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Lucas Chevalier : « Le foot, ça reste quelque chose d’assez fragile »
Il y a un peu plus de trois ans, Lucas Chevalier jouait le maintien en Ligue 2 avec Valenciennes. Cet été, le gardien de 23 ans a signé au Paris Saint-Germain après avoir marqué les esprits au LOSC et s'être fait une place chez les Bleus. Le voilà numéro un chez le champion d'Europe en titre et prêt à ramener un premier trophée contre Tottenham. Entretien avec un jeune homme pressé d'en découdre.

Pour ton bizutage chez les Bleus, tu as choisi Gilbert Montagné. Pourquoi ?
Tout le monde connaît Les sunlights des tropiques ! C’est l’une des musiques des années 80 que j’apprécie le plus. Je n’ai pas été bercé avec, mais j’ai eu l’habitude de l’entendre lors des fêtes de famille, les anniversaires, les mariages… Et puis, j’aime bien Gilbert Montagné, sa façon de penser, sa folie, donc ça m’est venu. Ça s’est décidé la veille de mon arrivée à Clairefontaine, le dimanche soir. Je rentrais du match contre Nice avec un ami, et en réfléchissant tous les deux, on s’est dit que Gilbert Montagné, ça pouvait emporter les gars du groupe, être festif. Et en effet, tout le monde a suivi.
Que gardes-tu de ce premier rassemblement, au-delà de cette performance au micro ?
C’est un peu comme quand tu montes en pro. D’abord, tu te fais petit, tu sais que tu es observé, alors tu essaies juste de bien faire les choses. Ça a été tout un nouveau système en équipe de France, avec plus de sécurité, un staff plus important, des joueurs à découvrir… Il y a également eu la conférence de presse, qui met direct dans le bain et qui n’est jamais simple, car on te demande dès ta première fois en sélection tes ambitions, la place que tu veux avoir dans le groupe, mais aussi ton avis sur le conflit israélo-palestinien, tout ça en ayant conscience que chaque parole peut avoir un impact national, donc tu y vas avec des pincettes. Puis, petit à petit, tu te libères. Ce n’est pas que tu n’es pas naturel, mais tu ne peux pas être relâché au maximum. Malgré ça, tu te dois de devenir un joueur de l’équipe. Il faut t’adapter, être acteur. C’est un équilibre à trouver et rapidement tu découvres l’impact qu’une sélection peut avoir autour de toi sur tes proches, tes amis, ceux qui regardent le foot…
On commence la journée de bonne humeur ! ☀️ Lucas Chevalier a régalé hier soir lors de son "bizutage" en Bleu 🎤😂#FiersdetreBleus pic.twitter.com/wxwv4JmFBA
— Equipe de France ⭐⭐ (@equipedefrance) November 13, 2024
Comment tu l’as mesuré, cet impact ?
Après le match en Italie, je suis allé voir ma famille, et j’ai senti que les gens me regardaient un petit peu plus, ou du moins différemment. Je sens que je vais devoir faire plus attention en allant faire mes courses, chercher mon pain… Ce n’est pas déplaisant. Je prends ça comme une étape de plus dans un début de saison où il y avait déjà eu mes premiers matchs en Ligue des champions. Ça ne va pas me faire disjoncter. C’est du kif, une suite logique. Pas d’enflammade.
J’ai toujours tourné à l’adrénaline, à la résilience, à la haine de l’échec. Gamin, je pouvais péter un plomb pour un but, et même pleurer après une défaite.
Depuis le début de ta carrière, on a quand même l’impression que tu cherches le feu. C’est le cas ?
J’aime le feu. J’aime ça depuis petit. J’ai toujours tourné à l’adrénaline, à la résilience, à la haine de l’échec. Gamin, je pouvais péter un plomb pour un but, et même pleurer après une défaite. Par contre, je n’avais qu’une envie : que le prochain match démarre pour défoncer l’adversaire. J’ai un mental de compétiteur et la sensation que je suis un peu différent dans ma façon de penser. Certaines personnes peuvent prendre ça pour de l’arrogance, mais non, j’ai juste de l’ambition et ce n’est pas forcé. J’ai simplement besoin de ça, de me lever le matin avec un but, l’envie de progresser, de chercher l’étape d’après… Je pense qu’il y a trop de gens qui se brident, qui ne se lâchent pas par peur de potentielles conséquences.
