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Franck Henouda : « Pour le Shakhtar, le huis clos ça ne fait aucune différence »

Propos recueillis par Julien Duez
Franck Henouda : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Pour le Shakhtar, le huis clos ça ne fait aucune différence<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Tour à tour dessinateur industriel et GO au Club Med, Franck Henouda travaille comme agent depuis maintenant un quart de siècle. L'œuvre de sa vie ? La légendaire filière brésilienne du Shakhtar Donetsk. Un projet qui n’est pas près de s'essouffler et dont ce Français installé à Porto Alegre raconte les ficelles, avant la demi-finale de Ligue Europa face à l’Inter.

Racontez la genèse de votre aventure entre le Brésil et l’Ukraine, qui débute pendant la saison 2003-2004 avec l’arrivée d’un certain Mircea Lucescu sur le banc du Shakhtar. Deux ans auparavant, le président Rinat Akhmetov avait pris les devants en recrutant notamment Brandão.Lucescu m’a contacté, car je vivais déjà au Brésil. Et il faut vivre au Brésil pour savoir faire des transferts. Là-bas, c’est très politique. Ce qui compte, c’est la connexion qu’on a avec les présidents de club. D’ailleurs, je ne suis pas agent de joueurs, mais de clubs. Concernant Akhmetov, il voulait utiliser sa fortune pour bâtir un stade immense et recruter un paquet de stars. Lucescu lui a dit qu’il approuvait la construction du stade et d’un centre d’entraînement ultra-moderne, mais pas le recrutement à coups de millions car il voulait s’installer à long terme.

Fernandinho ou Willian gagnaient 50 000 dollars nets par mois. Un mec qui jouait à Porto, Paris ou Milan, c’était deux millions sans la garantie qu’il reste aussi longtemps.

En quoi était-ce incompatible avec le recrutement de gros calibres ?Donetsk n’est pas Kiev, c’est isolé. Quand on a commencé le projet, c’était une ville qui faisait peur. Il y avait un seul hôtel, un aéroport où tu récupérais tes bagages à même le tarmac sur lequel on apercevait des vieux Tupolev qui dataient de la Seconde Guerre mondiale complètement désossés. Lucescu se disait que des jeunes qui effectueraient leur premier voyage hors du Brésil ne pourraient pas comparer ce nouvel environnement avec Paris, Milan ou Séville. Et leurs femmes ne pourraient pas repartir, sous prétexte qu’il n’y a pas de magasin Gucci ou Louis Vuitton.

Votre plan était donc basé sur la formation des talents.Voilà, Lucescu disait qu’il pourrait leur apprendre le physique et la tactique. Parce que la technique et la vitesse, tu l’as ou tu ne l’as pas. On s’est concentrés sur des joueurs de dix-huit à vingt ans, qui mettraient environ six mois à s’adapter à l’Europe. Puis, il a demandé au président de le laisser faire l’équipe comme il l’entendait : des Ukrainiens derrière et à partir du milieu, des Brésiliens très portés vers l’avant qui joueraient trois à cinq ans au Shakhtar avant de partir pour qu’il puisse s’y retrouver financièrement. Fernandinho ou Willian gagnaient 50 000 dollars nets par mois. Un mec qui jouait à Porto, Paris ou Milan, c’était deux millions sans la garantie qu’il reste aussi longtemps.

En Ukraine, la vitrine n’est pas le championnat, mais l’Europe.

Comment vous y êtes-vous pris, pour convaincre les premières recrues ?Deux choses. D’abord, j’ai filmé le centre d’entraînement exceptionnel. Comme c’était l’été, je suis allé photographier la place qui se situe près du Donbass Palace que possède le président. C’est une place magnifique, avec des roses partout. J’ai aussi pris des photos des restaurants branchés, il n’y en a pas 50 000, mais deux-trois. Je suis allé leur montrer tout ça en leur disant qu’ils allaient s’entraîner dans un endroit magnifique et vivre dans une petite ville, donc dans un cadre où ils seraient bien avec leur famille. Le tout avec un entraîneur qui adore les Brésiliens, et qui parle portugais. Ensuite, on a monté un plan financier avec Lucescu et le président : un fixe et de grosses primes.

