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Herbin, l’accord classique

Par Adrien Candau
Herbin, l’accord classique

Plus grand entraîneur de l'histoire des Verts, Robert Herbin, décédé ce lundi à 81 ans, avait deux passions chevillées au corps : le football de Rocheteau, Larqué, Revelli et compagnie, mais aussi les cordes et les violons de Rachmaninov, Berlioz, Verdi et Moussorgski.

Robert Herbin était homme de peu de mots. « Il était toujours imperturbable, se souvient l’ancien défenseur des Verts Christian Lopez. Il ne bougeait pas de son banc, ne contestait aucune décision arbitrale. Il ne montrait pas ses émotions. » Inébranlable, quasi monolithique, le Sphinx ne laissait rien transparaître. Pour comprendre le bonhomme, il faut dès lors essayer de se glisser furtivement sous son épiderme. Tirer sur l’invisible corde sensible d’un type que Jacques Vendroux décrira comme « très ému à l’intérieur de son corps, mais pas extérieurement ». Une sensibilité pudique, soigneusement dissimulée, qu’Herbin aura surtout cultivé à travers l’autre passion de sa vie avec le football : la musique classique.

Symphonie en Vert majeur

Demi-finaliste puis finaliste de la Coupe des clubs champions en 1975 et 1976 avec les Verts, l’entraîneur a souvent l’âme vagabonde entre deux matchs. Il faut l’imaginer ce 5 mars 1975, la mine soucieuse, mais la tête pleine d’espoirs, alors que Saint-Étienne, battu par Chorzów trois buts à deux en quarts de finale aller de la C1 1975, s’apprête à quitter la Pologne pour rentrer dans le Forez. D’abord séchés 3-0, les Verts ont ensuite planté deux pions en fin de partie. Une remontée inespérée qui leur permettra de voir le dernier carré de la C1, après leur victoire 2-0 glanée deux semaines plus tard. En attendant de savourer la revanche, l’esprit d’Herbin s’égare, loin, très loin du football : « À votre avis, à quoi pense un entraîneur après une rencontre d’une telle intensité ? Au football, aux problèmes de l’équipe, à la meilleure manière d’aborder le match retour ? Eh bien moi, j’ai fait le vide dans mon esprit, et, en traversant les villages endormis sur la route de l’aéroport, j’ai pensé à Chopin. Oui, Frédéric Chopin, l’enfant de la Pologne, qui a composé sa musique pour un peuple opprimé. C’était sa manière à lui de combattre. « La grande Polonaise héroïque », « les Nocturnes »… les accents passionnés de cette musique me donnent l’assaut… »

Trichophagie et Rachmaninov

Drôle de contraste. Herbin, véritable statue de chair, toujours imperturbable sur son banc de touche, s’anime pourtant d’une tempétueuse vie intérieure quand les premiers violons sont de sortie. La génétique a peut-être un rôle dans cette affaire-là : son père, premier prix du conservatoire national de Paris de trombone, est professeur de musique et fut membre de l’Opéra de Nice durant de nombreuses années. Le jeune Robert, pourtant, ne se prendra pas tout de suite de passion pour les instruments à cuivre si chers au paternel. La musique ne fera vraiment irruption dans sa vie que bien plus tard, alors qu’il a commencé sa carrière de joueur à Saint-Étienne depuis six mois.

En 1957, Herbin vient de fêter ses 18 piges et retourne à Nice, dans la maison parentale, pour les vacances. L’occasion, aussi, de retrouver son vieux pote Jean-Bernard Racine, un ancien camarade de classe qui se distingue par sa sensibilité musicale et sa trichophagie, un trouble comportemental qui consiste à manger les cheveux arrachés de son propre cuir chevelu. « Jean-Bernard Racine était l’un des descendants du grand tragédien. Élève surdoué, il avait également une singularité particulière. Jean-Bernard était chauve, non parce qu’il faisait travailler ses méninges avec trop d’intensité, mais parce qu’il s’arrachait un à un tous les cheveux et… les mangeait. Cette pratique peu courante avait attiré mon attention, et nous avions sympathisé, car sa personnalité comportait d’autres aspects très intéressants et moins ravageurs. Il était notamment mélomane. Je lui rendis une visite d’amitié dans l’appartement de ses parents, au centre de Nice. « Viens dans ma chambre, me dit-il. J’ai un disque à te faire entendre. Tu verras. Tu aimeras… »Il plaça sur l’électrophone le concerto no.2 de Rachmaninov, m’invita à m’asseoir et à concentrer mon attention sur cette écoute. Vingt minutes de silence religieux au service d’une écoute romantique. « Qu’est-ce que tu en dis ? » m’interrogea Jean-Bernard. « C’est pas mal, tu peux me le prêter ? » J’emportais le disque, et de retour à Saint-Étienne, l’écoutais, deux, trois, quatre fois… C’est ainsi que prit naissance, chez moi, le goût de la musique classique. »

Split-Wagner : même combat

Un goût qu’Herbin cultivera progressivement au fil des ans. « Aujourd’hui, je possède une collection complète des œuvres de compositeurs classiques, expliquait ce dernier dans son autobiographie, On m’appelait le sphinx, publiée en 1983. J’aurais le plus grand mal à me passer de cette musique devenue passion. Mes goûts vont aux tons mineurs, à la puissance de Wagner, au romantisme exacerbé de Chopin. J’aime le réalisme de Borodine dans « Dans les steppes de l’Asie centrale », la vérité que donne Moussorgski à ses créations, la couleur et la chaleur des œuvres de Rimski-Korsakov. Le « Requiem » de Verdi a pour moi une place à part dans la majesté de la musique. C’est l’appel à la réflexion métaphysique, au mysticisme. Wagner me pénètre jusqu’à la moelle. Il saisit, il assouvit totalement le désir. »

À l’écouter, la musique, comme le football, serait un délicieux abandon sensoriel. Il ne tardera d’ailleurs pas à dessiner lui-même le trait d’union entre les deux disciplines. Le 6 novembre 1974, l’ASSE, pourtant giflée 4 buts à 1 par l’Hajduk Split à l’aller, carbonise les Croates 5-1 à Geoffroy-Guichard, pour se qualifier pour les quarts de finale de la C1. Plutôt que de participer à la liesse générale, Herbin s’étale sur un fauteuil, et savoure la chose à sa manière : « Un disque de Richard Wagner traînait sur la commode. La chevauchée des Walkyries. Sur cette musique, à la fois puissante, vibrante et surprenante, riche de temps forts, de mouvements amples et bien construits, puis d’un final éblouissant, j’ai calqué la chevauchée de mes joueurs contre Split. Les forts accents rejoignaient dans leur magnificence le match de l’exploit. Sans fausses notes, dans un accord parfait. J’ai songé que si, un jour, on devait faire un film de ce match, il faudrait y adapter les cuivres de Wagner… » Lyon, qu’il aura entraîné de 1983 à 1985, marquera moins sa carrière de technicien et ne convoquera pas chez lui d’élans aussi lyriques, comme le racontait récemment Vincent Duluc : « Voilà un souvenir d’interview de Robert Herbin en 1993, quand il entraînait le Red Star. Il passe vingt minutes à chercher France-Musique sur sa petite radio, sans parler. À la fin, je lui demande son meilleur souvenir de Lyon. Un silence : « Un concert d’Hector Berlioz, à l’auditorium Maurice-Ravel. » »

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Par Adrien Candau

Tous propos issus de l'autobiographie de Robert Herbin, On m’appelait le sphinx, sauf ceux de Christian Lopez, issus du Parisien

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