C’est quoi cette différence ?
À chaque fois que j’ai dû saisir une opportunité, j’ai répondu présent. Il faut un petit peu de chance, mais quand ça se répète deux, trois ou quatre fois, c’est qu’il y a quelque chose. Moi, à la base, la seule chose que je savais, c’est que j’avais du talent et que ça m’a donné un petit peu d’avance. Je l’ai compris vers l’âge de 10 ans, quand je suis arrivé à l’AS Marck. À chaque tournoi, je voulais finir meilleur gardien et j’y parvenais. Je voulais écraser tout le monde. Quand tu vois que tu es supérieur à tous les gardiens que tu croises, forcément, tu te dis que tu es différent, que tu as sûrement un truc. J’avais des qualités de vitesse, de saut, de détente au-dessus de la moyenne, qui faisaient que j’allais chercher des ballons que d’autres joueurs de mon âge ne pouvaient pas attraper. C’est ça qui m’a attiré dans le poste : ce côté un peu fou, sauveur, le mec qui plonge…
Le mec qui va chercher les ballons au fond du filet, aussi.
Sur mon premier match, j’ai dû encaisser onze ou douze buts. J’ai détesté cette sensation, mais ça ne m’a jamais dégoûté. C’était plutôt : « Ok, tu vas voir le prochain ballon… » C’est ce qui a étonné mon père parce que généralement, à cet âge-là, tu peux vite perdre confiance.
Avant de devenir des onzièmes joueurs, les gardiens ont longtemps été ces mecs cinglés qu’on mettait dans les buts pour leur personnalité. Comme Jérémie Janot, par exemple, avec qui tu as travaillé à Valenciennes et chez les Espoirs. Il t’a appris quoi, comme coach, lui qui vient d’une autre époque ?
Parfois, tu as des entraîneurs de gardien qui, par ego, accompagnent des joueurs, mais ne veulent pas que le gardien accompagné fasse mieux qu’eux. Je pense que ça existe réellement. Jérémie Janot a été dans un truc où il m’a fait évoluer en pensant à ma carrière et en ne pensant plus à la sienne. Lui et moi, on s’est entendu au bout d’un jour. En Ligue 1, tout le monde le connaît : son tatouage, sa fantaisie, ses maillots… Même s’il n’a pas atteint l’équipe de France, il a laissé un truc et il a marqué une différence. Il m’a aussi amené de la bonne humeur, une forme de passion, une capacité à bosser sérieusement sans jamais se prendre trop au sérieux. Nicolas Dehon, qui est mon entraîneur des gardiens à Lille depuis cet été, c’est pareil. C’est un mec décalé et j’aime ça, les gens qui sortent un peu du troupeau, qui ont une autre vision, qui font parler…
À terme, j’aimerais me pencher un petit peu sur des instruments de musique. J’ai envie de trouver un passe-temps qui me fait triper à côté du foot. C’est important de déconnecter.
Tu es quel genre de mec, toi ?
Ça fait maintenant six ans que j’habite seul, et j’aime ça. Je sais que pas mal de gens ne comprennent pas, mais je peux être chez moi, à m’ennuyer, et partir me faire un bon resto tout seul. Je peux aller au cinéma tout seul, à la plage tout seul… Mes amis n’ont pas forcément les mêmes calendriers, et puis je me retrouve avec moi-même. À terme, j’aimerais me pencher un petit peu sur des instruments de musique. J’ai envie de trouver un passe-temps qui me fait triper à côté du foot. C’est important de déconnecter. On a une vie étrange, nous, les gardiens. On est des solitaires. Je pense que c’est ce qui m’a attiré : l’entraînement à part, le maillot différent, les gants… Pourtant, c’est arrivé dans ma vie un petit peu par hasard. Un jour, il manquait un gardien dans l’équipe de mon frère, j’ai dépanné et quelque chose s’est passé. En grandissant, j’ai regardé pas mal de reportages sur le poste et j’ai compris que, finalement, tous les gardiens ressentent la même chose. On a tous des qualités différentes, on ne gère pas nos émotions de la même manière, mais les joueurs nous prennent tous pour des fous. Tu ne fais pas gardien juste pour être gardien, tu le deviens parce que tu es attaché à ce que ça peut représenter.
