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Jonas Martin : « Il ne faut pas trop m’embêter »

Propos recueillis par Clément Gavard, à Rennes
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Depuis son arrivée à Rennes à la fin de l'été 2019, Jonas Martin est abonné à l'infirmerie et aux blessures longue durée. De retour à la compétition le mois dernier après six mois d'absence, le milieu de terrain à l'accent chantant s'est posé pendant une heure afin de revenir sur le succès rennais contre le PSG, mais aussi et surtout raconter sa vie de joueur blessé lors de laquelle les interrogations, les doutes et les moments difficiles ont été légion. Entretien avec un joueur en pleine renaissance.

Avant la trêve internationale, vous avez été la première équipe à faire tomber le PSG (2-0). Comment avez-vous préparé cette rencontre ? Le coach a des bons résultats contre Paris. (Sourire.) On voulait faire différemment des autres équipes, on voulait leur faire mal là où ça les dérange, c’est-à-dire les harceler, les presser, aller les chercher haut. On voulait les mettre en difficulté dans la première relance parce qu’on savait qu’on pourrait gagner les seconds ballons. Mais on sait aussi que ça ne peut pas durer 90 minutes, on a forcément des temps faibles contre le PSG, il fallait bien les gérer.

C’était pourtant la grosse équipe de Paris en face. Est-ce que tu as senti une implication moins importante chez eux ? Ils ne se préparent peut-être pas de la même façon mentalement entre un gros match de Ligue des champions et un autre de Ligue 1. Ils auraient peut-être dû le faire, la preuve. Sur le terrain, on est très concentrés, mais on peut voir des attitudes. Sur ce match, leur équipe était surtout coupée en deux. S’ils défendent de cette manière, même en championnat, ils connaîtront des difficultés contre de nombreuses équipes.

Viens avec moi en voiture, je suis pareil. Si tu me klaxonnes pour rien, je suis capable de descendre.

On sait que tu es un joueur vicieux sur le terrain, tu as beaucoup de caractère, et tu as d’ailleurs réussi à faire vriller Kimpembe pendant cette rencontre.C’est lui qui vient, ce n’est pas moi. (Rires.) J’appellerais plus ça de l’expérience que du vice. Je sais quand il faut le faire. Après, je ne surjoue pas, je suis comme ça. Sur le terrain, il y a parfois des mecs qui jouent un rôle. J’ai connu Cyril Jeunechamp au début de ma carrière, il prenait des rouges tous les trois matchs, c’était un nerveux, mais en dehors, c’était une crème. Viens avec moi en voiture, je suis pareil. Si tu me klaxonnes pour rien, je suis capable de descendre. Il ne faut pas trop m’embêter.

Pour en revenir au terrain, tu comptes le 2e plus grand total de ballons récupérés en un match la saison dernière en L1 (17 contre Lens). Qu’est-ce que ça te procure d’aller gratter un ballon dans les pieds de l’adversaire ? Je pense que je l’aurais battu cinq jours plus tard en Coupe de France contre Angers, ce record. (Rires.) Il me semble que j’avais récupéré 15 ballons, mais j’étais sorti à la 70e minute. Dommage. (Il sourit.) J’adore ça parce que je m’aperçois que je n’aime pas quand on me le fait. J’adore récupérer le ballon pour le donner à un coéquipier, j’ai l’impression que ça installe un rapport de force avec l’adversaire : quand tu vas gratter un ballon dans ses pieds, tu te sens supérieur à lui.

Quand tu vas gratter un ballon dans les pieds de l’adversaire, tu te sens supérieur à lui.

Tu récupères, mais tu sais aussi planter. Le 22 septembre, tu as fêté ta première titularisation depuis plus de six mois en marquant face à Clermont. Un but que tu as célébré en lâchant une sorte de cri libérateur. Qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? Beaucoup de choses se sont passées dans ma tête. C’est vrai qu’il y avait de la libération. C’est un cri qui voulait dire : « C’est bon, je suis là, les blessures sont derrière moi. » Les gens m’avaient peut-être oublié, mais je savais que j’allais revenir. C’est un cri de compétiteur, d’une personne revancharde par rapport à son état de santé. Ça m’a fait du bien, surtout qu’il y avait ma femme et ma fille, qui ne m’avait jamais vu jouer, dans la tribune. Elle a 2 ans, c’est pour te dire. (Rires.)


