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Joue-t-on mieux au foot avec un maillot jaune ?

Par Eric Carpentier
5 minutes
Joue-t-on mieux au foot avec un maillot jaune ?

Sur le Tour, le maillot jaune est celui du plus fort. Serait-il celui du plus beau dans le football, celui du joga bonito et du jeu à la nantaise ? La question mérite réponse.

Toute la journée, il s’était fait attendre. Il faisait chaud, ce mardi 7 juillet, sous le soleil méditerranéen. Pour se rafraîchir et pour l’invoquer, les pastis rythmaient les heures. Il fallait le voir, ce maillot jaune. Il fallait être au bon endroit, au bon moment pour le regarder arriver, lentement d’abord, puis accélérer, danser et continuer sa route vers les sommets. Et soudain, il était là : entouré de ses dix coéquipiers, Ronaldo pénétrait sur la pelouse du Vélodrome. Brésil – Pays-Bas, demi-finale de la Coupe du monde 98. Après 46 minutes à faire la lessive, lancé par Rivaldo, le leader d’attaque plaçait une accélération phénoménale pour échapper à ses cerbères oranje et flinguer Edwin aux jambes lourdes. Le légendaire maillot or du Brésil était en route pour le finish, bientôt rejoint sous la flamme rouge par les Bleus. Et si la défense de l’équipe emmenée par Dunga passera finalement par la fenêtre sur deux envolées de Zidane, si Ronaldo explosera avant le sprint, reste cette impression qu’avec la tunique auriverde sur les épaules, Il Fenomeno jouait mieux, plus vite, plus fort. Était-ce tout simplement lui, ou l’effet du maillot jaune qu’il portait ?

Jaune soyeux, rouge sang, blanc taché

La question mérite d’être posée. Car si le joga bonito, le gegenpressing et le jeu à la nantaise n’ont que peu en commun sur le tableau noir, une autre couleur les réunit : le jaune. De Nantes à Dortmund, mais surtout au Brésil, c’est la couleur du soleil. Ou encore celle de l’or, de Riquelme en demi-finale de Ligue des champions et du FC Sochaux. La couleur des rois. Karen Haller, Colour Psychology Expert, la résume ainsi : « Le jaune est la couleur la plus visible de toutes. Elle attire les regards, les yeux se portent sur les épaules de celui qui porte le maillot jaune, vu comme le vainqueur. Et celui qui le porte se voit comme tel, son maillot jaune lui rappelle qu’il court pour l’or. » Quitte à se brûler les ailes.

Car, si le jaune est la couleur du panache, elle ne serait en fait pas celle de la victoire. Pour les professeurs Hill et Barton, des universités de Durham et Plymouth, il vaudrait mieux porter du rouge pour aller chercher les trophées. Le fait que leur étude porte sur l’Angleterre, où Manchester United, Liverpool ou Arsenal jouent en rouge, a pu faire pencher la balance en faveur de la couleur du sang. Mais pas seulement. Déplacée sur les rings de boxe, l’étude reste valable : statistiquement, le combattant se voyant attribuer le short rouge gagnera plus souvent. Dominique Lucas, préparateur mental auprès des pilotes de chasse de l’armée de l’air et intervenant à la FFF, l’explique par l’agressivité induite par la couleur rouge : « Les couleurs plus vives sont moins apaisantes, alors qu’un jaune doux, pas fluo, sera plus rassurant. Il peut être plus naturellement associé à un jeu léché et posé, là où le rouge emmènerait plutôt vers un jeu rugueux. » Une idée que développait avec toute sa poésie Bill Shankly, à l’heure de faire passer Liverpool au rouge, en 1964 : « Notre match contre Anderlecht à Anfield fut une nuit mémorable. Nous portions le maillot entièrement rouge pour la première fois. Christ, les joueurs ressemblaient à des géants. Et nous avons joué comme des géants. » Soit l’exact opposé du PSG en 2017, parti en croisade du côté de Barcelone avec un maillot blanc de pucelle et revenu souillé pour l’éternité.

Iniesta, Poulidor et Babović

Mais les dirigeants parisiens ont retenu la leçon. La preuve, le PSG se drapera de jaune pour aller jouer à l’extérieur la saison prochaine. Si certains supporters crient à l’hérésie, ils oublient un peu vite que c’est avec cette couleur que le Barça a grimpé pour la dernière fois sur le toit de l’Europe, en 2015. Un troisième maillot jaune précisément inauguré par les Catalans à Paris, avant d’être revêtu une seconde fois du côté de la porte d’Auteuil pour un succès d’étape propulsant les Catalans vers la victoire finale. Un trophée conquis au panache, avec Iniesta en capitaine de route et la MSN toujours prête à tirer sur la meule. Pendant ce temps, les Lyonnais bâchent discrètement, leur piquette jaune fluo cachée au fond du coffre de la voiture-balai depuis une manita reçue au Camp Nou en mars 2009.

Pour les autres, le maillot jaune fait toujours rêver. Que Buffon ait perdu ses deux dernières finales de Ligue des champions avec cette couleur sur les épaules, et la première avec son équivalent rose du Giro, ou que Poulidor n’ait jamais porté une seule journée le précieux maillot sur le Tour de France, participe à sa légende. Un maillot qui, longtemps avant d’être barré par le Crédit lyonnais, était orné des mentions Suze ou bière Champigneulles. Un maillot qui donne l’envie de se battre pour lui, en somme, malgré la Roumanie 2008, les vuvuzelas et Lance Armstrong. Et tant pis pour Kevin Trapp qui a pris le jaune en horreur. Warum ? Réponse à Bild, en 2015 : « Pour mon premier match à l’Eintracht, j’étais en jaune. Rouge au bout de vingt minutes. La deuxième année, pas de jaune, je fais 48 matchs. Cette année, le jaune était de retour, et je me suis blessé. Maintenant, le jaune, c’est fini. » Une erreur, peut-être. Car comme l’or attise les convoitises, le jaune attire les regards et donc les ballons des attaquants. Mais ça, c’est une autre histoire.

Alors, le jaune permet-il de mieux jouer au football ? Si l’on considère que la confiance en soi est indispensable à un jeu soyeux – et il en a fallu à Reynald Pedros et Patrice Loko pour marquer l’un des plus beaux buts de l’histoire du championnat de France – la réponse est oui. « En psychologie des couleurs, le jaune est la marque de l’assurance. Inconsciemment, ça peut aider » , pense l’Australienne Karen Haller, pas échaudée par le jeu parfois hasardeux de ses Socceroos. Et puis, le jaune évoque le soleil, la plage, Copacabana et cette jolie Carioca devant laquelle on devient soudain plus à l’aise qu’une otarie dans un bon jour. Celui qui s’est un jour senti pousser des ailes après quelques verres de muscadet le sait : le jaune, c’est le jeu. Jusqu’à ce que surgisse ce visage oublié : Stefan Babović. Le « Maradona des Carpates » . Tout s’effondre. C’est le problème avec les règles : elles ont toujours leurs exceptions.

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