Comment tu définirais ton style ?
Je suis un petit cocktail, un mix entre l’ancienne et la nouvelle génération. Quand j’ai commencé, le poste n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui, notamment au niveau du jeu au pied. Au LOSC, on ressortait le ballon, mais quand j’ai été prêté à Valenciennes (en 2021-22, NDLR), on ne m’a jamais demandé de relancer court. On va dire qu’il y a eu plusieurs étapes dans ma construction, mais vers l’âge de 15-16 ans, j’avais déjà compris qu’être gardien, ce n’était pas uniquement faire des arrêts sur sa ligne, en tout cas si je voulais atteindre le top niveau. En Ligue 1, avec un jeu au pied moyen, si tu es excellent sur ta ligne, tu peux trouver une place dans un club de milieu de tableau. Par contre, si tu as l’ambition de toucher le très haut niveau, tu dois t’ajuster au pied. Au LOSC, chez les jeunes, j’ai travaillé avec Mickaël Delestrez, qui était très porté sur les sorties de balle et le jeu court, à l’extrême même, et ensuite, c’est vraiment Paulo Fonseca qui m’a fait changer de dimension dans ma capacité à lire le jeu. Ça n’a pas été qu’un travail technique. Il m’a appris à gérer le dosage, le timing, mes déplacements, ceux des adversaires, à voir avant pour bien choisir mes contrôles…
Je n’ai pas eu le temps de tergiverser. Fonseca m’a fait débuter en ligue 1 à 20 ans, au Vélodrome. D’entrée, il me demande d’avoir une paire de couilles
Comment on apprend tout ça ?
On a d’abord fait des mises en place tactiques, parfois très longues, et il m’a fait comprendre que j’étais le facteur X de son projet de jeu. En tant que premier relanceur, si je ne prenais pas la bonne décision à la base, je faisais sauter tout le mécanisme. Ça n’a pas été évident au début, et je n’ai pas eu le temps de tergiverser puisque Fonseca m’a fait débuter en Ligue 1 à 20 ans, au Vélodrome. Par son approche, d’entrée, il m’oblige à avoir une paire de couilles. Avec lui, on a vraiment proposé quelque chose de nouveau et au départ, le public n’a pas trop compris. C’est quelque chose qui demande du temps. Il faut déjà que le groupe intègre ces idées, alors avant que ça soit compris par l’extérieur… Le plus important, ça a été de continuer, d’insister, de ne pas lâcher. J’aurais pu rater une passe et arrêter de prendre des risques balle au pied, mais non, j’ai gardé le cap.
Un nouveau Chapitre commence à Paris ! ❤️💙 pic.twitter.com/cbOf2bkVxa
— Paris Saint-Germain (@PSG_inside) August 9, 2025
Un jour, à Rennes, tu as dit que tu avais « la place du mort ».
Et c’est vrai ! Je reconnais quand je fais des erreurs, mais parfois, elle arrive parce qu’on est tellement obnubilé par l’idée de relancer court qu’on me file certains ballons n’importe comment en estimant que je vais tout gérer (Rires.) Ce n’est pas si simple. Je dois parfois prendre une décision en une demi-seconde, relancer à l’arrache, et ça peut être suivi d’une erreur de pressing, d’un but… Tu peux alors ramasser alors que ton erreur est parfois la conséquence d’une somme d’erreurs collectives, d’un procédé. Je me souviens d’un match à Lorient, le premier d’Ignacio Miramon avec nous. On avait déjà nos repères, on échangeait entre nous derrière et on sortait dans l’axe après avoir déclenché le pressing adverse, sauf que dès le début du match, je sens qu’Ignacio est tendu et deux-trois fois, alors qu’il est libre, je ne lui mets pas pour ne pas le mettre en difficulté. Les minutes défilent et certains coéquipiers me disent : « Lucas, la solution, c’est Ignacio, go ! » C’est plein axe, je ne le sens pas en confiance, mais à un moment donné, il est seul et je lui mets le ballon, sauf qu’il est hésitant et se fait attraper. Derrière, ça fait but. Les gens n’ont pas compris, même si le coach m’a dit que j’avais fait mon taf, que j’avais respecté le timing… Il faut avoir le courage de tenir cette idée de jeu. Tu sais qu’à chaque sortie de balle, tu peux déséquilibrer l’équipe, mais tu sais aussi qu’un risque pris au bon moment peut déstabiliser tout un bloc adverse. Et franchement, quand ça passe, que ça casse deux lignes, c’est tellement jouissif !
