. Fou de l’image qu’il lui renvoie.
Alexandre Pedro
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