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Le paradoxe Rooney

Par Romain Duchâteau
Le paradoxe Rooney

Devenu un monument national vivant, le 8 septembre dernier, après avoir détrôné Bobby Charlton du titre de meilleur buteur de la sélection anglaise et en passe de faire de même à Manchester United, Wayne Rooney, qui a déclaré forfait pour le déplacement en Lituanie, devrait être un joueur comblé. Il n'en est finalement rien. Parce que l'attaquant ne brille plus autant qu'avant et que son statut ne suffit plus à masquer des insuffisances de plus en plus criantes.

Avant d’envoûter et de faire succomber l’Europe du football grâce à son talent, Wayne Rooney était un homme de mots. Dans sa tendre jeunesse, l’attaquant anglais n’hésitait pas à faire parler sa prose. Notamment pour les beaux yeux de sa future femme, Coleen. « J’avais l’habitude d’écrire des poèmes d’amour, même avant d’être avec Coleen, confesse-t-il, un brin désarçonné, dans l’excellent documentaire The Man Behind The Goals qui lui a été consacré et diffusé récemment sur la BBC. Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais aussi l’habitude d’écrire des petites histoires. Quand j’ai commencé à sortir avec Coleen, je lui écrivais beaucoup de poèmes. Mais cela se fait rare ces derniers temps… » Si « Wazza » a délaissé sa plume, il pourrait peut-être retrouver l’inspiration. En posant, par exemple, quelques vers sur ce paradoxe devenu de plus en plus prégnant ces dernières semaines. Alors qu’il a accédé au rang de légende éternelle en détrônant Bobby Charlton du titre de meilleur buteur de la sélection anglaise (50 pions) et est en passe de faire de même à Manchester United (il n’est plus qu’à 14 buts de Charlton), Rooney scintille beaucoup moins. N’est plus vraiment le joueur que l’on se plaisait à admirer. Et semble – même si certains en parlent comme d’un crime de lèse-majesté –, peut-être, esquisser les contours de son déclin.

De pitbull infatigable à capitaine apathique

À vrai dire, il y a eu un commencement. Un tournant. Un avant et un après la saison 2012/2013 avec Manchester United. Au cours de cet exercice – le dernier pour Sir Alex Ferguson –, Wayne Rooney n’est plus considéré comme une pierre angulaire par le manager écossais. La faute à des prestations indignes et une hygiène de vie pas toujours irréprochable. « Wayne doit être prudent. Il a d’immenses qualités, mais elles ne s’expriment pas quand il n’est pas assez affûté, mettait en garde Fergie dans son livre My Autobiography, paru en octobre 2013. Regardez la façon dont Ronaldo et Giggs prenaient soin de leur corps. Alors je ne lui faisais aucun cadeau. Je n’arrêtais pas de lui répéter que si sa condition n’était pas optimale, il ne jouerait pas. C’est ce que j’ai toujours fait, quel que soit le joueur concerné, et il n’y avait pas de raison que cela change dans les dernières années de ma carrière. S’il avait été aussi en forme que cette saison (2013-2014, ndlr), je l’aurais évidemment aligné tous les week-ends. » La figure tutélaire écossaise partie, le gamin de Croxteth aurait pu retrouver un nouvel élan. Ça n’a jamais été le cas. Ou seulement par intermittence.
Profitant de l’affaiblissement du club mancunien après les départs de Ferguson et David Gill conjugués à la période de transition amorcée, Rooney a prolongé son contrat en février 2014. À la clé, des émoluments annuels estimés à plus de 19 millions d’euros. Un salaire faramineux, encore le plus élevé aujourd’hui dans l’effectif des Red Devils, qu’il n’a jamais véritablement justifié. Pendant que United sombrait sous la houlette de David Moyes, sa saison 2013-2014 a plutôt été bonne, à défaut d’être sensationnelle (17 buts et 12 assists en Premier League). La suivante, où il a davantage évolué en tant que milieu de terrain pour combler la faiblesse abyssale de l’entre-jeu mancunien, a été franchement quelconque pour les débuts sur le banc de Louis van Gaal (12 pions et 5 assists en championnat). Cette saison, ses prestations soulèvent l’inquiétude. Symbole de cette mauvaise période traversée, son unique but inscrit en Premier League (3-0 contre Sunderland, 26 septembre), mettant un terme à une série de onze matchs sans marquer.

« Il me prendra comme une personne fausse si jamais je lui disais : « Ta place est garantie. » »

Dans la foulée de la déroute de United face à Arsenal (0-3), le 4 octobre, Van Gaal a pourtant refusé d’évoquer un problème Rooney, malgré une performance encore insipide de la part de son Captain. « Rooney est très important pour notre équipe car il en est le capitaine et cela est plus important que de simples considérations individuelles » , s’est-il simplement contenté de commenter en conférence d’après-match. « Wazza » semble bénéficier d’un statut d’intouchable, alors que son poids et son influence sur le jeu des Red Devils n’ont certainement jamais été aussi faibles. Ce qui interpelle aujourd’hui, c’est le manque de générosité, d’impact et d’implication de l’Anglais, lui qui s’époumonait sans compter depuis le début de sa carrière. Replacé à son poste de prédilection derrière l’attaquant depuis la venue d’Anthony Martial, l’ex-Toffee n’est plus le premier au pressing. N’offre plus ses incessantes courses durant quatre-vingt-dix minutes. Pis encore, il en vient même à ralentir le jeu de sa formation en phase offensive. Une incompréhension, presque impensable il y a encore peu, qui devient de plus en plus ostensible et problématique.
Face à la poussée des critiques, Roy Hodgson a martelé que le recordman de buts avec l’Angleterre n’avait en aucun cas un rôle privilégié. À la question de savoir s’il pouvait prochainement perdre sa place de titulaire, le sélectionneur des Three Lions a répondu en ces mots : « Ce jour-là n’est pas arrivé et, avec un peu de chance, il ne viendra pas… mais il n’y a pas de garanties. Il me prendra comme une personne fausse si jamais je lui disais : « Ta place est garantie. » Et je serais très contrarié si un joueur me demandait d’avoir une telle faveur. » Mais la situation actuelle dans laquelle se trouve l’attaquant ne découle-t-elle pas aussi d’une logique implacable ? Le phénomène, qui a reçu le « Soulier d’or » des mains de Charlton vendredi devant l’enceinte de Wembley, totalise 664 matchs toutes compétitions confondues depuis ses premiers pas en 2002. Treize ans que le phénomène dispense son dévouement sur le terrain. Treize ans qu’il œuvre pour les autres et le collectif. Une constance remarquable (42 rencontres en moyenne toutes compétitions confondues chaque saison et 10 buts minimum par exercice en PL depuis 2004), mais usée au fil du temps par un style de jeu demandant des efforts conséquents. À bientôt trente ans, le Mancunien est tout simplement un soldat fatigué, obligé de toujours courir après l’histoire. Reste désormais à savoir quelle fin sera réservée à Wayne Rooney. Les poètes contrariés méritant, après tout, les plus belles sorties.

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