Si demain, quelqu’un me dit que je suis trop bas, je m’opposerai. C’est comme ça que je me sens bien et jusqu’à présent, ça ne m’a jamais porté préjudice, donc pourquoi changer ?
Cette saison, Manuel Neuer a parfois quasiment joué 6 avec le Bayern. Tu penses que l’utilisation d’un gardien peut aller jusqu’où ?
Moi, je n’irai pas dans l’excès. D’ailleurs, je ne suis pas un gardien qui joue très haut. Je peux me permettre de jouer un petit peu plus bas parce que je vais compenser mon retard avec ma vitesse et mes qualités de réaction. Après, je pense que certains coachs oublient qu’il faut garder le côté instinctif du gardien. On veut parfois trop uniformiser le truc. Un gardien a des qualités propres et il faut aussi respecter ses sensations. Si demain, quelqu’un me dit que je suis trop bas, je m’opposerai. C’est comme ça que je me sens bien et jusqu’à présent, ça ne m’a jamais porté préjudice, donc pourquoi changer ?
Qu’est-ce que tu dois encore améliorer ?
Mon jeu au pied. Je pense aussi que je peux progresser sur des situations précises de jeu, plus que sur des éléments techniques. Ça peut être un placement sur un centre, une meilleure prise d’infos… Ce qui est bien dans le foot, c’est que chaque situation est unique. Plus je vais jouer, plus je vais enrichir mon stock de situations rencontrées. Je pense qu’à la fin d’une carrière, le gardien qui a le plus duré est celui qui réussit à tout lire, à tout sentir, à tout anticiper. Je suis très, très loin de ça.
Chez les Bleus, tu as retrouvé Mike Maignan, trois ans après son départ de Lille. Qu’est-ce qui a changé chez lui ?
Ses qualités de gardien n’ont pas changé, mais il a gagné en maturité, et surtout en légèreté. Il est encore plus serein qu’avant. Mike, il a ça : il dégage un truc. Il peut faire une erreur, mais autour de lui, personne ne va s’inquiéter. C’est cet état d’esprit qui m’a toujours marqué, parce que si on est honnête, il y a peut-être des gardiens plus talentueux, mais lui a une prestance, une mentalité, un charisme, qui font qu’il est meilleur que beaucoup d’autres.
C’est qui le plus talentueux ?
Quelqu’un comme Thibaut Courtois, il a vraiment des qualités de fou. Par contre, c’est un autre style que Mike.
Tu évoques le charisme de Maignan et sa capacité à dégager quelque chose. Toi, après le dernier derby du Nord, on t’a reproché de trop chambrer. Ça t’a gonflé ?
Je ne cherche pas à ce que les gens comprennent. Ce que je fais à la fin du derby, je le fais parce que c’est ce qui me vient à ce moment-là à l’esprit. Il n’y a rien de calculé. Parfois, je suis peut-être un peu trop naturel, ça peut déranger, mais on ne peut pas me reprocher d’être robotisé. On m’a dit : « C’est un derby, tu as célébré comme un fou… » Bah ouais, depuis que je suis en pro, je célèbre comme ça. Je ne l’ai pas fait ça parce qu’il y avait une caméra, hein.
Tu es natif de Calais. C’est quoi ton rapport au LOSC ?
