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Jean-Marc Furlan : « Tu peux pas couper le foot en saucisson »

Propos recueillis par David Sfez
7 minutes
Jean-Marc Furlan : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Tu peux pas couper le foot en saucisson<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Jean-Marc Furlan vit sans doute la meilleure saison de sa carrière. Assis confortablement sur le fauteuil de leader avec cinq points d'avance sur ses poursuivants, son club l'ESTAC en course pour le titre de Ligue 2, une première. On retrouve un entraîneur sur son petit nuage, mais sur ses gardes, juste avant sa séance vidéo pour préparer le match de ce soir face à Valenciennes. L'occasion d'évoquer, entre autres, sa saison, Benjamin Nivet ou encore Blaise Matuidi.

En cas de victoire ce lundi soir, vous pouvez asseoir votre place de leader et prendre huit points d’avance à 10 journées de la fin. Aviez-vous envisagé ce scénario lors de la pré-saison ?

Pas du tout ! Un mec comme moi qui galère toujours même si j’ai connu des montées en Ligue 1. Je n’aurais jamais imaginé me retrouver fin janvier avec cinq victoires d’affilée. Mon entourage m’a demandé si j’arriverais même à gérer cette situation. Je suis plus habitué à réagir dans la difficulté avec Troyes. En revanche, le travail qu’on a entrepris depuis deux ans, lors notre descente en Ligue 2 était de préparer l’accession. Comme toutes les équipes de Ligue 2, le graal, c’est d’aller jouer un ou deux ans en Ligue 1. La moitié des équipes du championnat qui ont évolué dans l’élite peuvent en témoigner. Je sentais qu’on pouvait prétendre au podium, mais j’avais pas imaginé être aujourd’hui avec 5 points d’avance, avec une bonne différence de buts. Je n’avais jamais connu cela.

Est-ce votre meilleure saison en tant qu’entraîneur ?

Quand tu es entraîneur, il y a deux catégories : les « first class » comme Wenger ou Mourinho et compagnie ; et tu as les gens de l’ombre, qui aiment leur métier, ceux qui sont prêts à bosser avec des budgets et des structures modestes. Après avoir démarré à Libourne et intégré le monde pro, j’avais fait deux saisons comme cela avec Troyes, lors de mes deux montées, mais jamais leader durablement dans le monde pro. On peut dire que c’est ma meilleure saison. Après, encore faut-il qu’elle se termine bien. Vous savez, c’est comme dans un film où une pièce de théâtre et que l’acteur ou le scénariste a raté sa fin… Je le dis aux joueurs. Si vous faites une excellente saison et que vous gagnez les cinq derniers matchs, les gens vont s’en souvenir. Il ne faut pas rater la fin, c’est important.

Comment vous préparez vos joueurs à ne pas tomber dans l’euphorie qui pourrait justement vous gâcher la fin ?

Il y a tout un système de concurrence. Ensuite, il y a le choix des joueurs à très fort caractère de responsabilités. C’est multi-factoriel, la réussite. Le football, comme les autres sports collectifs, tu peux pas le couper en saucisson. C’est systémique. Si l’équipe tourne, c’est parce que j’ai certains joueurs qui sont revanchards, d’autres très jeunes sont toujours sur la brèche, donc ils veulent prouver. Ce mélange, d’anciens et de jeunes, permet de maintenir une certaine pression, même si elle n’est pas aussi forte quand t’es premier avec cinq points d’avance, que quand tu luttes à fond les gamelles, lorsque tu es troisième ou quatrième.

Le niveau en Ligue 2 est assez relevé cette saison avec 4 équipes qui se tiennent en un point pour le podium et deux autres sont à 5 points. Comment expliquez-vous cela ?

Bon, déjà, il y a une certaine uniformité sur le budget. Les deux dernières saisons, on devait lutter avec des clubs comme Lens, Monaco et Nantes qui avaient plus de masse salariale, donc potentiellement des meilleurs joueurs pour faire la différence. Maintenant, on a des villes avec des budgets équivalents, avec un niveau de jeu assez uniforme. Ce que je constate, en revanche, c’est que peu d’équipes ont pu enchaîner des séries de victoires comme nous. Grâce à la victoire à 3 points, cela nous hisse vers le haut, ce qui fait l’intérêt de ce système.
Matuidi a un profil atypique, avec des bras à la place des cuisses

Vous voyez-vous effectuer un parcours à la Gourcuff avec l’ESTAC ?