C’est vrai que depuis ton arrivée à Rennes à l’été 2019, tu as joué 24 matchs en 25 mois. (Il coupe.) Un match par mois, c’est pas mal ça… Bon, il y a eu la Covid aussi, sinon ça aurait été deux par mois.

Tu n’avais pas connu autant de blessures avant d’arriver ici. Comment expliques-tu cette soudaine fragilité ? Comment l’expliquer… (Il réfléchit.) La première en octobre 2019, je pense savoir pourquoi. Il s’était passé beaucoup de choses dans ma vie. Il y avait déjà la naissance de ma fille, les gens m’avaient prévenu que 90% des joueurs se blessaient au moment d’avoir un enfant. Je marche beaucoup avec les émotions. La saison dernière, c’est une blessure à la cheville qui a traîné toute la saison. Je n’ai pas voulu me faire opérer directement, je voulais continuer à jouer pour me racheter de ma première année où j’étais blessé. C’était une erreur, je n’étais pas à 100% et j’ai finalement dû me faire opérer au printemps. À chaque fois, c’étaient des gros trucs, ça pétait. Pourtant, je mange super bien, je dors bien, je ne sors pas, je ne bois pas à part peut-être une ou deux bières après les matchs. Tu te poses des questions : mais pourquoi ça a pété ? La première fois, c’est sur une passe à 5 mètres comme on en fait des centaines à l’entraînement.

Les évènements extérieurs jouent beaucoup sur les blessures à ton avis ? Oui, il y a aussi mon départ de Strasbourg. Je l’avais digéré, mais les supporters m’en ont voulu et ils m’en veulent sûrement encore. La communication n’avait pas été bonne sur ce transfert, on était d’accord avec le club depuis de nombreuses semaines : en cas de non-qualification pour la C3, il y avait un bon de sortie. Tout le monde sait que mon choix premier était de jouer la Coupe d’Europe avec Strasbourg. Je n’ai pas compris les gens qui ont dit que j’avais fait exprès de manquer mon penalty contre Rennes ou que je m’étais moins donné sur la fin. Ils ne me connaissent pas. Je ne pourrais même pas me regarder dans la glace si j’avais fait ça à mes coéquipiers.

Avant même de reprendre la compétition, tu rechutes en décembre 2019. Tu expliquais à Ouest France ne « pas avoir dormi pendant quatre jours ». Peux-tu nous raconter cette période ? Je n’étais pas bien du tout, j’étais au fond du trou. On se pose des questions : pourquoi ça tombe sur moi ? Est-ce que j’ai fait le bon choix de venir ici ? Beaucoup de gens m’ont écrit que c’était le karma… Tant que ma fille est en bonne santé, ça va, ce n’est pas ça le karma. Mais il a fallu s’accrocher au peu de positif, sinon tu tombes en dépression, tu tombes dans le trou. En fait, tu es privé de ce que tu aimes faire. Il faut comprendre que ta famille quitte tout le monde pour te suivre pour que finalement, tu ne joues plus au foot. Je venais tous les 3-4 jours au Roazhon Park, je n’avais même plus l’impression d’être un joueur de l’équipe. (Il souffle.) Je ne suis pas tombé dans l’alcool, je n’ai pas pleuré, mais je cogitais tellement que je n’en ai pas dormi pendant quelques jours.

Je ne suis pas tombé dans l’alcool, je n’ai pas pleuré, mais je cogitais tellement…

Les joueurs de foot ne parlent pas souvent de ces périodes difficiles, mais pourtant elles existent comme dans la vie de n’importe qui. On a de la chance parce qu’on fait ce qu’on aime, on gagne beaucoup d’argent, etc. Ça va être compliqué de l’expliquer à des personnes qui se lèvent tous les matins très tôt pour gagner très peu, je n’arriverais même pas à avoir un débat avec eux tellement je me sentirais mal. Oui, même quand on est blessé, on a beaucoup de chance. On en parle souvent dans le vestiaire : « Est-ce que tu préfères gagner beaucoup sans jouer ou gagner moins en étant épanoui en jouant ? » Personnellement, je sais que je n’étais pas heureux. Et pourtant, mon salaire était le même.