Il n’y a rien qui me prédestinait à ce club. Mon frère a joué à Lens. Dans les années 90, mon père appréciait Lens. Les oncles, les amis de mes parents, pareil. D’où je viens, dans le Calaisis, il y a beaucoup de supporters lensois, mais il y a aussi des Lillois. Ils sont juste moins nombreux et ils se manifestent moins. C’est venu naturellement, comme pour le poste de gardien. Il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Petit, j’étais fan de Michel Bastos, j’aimais bien le maillot du LOSC, et ça m’a emporté au point que je me retrouve à pleurer après des défaites du club.
Malgré ses succès, le LOSC peine encore à faire vibrer au-delà de Lille. Comment tu l’expliques ?
Je ne sais pas, mais si on est cohérent, le club est dans le top 5 des meilleurs clubs de l’histoire du foot français en termes de palmarès, ou pas loin. Par contre, oui, ça dépasse rarement Lille… Si c’est l’OM qui avait battu le Real, je pense que le retentissement aurait été encore supérieur. Nous, ça a fait du bruit, mais ça s’est vite estompé… Je pense que le LOSC mériterait un petit peu plus de lumière parfois.
Quand tu dis que tu as un côté à l’ancienne, c’est aussi à travers cette attache à ton club ? En 2022, tu étais même redescendu en réserve pour jouer un derby.
Je suis un vrai affectif. J’ai tout fait ici, je connais tous les gens du club, tout le monde m’a vu monter… Je pense que ça se perd un peu, oui, et c’est ce qui fait qu’on me perçoit un peu différemment. Maintenant, dans la vie, tout ce que j’ai pu faire, je l’ai fait parce que je l’ai mérité. Je ne voulais pas être lancé juste parce que j’étais le gardien formé au club. Les supporters qui chantent mon nom avant mes débuts, j’ai trouvé ça un petit peu limite, à l’époque, pour Leonardo Jardim, qui était numéro un, alors que je n’avais rien fait, juste une saison en Ligue 2. Je sais à quel point tu as besoin de confiance à ce poste et cette pression mise, elle a forcément joué sur son début de saison. La situation a été pesante et moi, avec toute cette attente, j’ai eu la pression, forcément. Tu imagines si je faisais une énorme boulette d’entrée?
Le footballeur a une estime de lui supérieure à la moyenne. Il y a beaucoup d’ego, et si ça tourne moins bien tu peux vite te retrouver au fond d’un gouffre…
Tu es suivi un peu mentalement ?
Un peu. Je fais une séance tous les trois-quatre mois. Je conseille de le faire parce que des fois, on peut s’égarer. Le foot, ça reste quelque chose d’assez fragile. Un jour, tu es le roi, et le lendemain, tu peux perdre de ta valeur… Il faut réussir à le gérer. Pour le moment, je n’ai pas connu de gros trou, je n’ai jamais enchaîné cinq ou six performances compliquées, mais j’imagine que ça peut impacter un équilibre. Quand il y en a une, déjà, ça me bouscule, alors je comprends que certains aillent jusqu’à une forme de dépression. Le footballeur a une estime de lui supérieure à la moyenne. On est dans un cadre où il y a beaucoup d’ego, où on vit avec les médias, la lumière, l’avis des gens, et si ça tourne moins bien sur une période, tu peux prendre le revers de la médaille et vite te retrouver au fond d’un gouffre.
Pourquoi on cite rarement les portiers français quand on parle des meilleurs gardiens du monde ?
Je pense que l’école française est très bonne et que l’école italienne, par exemple, se fait vieille. L’école allemande, elle, est dans quelque chose de très marquée : le jeu en croix, les gardiens positionnés très haut… Cette saison, en Europe, on est plutôt performants, mais il y a un fait : avec Mike, on est deux gardiens modernes, mais je ne crois pas qu’on soit des gardiens “français”. On a pris du bon partout, on a pioché dans des entraîneurs français, portugais, et ça donne un style mixte. Même si au bout ça met en valeur les gardiens français.
Tu te pensais capable d’être aussi performant en Europe ?