Beaucoup de gens me voient comme un bâtisseur. La vie du vestiaire, c’est 45 personnes à peu près que tu gères. C’est le cœur du club. Ce qui fait la différence, c’est comment se déroule ton binôme avec le président. Contrairement à Christian, j’ai déjà fait 3 clubs avant et suis habitué à gérer sur six mois, voire un ou deux ans. Pour répondre à votre question, être un entraîneur d’un club comme Troyes, c’est un équilibre très fragile. Nous ne sommes pas dans une ville à fort potentiel de population comme Paris, Marseille, Lyon, Nantes, Lille… Cela demande un travail plus important pour garder l’équilibre car, à tout moment, tu peux te retrouver comme Sedan, Grenoble ou le Mans et mourir en deux ans. L’important, c’est donc de savoir comment voyager et savoir si on peut s’adapter. J’aimerais rester ici, mais j’ai les valises qui sont prêtes comme quand j’étais joueur. J’ai l’âme d’un nomade. Toute ma famille a bougé dans le monde. Après, je suis heureux ici.

Votre avis sur Benjamin Nivet. À 38 ans, il est deuxième meilleur du club en Ligue 2 avec huit buts. Vous venez de lui faire signer une prolongation pour jouer jusqu’en 2016….

Il y a un degré de compréhension entre nous qui est très élevé. On n’a pas besoin de parler beaucoup. Il joue le football que j’aime, avec une discipline et une méthodologie importante. Il est capable de lire le jeu avant l’adversaire et ses partenaires. Il sait tout faire. Pour moi, au niveau offensif, il fait partie des trente meilleurs joueurs. C’est une « crevette » , et pourtant, il est capable de récupérer une dizaine de ballons par match et de claquer des buts. Il y a deux paramètres qui expliquent sa longévité : c’est un joueur « aérobic » , il aime courir. Dès qu’il entre sur le terrain, il est comme un gosse. D’ailleurs, des fois, je lui dis « fais gaffe, si tu prends un taquet, tu risques la blessure » , car c’est plus difficile de récupérer à son âge. D’ailleurs, il peut pas s’arrêter plus de 15 jours pour garder le rythme, sinon c’est trois mois avant de revenir comme cette saison.

Vous avez formé Blaise Matuidi. Il est depuis titulaire indiscutable avec le PSG et en équipe de France. Comment l’avez-vous découvert et quel est votre avis sur son rôle ?

Je l’ai découvert à l’époque où je suis arrivé à Troyes. Nous étions en septembre- et le directeur du centre de formation de l’époque vient me voir et me dit : « J’ai un mec, il n’a rien à faire avec moi. Cela fait un mois et demi que je l’ai. Pour moi, il peut jouer en pro tous les jours et au moins supporter les entraînements professionnels. » Du coup, je lui ai dit de me l’envoyer. Comme je considère qu’on peut intégrer un joueur dès 17 ans, même s’il ne faut pas le cramer, je l’ai intégré dans l’équipe première et il ne l’a jamais quittée. Lors de sa première saison, le milieu de terrain était composé de joueurs qui avaient joué beaucoup de matchs en Ligue 2. Il n’a fait que sept matchs. Lors du stage estival 2005/2006, il a montré qu’il pouvait être titulaire. Il a un profil atypique avec des bras à la place des cuisses. Tu as l’impression que c’est pas un sportif et qu’il va pas vite. En revanche, qu’est-ce qu’il est endurant ! Ce qui est magique et qui te dit qu’un Dieu existe quand tu le vois, c’est sa capacité à lire le jeu. Il lit le football comme une partition et la récite comme le meilleur des interprètes. C’est un gros récupérateur, il sait gratter beaucoup de ballons et c’est un excellent stratège.

Il a beaucoup progressé depuis son arrivée au PSG. Quelle est sa marge de progression ?

Déjà, faut souligner sa capacité d’écoute. C’est une vraie éponge. Il sait tout le temps se remettre en question. En revanche, je ne pense pas qu’il progressera beaucoup vu son âge. Mais déjà, le plus important pour lui sera la régularité. À partir de là, il sera reconnu. De toute façon, je considère qu’il a déjà un niveau exceptionnel. Il doit continuer à claquer au moins cinq buts par saison, ce qui est bien pour un milieu défensif et intercepter 15 ballons par match. Ceci lui permettra de faire briller les artistes autour.
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Propos recueillis par David Sfez

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