Ce n’est pas pesant de ne pas avoir le droit de se plaindre quand on est footballeur pour la simple raison qu’on a moins de problèmes d’argent ? Il y a une différence entre dire qu’on n’est pas heureux et se plaindre. Je ne peux pas me plaindre d’avoir été blessé. J’ai grandi en sachant que ma mère était parfois obligée de toquer chez la voisine pour une bouteille de lait parce qu’il n’y avait plus d’argent, donc je ne peux pas me plaindre. Ce n’était pas la misère, mais il y a eu des périodes très difficiles.

J’ai grandi en sachant que ma mère était parfois obligée de toquer chez la voisine pour une bouteille de lait parce qu’il n’y avait plus d’argent, donc je ne peux pas me plaindre.

En quoi tout cela pouvait avoir un impact sur ton quotidien à la maison ? Je culpabilisais énormément. Ma femme m’a suivi, on venait d’avoir un enfant et tu rentres à la maison sans être content. C’est inconscient, mais tu tires la tronche, alors qu’elle n’attend qu’une chose, c’est que tu rentres de bonne humeur. Je me suis senti mal par rapport à tout ça. Mais quand tu as une fille, tu n’as plus les mêmes responsabilités, ça m’a aidé.

Quand la Covid-19 provoque l’arrêt du championnat, est-ce qu’au fond de toi, il y a un certain soulagement de ne plus avoir à manquer des matchs ? « Tant mieux ! » C’est la première chose que je me suis dit. Attention, je n’étais pas content de la situation sanitaire du pays, surtout que j’ai attrapé la Covid à cette période, c’est pour te dire ma chance… Bon, en vérité, ça me faisait un peu chier parce que c’était ma dernière semaine tout seul, j’avais faim de reprise de ballon. Mais je me suis aussi dit que c’était un mois de gagné, on ne savait pas combien de temps ça allait durer. Oui, j’ai eu cette réflexion égoïste, c’est normal, je ne vais pas le cacher.

Comment garder un lien avec le groupe quand on est blessé ? Au moment de ma première blessure, je ne connaissais pas bien les joueurs, ça faisait un mois que j’étais arrivé à Rennes. J’avais plus d’attaches avec mes anciens coéquipiers qu’avec mes nouveaux, c’est la vérité. J’ai plutôt appris à les connaître lors de la préparation estivale en 2020. On est en décalé quand on est blessé, on croise à peine les coéquipiers. Je n’avais pas l’impression de faire partie de cette équipe, même si j’étais content pour eux. J’étais un spectateur. Mais là, on a un super groupe, l’ambiance est top, il y a beaucoup de bons mecs, c’est rare dans un vestiaire.

Je suis tombé sur des messages sur Instagram : « T’es payé à être blessé ! », « T’es meilleur sur Insta que sur les terrains »…

Tu as aussi été critiqué, voire moqué par certains supporters sur les réseaux sociaux, où l’on a pu lire par exemple qu’on te voyait plus sur les publicités pour les nouveaux maillots que sur le terrain. Comment encaisser tout ça ?À 31 ans, ça ne me touche plus, ça me donne même de la force. Je n’ai pas trop les notifications, mais parfois je suis tombé sur des messages sur Instagram : « T’es payé à être blessé ! », « T’es meilleur sur Insta que sur les terrains ! », etc. Ils ne voient pas qu’en dehors, je m’entraîne pendant trois ou quatre heures à la Piverdière pour revenir le plus vite possible. Ça m’est arrivé de répondre et qu’on me dise : « Oui, mais je t’adore ! » Ces gens cherchent seulement le contact. J’arrive dans un club, je n’arrête pas de me blesser, je peux comprendre les critiques, mais j’ai envie de leur dire de venir avec moi tous les jours pour voir si je suis payé à ne rien faire. Là, c’est mieux, mais ça ne fait que cinq matchs, qu’est-ce qui va se passer si je me blesse de nouveau ? Ce n’est pas le moment de répondre à ces personnes. Les critiques font partie du métier, si tu n’es pas capable de les encaisser, il faut changer de sport.

