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Italie : l’héritage des oriundi

Par Adel Bentaha
Italie : l’héritage des oriundi

Pour sa première finale depuis 2012, l’Italie s’apprête à écrire l’une des plus belles pages de son histoire. Un événement auquel prendront part Emerson, Jorginho et Rafael Tolói, les trois oriundi du contingent azzurro comme la mosaïque culturelle d'un pays sur la route du succès.

Oriundo. Ce terme aux racines latines signifie « originaire de » et désigne principalement les personnes d’ascendance italienne, nées et vivant hors de la Botte. Une dénomination peu utilisée en société, mais intimement liée au langage sportif transalpin. Face à l’Angleterre, Emerson Palmieri, Jorginho Frello et Rafael Tolói auront ainsi l’occasion de représenter fièrement la terre de leurs ancêtres pour achever un Euro déjà réussi.

Il sogno italiano

En 1926, sous la coupe d’un Benito Mussolini alors à la présidence du Conseil des ministres, le football italien entame sa transformation. « À l’époque, l’Italie était encore balbutiante en matière de football, avance Fabien Archambault, historien et auteur spécialiste de l’Italie. Les politiciens étaient cependant conscients du potentiel amené par ce sport. » Le contrôle des masses suscité par le ballon rond devient en effet un levier utile à l’essor du Parti national fasciste, qui lance la « charte de Viareggio » . Ce règlement strict vise à faire du sport une affaire patriotique. Les anglicismes du langage commun sont proscrits au même titre que l’afflux de joueurs étrangers. Les clubs, en sous-effectif, n’ont alors d’autre choix que de se tourner vers la diaspora sud-américaine. Mussolini ne s’y oppose pas et, bien au contraire, approuve. L’Uruguay, forte de ses deux titres olympiques en 1924 et 1926, était alors très apprécié du régime, qui souhaitait s’en servir pour attirer des éléments de toute la région.

La FIGC, dirigée par Leandro Arpinati, donne son accord et parmi les premiers à rejoindre le Vieux Continent se trouve Julio Libonatti. Débarqué de Rosario en 1926, l’ancien du Newell’s s’engage avec le Torino et acquiert la nationalité italienne. « Ce phénomène ne devait concerner que le championnat, affirme le spécialiste. Le Parti fasciste a néanmoins compris qu’en l’étendant à la sélection, l’effet de masse serait garanti. On les appelait alors « rimpatriati », les rapatriés. L’imaginaire du retour à la mère patrie constituait un argument de persuasion essentiel. » Déjà international et vainqueur de la Copa América avec l’Albiceleste (15 sélections, 8 buts), Libonatti grossit donc les rangs italiens. Lors de la Coupe du monde 1934, le mouvement prend de l’ampleur et pas moins de cinq rimpatriati sont présents : Attilio Demaría, Raimundo Orsi, Luis Monti, Enrique Guaita et Anfilogino Guarisi. Sur le terrain, quatre Argentins et un Brésilien contribuent ainsi grandement au succès de leur pays d’adoption et indirectement à celui du « Duce » .

La débâcle de 1966

Après la Seconde Guerre mondiale, il faut attendre les années 1960 pour voir cette tradition réapparaître, favorisée par les légendes Omar Sívori et José Altafini . « Le terme rimpatriati, trop proche du fascisme, est tombé en désuétude. L’appellation oriundi, utilisée en Amérique latine, a donc fait son apparition », précise Archambault. En quête de reconnaissance, la Serie A ouvre massivement ses portes aux binationaux et aux étrangers, avant que la Coupe du monde 1966 ne fasse basculer les événements. Éliminée dès le premier tour par les novices nord-coréens de Pak Doo-ik, la sélection s’attire les foudres de la fédération et du ministre de l’Industrie, Giulio Andreotti. Une défaite humiliante, marquée par la présence de cadres tels que Salvadore, Mazzola, Rivera, Facchetti et la colonie bolognaise emmenée par Bulgarelli.