Il y avait une appréhension, quand même. Je n’ai pas pu faire les JO, je revenais de blessure, on a dû faire les barrages… Après, une fois qu’on a réussi à se qualifier, j’ai eu envie de tout gagner. Les gens m’ont répété : « Ah, bah avec les adversaires, tu vas faire des arrêts ! » C’est vrai, mais tu peux aussi vite prendre des buts. En plus, l’équipe a changé, il a fallu développer de nouveaux repères, mais j’ai su faire les parades quand il fallait. Si on prend le match face au Real, la première occasion, Vinicius rentre et je vais la stopper au ras du poteau, en la captant. Mine de rien, il m’a donné du crédit. Un arrêt, c’est une bille gagnée pour moi et une de perdue pour l’adversaire. Dans les débuts de match, j’ai réussi à prendre cette confiance qui fait qu’après, quand l’attaquant se présente, j’ai déjà fait une partie du chemin dans la tête.
Face à l’Atlético, vous avez pourtant pris un but rapidement.
Oui, mais il est arrivé suite à une erreur individuelle, donc ça a généré autre chose. Dans ces cas-là, c’est la capacité à rebondir face à l’échec qui ressort. Là, il faut chercher d’autres ressources, sinon tu peux vite en prendre cinq.
Comment tu te conditionnes avant une rencontre ?
J’ai toujours la même approche que ce soit contre le Real ou Auxerre. J’ai des rituels. Il y a un ordre dans la façon de m’habiller, je mets toujours ma chaussette droite avant la gauche. La veille du match, j’aime me garer à la même place… Bon, quand même, j’essaie de rester un peu souple, car si j’arrive en retard au stade, j’ai moins de temps pour m’échauffer et je dois sauter un exercice de mon activation, mais bon, j’aime avoir mes repères.
Il n’y a jamais de musique ?
Si, tout le temps, mais là aussi, je suis souple. Ça peut être de la techno, du rap un peu dur, du Gilbert Montagné, tout dépend de ce que je ressens sur le moment. J’aime ce moment dans ma bulle, casque sur la tête pendant mon échauffement, et celui où je reviens à ma place, où j’enlève mon casque et où je reviens à la réalité, prêt à partir au combat. Il y a un switch clé.
Et après le match, la redescente est simple ?
C’est difficile de dormir, mais j’ai un petit peu évolué. Au début, après une défaite, j’étais du style à m’enfermer chez moi et à tourner dans mon lit. C’était pire qu’autre chose donc maintenant, j’essaie de voir des amis, que mes parents passent à la maison… Le résultat joue beaucoup, bien sûr, mais il y a une descente énergique logique. Pendant un match, il y a une hyper concentration qui s’envole dès le coup de sifflet final. C’est étrange à décrire. Après une victoire, il y a un côté tout rose, tout beau, un accomplissement comparable à ce que peut ressentir un marathonien à la fin d’une course je pense.
Lors de ta conf’ de presse avec les Bleus, tu as répété plusieurs fois adorer le foot. Tu penses qu’aujourd’hui les joueurs le vivent plus comme un métier que comme une passion ?
J’ai réussi à entretenir ça, même si je n’oublie pas que c’est un métier et que parfois, c’est dur. Il y a de la souffrance, mais ce que je viens chercher chaque week-end, c’est cette ivresse un peu étrange. Tu as passé ton match à prendre des vagues, des frappes, à être sous tension, mais quand tu réussis à sortir d’un moment comme ça, avec une victoire, aucun but encaissé, c’est incroyable. C’est ça qui fait que j’aime le foot. Que j’adore ça, même. Certains joueurs disent qu’ils ne ressentent plus aucune adrénaline en fin de carrière. Moi, c’est ce qui me nourrit, encore plus en portant le maillot de mon club de cœur. Je sais que beaucoup sont devenus footballeurs par talent, plus que par passion. Ils sont contents des avantages financiers, matériels, mais ils n’ont pas cette flamme. Moi je l’ai et je veux l’entretenir.
Emiliano Martínez prend les insultes des Parisiens comme un avantage pour son équipePar Maxime Brigand, à Camphin-en-Pévèle
Entretien publié dans le numéro 222 de So Foot paru en kiosques en décembre 2024