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L’heure de Super Ninis ?

Par Matthieu Pécot
6 minutes
L’heure de Super Ninis ?

On appelle ça un paradoxe : alors que la Grèce a d’ores et déjà réussi son Euro en se faufilant en quart de finale, sa pépite Sotiris Ninis est gentiment en train de passer à côté de son tournoi. S’il devrait débuter la rencontre de ce soir sur le banc, le meneur de jeu de 22 ans reste l’une des principales menaces pour le coffre-fort allemand. Car quand on a des yeux et des pieds de biche, on peut faire sauter n’importe quel verrou.

En deux saisons au Panathinaïkos, Djibril Cissé a trouvé le temps de collectionner les plaisirs : une crête verte, deux titres de meilleur buteur de Super League et un coup de cœur pour un partenaire particulier. « Ninis est un joueur très talentueux. Sûrement le plus talentueux avec lequel j’ai été amené à jouer. » Voilà le genre de fleurs que l’ancien Auxerrois aimait distribuer à son livreur de caviars attitré lors de leur cohabitation à Athènes. Une façon comme une autre d’alerter le reste du monde qu’une bombe s’apprête à exploser.

La Grèce n’a toutefois pas attendu que Cissé valide le phénomène pour s’agenouiller devant sa next big thing. Il faut dire que le garçon a tout fait pour se faire remarquer. En 2007, alors que les catégories jeunes ont l’habitude de servir de punching-ball aux grandes nations, les U19 ne s’inclinent qu’en finale de l’Euro face à l’Espagne (1-0). Plus jeune joueur de son équipe, Ninis souille l’Allemagne à lui tout seul en demi-finale (3-2), livrant une prestation qui force subitement Arsenal, Manchester United, le Real Madrid et le Bayern à apprendre l’alphabet grec.

Capitaine du Pana à 18 ans

Ninis vit avec l’étiquette de crack et bifurque vers une nouvelle passion : décorer son CV en malmenant tous les records de précocité. Son entraîneur néerlandais Henk ten Cate n’hésite pas à en faire le plus jeune capitaine de l’histoire du Pana à 18 ans et 125 jours. Quoi de plus normal quand on est installé dans le groupe pro depuis deux ans… À la même époque, il trempe un pied dans la sélection nationale. Le 19 mai 2008, à 18 ans, 1 mois et 16 jours, le milieu offensif profite de sa première sélection (2-0 contre Chypre) pour déflorer son compteur personnel. Comme Ninis est un homme pressé, il se débarrasse de cette corvée dès la 5e minute.

Fatalement, la fiche de paie évolue. Fin 2008, il prolonge son contrat de deux saisons dans son club formateur pour atteindre les 250 000 euros annuels. Un jackpot dont il n’avait pas besoin pour prendre conscience de son statut de privilégié. « Souvent, j’imagine comment serait ma vie si je n’étais pas footballeur. Pour un jeune en Grèce, la réalité est très compliquée. » Et encore plus quand on n’a même pas eu le luxe de grandir avec une cuillère en plaqué or dans la bouche. « Je viens d’une famille pauvre, c’est comme ça. Mes seules idoles sont mes parents. Ils ont gagné eux-mêmes leur vie. Ils se sont battus pour notre famille. Maintenant, je gagne beaucoup d’argent, mais je ne fais pas de folies. Je suis tout simplement heureux de pouvoir aider mes parents et mes frères. » Charilaos, le père de famille, est toujours chargé de la plonge au Peros, café de Kolonaki, quartier branché de la capitale. Une situation professionnelle qui cimente les pieds du fiston dans la réalité du contexte grec. Ninis est un jeune friqué qui ne se la raconte pas : une Hyundai i20 pour les trajets quotidiens, une Audi TTS pour une flambe toute relative. Simple, timide et prudent lors de ses sorties médiatiques, le joyau fait l’unanimité en Grèce. Sauf qu’au fur et à mesure que la trotteuse avance, une question s’impose : mais bon sang, qu’attend-il pour exploser ?

Le syndrome de l’école maternelle

Le néo-Sochalien Cédric Kanté, qui a porté le maillot du Pana lors des trois dernières saisons et qui ne passe pas deux jours sans le titiller par SMS, dissèque la bête : « On lui a mis un gros poids sur les épaules en disant qu’il était l’avenir du foot grec à lui tout seul, ce qui n’est pas complètement faux, même si des jeunes sont en train de s’affirmer. Son départ à Parme va lui permettre de réveiller le grand joueur qui est en lui. Il aurait dû quitter le Pana un peu plus tôt. Peut-être que sur la fin, il s’est ennuyé chez nous. » C’est un peu le syndrome de l’école maternelle, où l’élève surdoué sait déjà parfaitement lire quand ses camarades plafonnent au stade de la pâte à modeler. À force de fréquenter une cour de recréation trop petite pour lui, Ninis a fini par s’y embourber. « Voilà la seule chose qu’on peut lui reprocher : il manque de grinta et de caractère. Je ne sais pas si c’est de la nonchalance. Disons qu’il préfère faire un beau geste plutôt que de penser à gagner à tout prix » , complète Giorgos Karathalios, journaliste au quotidien Exedra (La Tribune).

Autre point faible : un corps de ver de terre (1,73m, 69 kg) qui a tendance à s’abîmer au moindre contact musclé. Écarté des terrains pendant près d’un an à cause d’une blessure aux abdominaux, le natif de Hilmarë (Albanie) est victime d’une rupture des ligaments croisés en septembre dernier lors de la précieuse victoire en Israël (0-1) en éliminatoires de l’Euro. Sorti du terrain la boule dans la gorge, Ninis avait inscrit, un quart d’heure plus tôt, son deuxième but international, un bijou où ses dribbles étalés sur quarante mètres avaient transformé les hommes de Luis Fernandez en vulgaire plots de chantier.

À Parme pour assurer l’après-Giovinco

Qu’importe que Ninis ait vécu une saison quasi-blanche, le sélectionneur Fernando Santos n’a pas hésité une seconde au moment de l’emmener dans ses bagages pour l’Euro. Et tant pis si, jusqu’ici, sa méforme a pris le dessus sur sa capacité à briser les reins des défenseurs adverses. La suspension du légendaire Giorgos Karagounis augmente les chances de le voir débuter face à l’Allemagne, même si ses capacités à défendre tutoient parfois le foutage de gueule. « C’est sûr qu’il ne faut pas compter sur lui pour presser haut. Son faible temps de jeu s’explique d’ailleurs par ses caractéristiques. Nous basons notre équipe sur des joueurs qui savent défendre. Alors Ninis commence souvent sur le banc » , détaille Giorgos Karathalios.

Un rôle de joker ? Pourquoi pas. Après tout, Sotiris Ninis a débarqué en Pologne/Ukraine sans la moindre ambition de séduction, un contrat l’engageant à Parme jusqu’en 2017 (pour 750 000 euros l’année) a déjà été signé depuis belle lurette. Avant d’assurer la succession de Giovinco dans son nouveau club, le n°18 de la sélection a une autre mission à remplir : apporter un sens sur le terrain au boulot des aboyeurs rescapés du titre de 2004 (Chalkias, Karagounis et Katsouranis). Tel l’architecte au milieu des ouvriers.

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Par Matthieu Pécot

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