Jusqu’à la saison 1980-1981, aucune arrivée depuis l’étranger ne sera donc autorisée par la FIGC. Un accord tacite, qui ne tarde pas à arranger les affaires sud-américaines, comme l’évoque l’historien : « Les pays, qu’ils soient dictatoriaux ou non, en avaient marre de voir leurs talents fuir en Italie et surtout jouer pour cette équipe. Certains dirigeants, à l’image de Juscelino Kubitschek au Brésil, en avaient même pris conscience bien avant. Il s’était par exemple personnellement opposé au départ de Pelé à l’Inter en 1958, malgré la pression de la famille Moratti. » Le Mondial 1982 et son lot de transferts brisent définitivement l’embargo en Serie A, mais l’équipe nationale demeure intacte. En effet, le retour en grâce du calcio dans les années 1980 et 1990 favorise le développement d’une formation de qualité où seul Roberto Di Matteo, né et élevé en Suisse, fera office de petite exception.

Mancini le schizophrène

La naturalisation de l’Argentin Mauro Camoranesi en 2003 remet de nouveau le phénomène sur le devant de la scène. Poussé par les accointances entre son entraîneur Marcello Lippi et le président de la fédération Franco Carraro, le Juventino n’hésite pas. Pour Archambault, « les Italiens sont fiers de voir des joueurs sud-américains choisir la Serie A et à long terme porter le maillot de leur sélection. Ça n’a jamais été un débat de société. Tout dépend des résultats sportifs. » Pas étonnant donc de voir les déclarations ambiguës de Camoranesi passer inaperçues après le sacre de 2006 : « Mon sang est argentin et le restera. J’ai simplement choisi de défendre les couleurs de l’Italie avec dignité. » Cette logique sportive continue d’être un credo immuable, que les échecs de 2010 accentuent. Durant cette période de transition, les oriundi et les mandats successifs de Cesare Prandelli (2010-2014), Antonio Conte (2014-2016) et Gian Piero Ventura (2016-2017) cristallisent toutes les tensions. En cause, un niveau de plus en plus faible. Giuseppe Rossi, Cristian Ledesma, Ezequiel Schelotto, Thiago Motta, Gabriel Paletta, Dani Osvaldo, Franco Vázquez et Éder : autant de noms associés à un passage à vide d’envergure.

Comme un paradoxe à retardement, ces critiques acerbes émaneront en grande partie de Roberto Mancini. En 2016, l’ancien coach de l’Inter s’en prend à Conte : « Notre équipe doit rester italienne, clame-t-il. Nos footballeurs sont les seuls à même de la représenter. Ceux qui sont nés en dehors du territoire, même de parents italiens, ne devraient en revanche pas y figurer. C’est mon opinion et j’y tiens. » Une voix influente à laquelle se sont jointes celles de nombreux techniciens, dont le légendaire Zdeněk Zeman pour qui « représenter une nation signifie y être né et y avoir grandi, en en comprenant la mentalité ». Des remarques crues, qui relèvent avant tout d’un opportunisme certain. « Entre 2016 et 2017, Roberto Mancini ambitionnait déjà de succéder à Conte, analyse Archambault. Malgré un bon Euro en France, l’équipe n’était pas en forme. Mancini a donc joué sur la fibre patriotique pour s’attirer les faveurs du président de la fédération(Carlo Tavecchio, NDLR). Il réussira quelques années plus tard. »

Car la question des oriundi n’a en réalité jamais dépassé ce microcosme footballistique. À coups de déclarations pompeuses et de « l’Italia è degli Azzurri ( « l’Italie appartient aux Azzurri » en VF)  », Matteo Salvini aura un temps tenté d’emboîter le pas à ces frondeurs, sans réel succès. « La Ligue du Nord s’est servie de ces quelques troubles pour se faire entendre, mais à vrai dire, ce n’était qu’un prétexte, conclut Fabien Archambault. Salvini a avant tout construit son mouvement sur les immigrés africains. Moise Kean les dérange bien plus que Jorginho. » En 2021, revoilà donc la Nazionale, portée par Emerson, Jorginho et Rafael Tolói. Trois hommes nés au Brésil, emblèmes d’un renouveau multiculturel qu’une victoire en finale embellirait un peu plus.

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Par Adel Bentaha

Propos de Fabien Archambault recueillis par AB.

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