Mais elles sont parfois de plus en plus violentes, tout le monde n’est pas armé pour résister à ça. Ne penses-tu pas qu’il faudrait traiter ce problème plus sérieusement ? Ce qui me démange, c’est le manque de respect. Quand je réponds, c’est bête parce que je tombe dans le panneau. Quand ça ne va pas bien et que tu lis des choses, tu as envie de répondre : « Viens me le dire en face. » Je n’arrêterai pas les réseaux, ce serait leur donner raison, puis ça fait aussi plaisir de lire des choses gentilles. Il faudrait essayer de limiter tout ça, surtout pour les jeunes, mais ils font partie de la génération réseaux.

Les joueurs sont-ils suffisamment accompagnés pour lutter contre la dépression ou tout du moins ne pas sombrer dans les moments difficiles ? On a des psys qui travaillent avec le club, ce n’est pas une honte de se rapprocher de ces personnes-là. Il faut réussir à prendre du recul pour comprendre ce qui ne va pas. Chaque club dans lequel je suis passé a mis à disposition des personnes spécialisées. À Rennes, les psys ont fait un bilan avec chaque joueur cet été. Après, libre à toi d’y aller si tu en ressens le besoin. De mon côté, j’aime m’appuyer sur mon entourage solide, c’est très important et c’est d’une grande aide. Puis, les syndicats font leur boulot : si tu as besoin d’une réponse, tu vas la trouver rapidement.

On a des psys qui travaillent avec le club, ce n’est pas une honte de se rapprocher de ces personnes-là.

Dans une interview donnée à DAZN ce week-end, Neymar confie son usure mentale en expliquant qu’il ne sait pas s’il aura la force d’aller au-delà du Mondial 2022 avec le Brésil. Tout ça dépasse le cadre de l’argent. La pression qu’il doit avoir au quotidien… C’est la star du Brésil depuis très longtemps, c’était le successeur de Ronaldo, le joueur destiné à ramener la Coupe du monde… À chaque échec, ça doit être incroyablement dur. Il a une telle pression… Mais j’ai surtout compris qu’il en avait marre de son image de footballeur, Neymar aime faire la fête. Ce n’est pas qu’une histoire de foot, je ne suis pas sûr qu’il soit heureux dans sa vie.

De ton côté, est-ce que tu as pu découvrir la ville de Rennes, entre les blessures et le confinement ? J’ai rattrapé le temps perdu, oui. J’aime bien me balader dans le centre. Depuis qu’on a retrouvé un peu de liberté, j’en ai profité. J’aime beaucoup prendre mon café en terrasse au Picadilly, tranquillou. En plus, il y a le manège à côté où je peux mettre la petite.

Dans un entretien à France Bleu Hérault, tu disais ne pas vouloir être un joueur de club. Qu’entendais-tu par là ? C’était à l’époque où il me restait un an de contrat à Montpellier, j’avais une offre de prolongation, mais j’avais peur d’avoir des regrets à la fin de ma carrière en passant 15 ans dans le même club sans savoir comment ça se passe ailleurs. C’est pour ça que je suis content de mes choix. Je voulais connaître l’étranger aussi pour découvrir une autre mentalité et un nouveau championnat (il a joué pour le Real Betis lors de la saison 2016-2017, NDLR). J’aime bien aussi ne pas être en situation de confort, me tester.

Tu arrives en fin de contrat à Rennes en juin prochain. Est-ce que ton retour à la compétition a entraîné l’ouverture de négociations pour prolonger ? Ça passe vite, j’ai l’impression que c’est ma première année. (Rires.) C’est trop tôt. J’ai de bons rapports avec le coach et Flo Maurice, il n’y aura pas de problèmes quand il faudra en discuter. Il y a des échéances importantes avant mon cas personnel, je ne veux pas être perturbé par ça maintenant. Je préfère attendre de voir comment j’enchaîne et on fera un point d’ici la fin de l’année civile.

Tu as envie de rester en Bretagne ou tu penses encore vouloir quitter ta zone de confort ? Avant de sortir de ma zone de confort, il faut que je la trouve. (Il sourit.) Je ne suis pas encore dans le confort ici, je n’ai pas retrouvé ce que j’avais à Strasbourg ou Montpellier. Mais je me sens beaucoup mieux et je veux que ça continue comme ça.

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Propos recueillis par Clément Gavard, à Rennes

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