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« Italie/Allemagne 1970 est resté gravé dans ma mémoire »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
5 minutes
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Il est difficile de se faire un prénom en Italie quand on s'appelle Einaudi, que votre père a fondé l'équivalent des éditions Gallimard de l'autre coté des Alpes, et que votre grand-père fut président de la République juste après la Seconde Guerre mondiale. Pour ce faire, Ludovico a choisi la musique. Une forme particulière, « minimaliste », instrumentale, élégiaque et mélodique. Des morceaux qui hantent désormais les BO de film (de This is England à Mommy) et les publicités de toute sorte. Loin de ces considérations matérielles et futiles, l'homme a accepté de nous livrer ses impressions sur le football, la Serie A et Silvio Berlusconi, avec toutes les contradictions d'un Turinois qui a appris le piano à Milan...

Quitte à être caricatural, il reste difficile de vous imaginer fan de foot, surtout si l’on se réfère à votre univers musical, plutôt éloigné du petit monde du ballon rond ?Je peux le comprendre. Personnellement, pour être tout à fait honnête, je me suis vraiment mis au foot à cause de mon fils. Il était devenu un grand supporter du Milan AC, et il ne parlait que de cela, de l’équipe, de ses matchs. C’était l’époque de Carlo Ancelotti, comme joueur, puis comme entraîneur, de joueurs tels que Paolo Maldini, et plus tard évidemment Andrea Pirlo. J’ai beaucoup aimé cette période du club, la fin des années 80 et le début des années 90, les titres de champions, en Coupe d’Europe… Plus encore, pour moi, j’y retrouvais quelque chose qui relevait de la sensation originelle du football. À ce moment, l’AC Milan était prédominant, le plus populaire en ville, je ne sais comment le résumer, mais cela se ressentait partout. Après, il ne faut rien cacher, j’étais beaucoup plus réticent sur Silvio Berlusconi, ce qu’il faisait, ce qu’il représentait chez nous en Italie. Son rôle dans le foot m’a toujours laissé très sceptique. Pas que dans le foot d’ailleurs…

Voilà un choix plutôt étonnant, vous êtes originaire de Turin, du Piémont, on vous imaginait derrière la Juventus, voire le Torino.C’est ainsi. Quand j’étais gamin, le foot me passionnait bizarrement moins qu’à l’âge adulte. Et je le répète, c’est mon fils qui m’a entraîné avec lui à suivre les péripéties de son équipe. Je suis aussi resté connecté un peu via mon entourage professionnel, les gens avec qui j’ai pu travailler, par exemple mon manager qui adore ce sport. Le petit môme que j’étais, à la fin des années 50, conserve avant tout le souvenir de la division des deux Turin, à quel point tu devais choisir ton camp, la Vieille Dame ou le Toro. C’était omniprésent. Peut-être que je ne voulais pas m’en mêler tout simplement…

Et aujourd’hui, malgré les difficultés et la mauvaise passe, vous suivez toujours les Rossoneri ? Franchement non. Désormais, je ne m’y retrouve plus dans ce club. J’ai également un peu perdu de mon intérêt pour la Serie A. Trop d’argent, beaucoup moins de jeu et de passion. Quelque chose s’est perdu en route. J’ai plutôt tendance à suivre des équipes comme le Chievo, des équipes modestes. Quand je rentre chez moi, c’est en tout cas ce genre de matchs que je vais regarder à la télé. J’ai plus de facilité à m’enthousiasmer pour leur résultats, à ressentir des émotions, qu’avec les grosses machines actuelles qui visent la Ligue des champions. Que ce soit le Napoli ou le Chievo, je prends encore du plaisir à les voir gagner, quand cela arrive. J’ai néanmoins l’impression que le foot italien a perdu de son identité, c’est plus dur pour quelqu’un comme moi d’y investir son cœur avec la même intensité qu’autrefois.

Votre morceau Primavera a souvent été utilisé pour illustrer des pubs sur le foot, notamment pour la télé française lors de la dernière Coupe du monde de 2014 au Brésil, ce morceau possède-t-il quelque chose de footballistique ? Je n’y ai pas pensé en le composant en tout cas, si c’est la question. En ce qui me concerne, mon œuvre m’a toujours donné l’impression de se rapprocher davantage de l’art pictural au sens large, de la peinture évidemment. Cependant, je trouve effectivement que ce titre, l’esprit qui porte cette musique, correspond bien à la dynamique spécifique de ce sport. D’une certaine manière, Primavera propose une belle vision spirituelle d’un football qui demeure profondément un agnosticisme moderne. Il est vrai que souvent, mes morceaux servent de bande son à des films et que le cinéma prête attention à mon travail. Pourtant, je songe maintenant qu’ils pourraient tout aussi bien coller au football. Un dribble, une phase de jeu collective, un une-deux, un débordement peuvent parfaitement trouver leur reflet mélodique dans les mouvements qui emplissent l’espace musical.

Pier Paolo Pasolini, en marge de ses films et de ses romans, a beaucoup écrit sur le foot. Si vous deviez composer sur un joueur, un club ou un match, qui aurait cette chance ?Je suis convaincu qu’il s’agit d’un magnifique challenge à relever. Je ne m’y suis jamais attaqué en tout cas, il n’est jamais trop tard qui sait. Comment rendre dans une composition musicale toute la beauté de ce sport, même si cette dernière a quelque peu déserté le jeu ces derniers temps ? Peut-être en outre tenter de se focaliser sur un personnage théâtral ou dramatique. L’évidence serait de se tourner vers Diego Maradona, qui nous a tant marqué en Italie lors de son passage à Naples. Toutefois, personnellement, je pencherais vers Gennaro Gattuso. Je ne sais pas pourquoi, je le vois toujours comme un gladiateur. Quand il apparaissait sur le terrain, il me donnait cette impression forte et prégnante, celle d’entrer dans une arène, et pour une fois sans exagération. Il appartenait à ce type de joueurs. Une telle figure s’avère forcément très inspirante pour écrire une pièce de musique.

On a beaucoup parlé de l’AC Milan, mais la Nazionale ne vous a jamais ému ? Si, une fois en particulier. Ce fut lors de la Coupe du monde de 1970 au Mexique. Le souvenir en est resté gravé dans ma mémoire. Il faisait très beau cet été-là. Je me rappelle la lumière de ces journées, la ferveur des gens devant leur poste ou dans les cafés, cette impression que quelque chose de spécial se passait. Et puis la victoire sur l’Allemagne en demi-finale. Malgré la défaite contre le Brésil de Pelé, ce Mondial m’a marqué plus que tous les autres…

Ludovico Einaudi Elements (Ponderosa)

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