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La fête est finie

Par Markus Kaufmann
6 minutes
La fête est finie

Aujourd'hui, c'est le tirage au sort de la C1 et de la C3. Le gratin de l'élite du football se réunit en Suisse, et l'hymne de la Ligue des champions retentit partout dans le monde, sur les écrans les plus modernes, grâce aux sponsors les plus riches, et pour les loges les plus remplies. Mais toi, ça ne te fait rien. On est en mars, et ton équipe est déjà éliminée de toutes les compétitions qui existent. Le destin, plutôt pressé, a décidé du sort de cette saison alors qu'il reste encore trois mois à jouer. Et c'est triste.

Le championnat, c’est de l’histoire ancienne. La Coupe, on ne s’en souvient même plus. Et maintenant, les inévitables rêves d’une épopée européenne légendaire se sont envolés. Le mois de mars, c’est la phase terminale du supporter de la majorité des clubs européens. Les premiers pleurs d’un long pèlerinage fait de frustrations et, au mieux, de vide. Si le football est grandiose par sa surprise, le football perdu d’avance est d’une tristesse inouïe. Et pourtant, aujourd’hui, c’est le « grand » tirage au sort ! Un événement atypique, à midi, en cravates et en plein repas, dans le pays le moins concerné d’Europe : la Suisse. Mais si le programme capte l’attention de tout le continent, il ne concerne qu’une poignée de chanceux. Huit équipes prêtes à tout pour partir à la chasse à la C1, et huit autres un peu moins motivées prêtes à cueillir la C3, si les conditions favorables sont réunies. Seize équipes sur les 54 fédérations membres de l’UEFA. Une minorité d’euphoriques éparpillés dans un amas de désespoir. Les saisons sont longues pour tout le monde, mais pas pour les mêmes raisons. Car pour les autres, le printemps est le début de la fin.

La roue libre

Les arbres se décorent de fleurs, les journées battent enfin les nuits et le soleil revient, accompagné de ses atouts favoris, les terrasses et les jupes. Mais puisque la vie ne fait pas de cadeaux, c’est donnant-donnant : pour presque tout le monde, la saison est déjà finie. Éliminés de tout et partout, les clubs européens dans leur grande majorité sont ainsi invités à errer dans leur championnat respectif jusqu’à fin mai. Les prétendants au titre se comptent au maximum au nombre de trois – c’est seulement le cas en France – et même les places européennes sont parfois déjà décidées. Pour les autres, il s’agit de faire semblant d’être sérieux à l’école durant un trimestre entier alors qu’on t’a déjà condamné au redoublement. Le long voyage nocturne durera un printemps et un été. Faire jouer les jeunes, baisser le prix des places, se laisser aller, pendant que l’essentiel est ailleurs. Et le drame touche le jeu à toutes les échelles. Le supporter, lui, oublie ce calendrier qu’il avait pourtant appris par cœur. Il se permet même de sortir les soirs de match, parce qu’il est plus sérieux de s’amuser sans compter que de jouer pour du beurre. Le joueur, avec son entourage, est déjà ailleurs : un nouveau contrat à signer, une nouvelle saison à préparer, peut-être même un nouveau club à séduire, qui sait. L’entraîneur, lui, doit tant bien que mal continuer à travailler une toile qui sera probablement déchirée au mois de juin, à moins qu’il ne finisse lui-même déchiré. Le dirigeant, entre sentiment de culpabilité et justifications, doit se plonger dans l’avenir, parce que le présent est scellé, et n’a donc plus besoin de direction. Et enfin, le président se demande bien ce qu’il est venu faire dans le ballon rond.

Riche ou pauvre, un mort reste un mort

Et c’est dur pour tout le monde. Aussi bien pour les gros requins sortis prématurément de C1, comme Chelsea et Manchester City, que pour les petits poissons qui espéraient un miracle, comme le Torino et le FC Bâle. Difficile de dire pour qui c’est le plus dur, finalement. Que tu tombes de haut ou de bas, l’odeur de la poussière de l’échec est la même. Certains peuvent s’en prendre au tirage, comme Villarreal et Schalke 04. D’autres ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, comme Arsenal et la Roma. La Louve était enfin convaincue d’atteindre le sommet d’un projet de jeu loué partout dans le monde, mais aura fini par s’écraser lamentablement en volant trop près du sol. L’Inter pensait avoir franchi le premier col de la montagne représentant sa reconstruction sportive, mais n’aura même pas réussi à décoller. Manchester City avait beau avoir rempli l’avion de carburant, les pilotes n’auront jamais su comment lancer le moteur. Arsenal, enfin, était tout heureux de son tirage, mais aura fini par se tirer une balle dans les deux pieds, ce qui est aussi difficile à réaliser que de faire en sorte de ne jamais vibrer en Europe avec un club aussi bien structuré. Aujourd’hui, en plein mois de mars, tous se retrouvent donc le short plein de poussière, éliminés, humiliés, perdus et tristes. Un KO qui va durer trois mois.

Une résurrection qui n’est pas pressée

Mais dans l’hémisphère sud, le mois de mars est synonyme de fin de l’été. En Argentine, on en est donc à seulement cinq journées de championnat. Et comme chaque saison, les résultats ont beau être excellents, mitigés ou repoussants, l’enthousiasme est le même pour tout le monde. De nouveaux schémas à comprendre, de nouvelles recrues à célébrer, de nouveaux gestes à deviner. Un véritable droit au rêve. Ainsi, à chaque fois, une belle victoire se transforme en espoirs sans limite. Une jolie silhouette apparaît dans un nouveau pays, et l’espoir d’en voir une centaine d’autres gémit. C’est irrationnel, mais inévitable. Pourquoi ? Parce qu’en football, on ne sait jamais. D’où ce charme enivrant. Et la seule fois où ce charme crève, c’est logiquement quand on sait tout, quand le calcul de son nombre de points atteint une limite certaine, quand on compte les journées de championnat restantes sur les doigts de deux mains. Quand on regarde sa montre et qu’on se rend compte que la nuit a gagné. Et que la fête est finie.

Mais si l’enthousiasme revient au galop tous les étés, c’est aussi parce que le printemps a tout effacé. En juin, lorsque ces clubs commenceront à recruter, les faiblesses insurmontables et les fautes impardonnables auront été oubliées, ou cachées. Et les espoirs fous referont surface. « Le football apprend à perdre » , dit l’écrivain argentin Eduardo Sacheri. Comme la vie, le jeu du ballon rond ne fait pas de cadeaux. Il sourit rarement, mais avec intensité, et déçoit souvent, avec sévérité. Après tout, même les clubs les plus victorieux – ceux qui ne savent même plus profiter de leurs succès – gagnent au mieux un championnat sur trois en moyenne. Le Real Madrid, sur ses 105 années d’existence professionnelle, a remporté 32 championnats. Il en a donc perdu plus des deux tiers. Comme tout jeu, le football vit de la survie de l’enjeu. Lorsque celui-ci fuit, le jeu n’est plus que règles et lois. Le cœur bat, mais ne vibre plus. Pour Rust Cohle, un homme qui a vu mourir l’avenir, « Time is a flat circule » (le temps est un cercle plat). Une roue libre qui ne peut s’empêcher de revenir au même endroit. Mais qui peut parfois prendre son temps, comme au printemps.

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Par Markus Kaufmann

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