En regardant l’effectif actuel, on constate que certains joueurs comme Dentinho, Alan Patrick ou Taison sont là depuis presque une décennie. Alors que naïvement, on imaginerait davantage le Shakhtar comme un club tremplin vers l’Europe occidentale.Concernant les Brésiliens, on a deux cas de figure : d’un côté, les joueurs qui explosent. Douglas Costa, Willian, Fred, Alex Teixeira, Fernandinho… Ceux-là, ils partent pour très cher après avoir enchaîné les matchs de Ligue des champions. En Ukraine, la vitrine n’est pas le championnat, mais l’Europe. De l’autre côté, tu as les autres joueurs qui n’ont pas eu le niveau nécessaire. Je parle de Dentinho, Ismaily, Alan Patrick… S’ils ne peuvent pas partir pour 40 ou 60 millions d’euros, ils partent pour dix ou vingt. Mais un joueur comme Alan Patrick a, un jour, eu une offre pour cinq. Là, le président du club a une stratégie très claire.

En Ukraine, on ne perçoit quasiment pas de droits TV et les gros sponsors n’existent pas. Les clubs vivent donc grâce à des fortunes personnelles.

Laquelle ?Il se dit : « Ce gars-là, il me sert et j’en ai besoin. Si je le vends, je vais ensuite devoir dépenser la même somme pour racheter un jeune derrière et je vais avoir besoin d’au moins un an pour le former et pour qu’il s’adapte bien. Donc je préfère le prolonger, et allonger 200 000 de plus pour quelqu’un qui gagne un million. Comme ça, j’évite d’en dépenser sept ou huit. » C’est ainsi que des joueurs qui n’ont pas eu le niveau pour franchir le cap de top player ont fait carrière au Shakhtar.

Mais au-delà du temps de jeu et du salaire attractif, qu’est-ce qui les pousse à rester en Ukraine ?Avec Mircea Lucescu, on a créé une structure adaptée pour les Brésiliens. Lui parlait portugais et à ses côtés, il avait Zago, l’ancien défenseur central de la Roma. La secrétaire du directeur général a aussi appris le portugais en prenant des cours intensifs, et elle s’occupait de tout ce qui était extra-football pour les familles. Quand les mecs arrivent à l’hôtel pour la mise au vert, ils mangent des produits brésiliens. Les cuistots ukrainiens ont appris à faire le riz sauté et le feijão !

Quand Lucescu est parti en 2016, après douze ans sur le banc, ses successeurs étaient d’ailleurs lusophones.Ça, j’en avais parlé avec le président Akhmetov grâce à qui la filière tient en place. En Ukraine, on ne perçoit quasiment pas de droits TV et les gros sponsors n’existent pas. Les clubs vivent donc grâce à des fortunes personnelles et lui, il fonctionne avec cette culture des Brésiliens. Donc je lui ai dit à l’époque que s’il prenait un entraîneur russe, anglais ou allemand, il n’y aurait pas de communication. Or, le Brésilien a besoin de communication. Qu’on parle avec lui, qu’on le motive quand il n’a pas fait un bon match… Quand tu prends un bon joueur, tu peux être sûr que le retour sera bon à condition que l’encadrement suive. Le plus important, ce sont les deux premiers mois. Au début, ils ne sont pas habitués à manger des olives et des cornichons le matin au petit-déjeuner. Mais ils s’adaptent très bien, tant pour la langue que pour la bouffe.

En Coupe d’Europe, on peut aligner onze Brésiliens. Mais en championnat et en coupe, il faut minimum cinq Ukrainiens.

Tout fonctionne très bien, en somme.Ils sont chez eux ! Récemment, Alan Patrick m’a appelé parce qu’un club émirati voulait le signer alors qu’il lui reste encore deux ans de contrat. Tu sais ce qu’il m’a dit ? « Franck, je suis titulaire, je joue la Coupe d’Europe tous les ans, ma femme se sent bien, mes enfants vont à l’école internationale… Il faudrait vraiment que les mecs me payent une somme extraordinaire, pour que je change de cadre. » Comme Dentinho, Taison ou Marlos, il fait partie de ceux qui vont finir leur carrière ici.

Comment les Ukrainiens du groupe s’adaptent-ils à cette situation ?Ils constituent l’autre moitié de la base du Shakhtar. En Coupe d’Europe, on peut aligner onze Brésiliens. Mais en championnat et en coupe, il faut minimum cinq Ukrainiens. Et comme ces matchs servent à préparer l’Europe, à la longue, les automatismes se créent et la complémentarité entre les deux est excellente. Parce que tu ne peux pas dégager les Ukrainiens en Ligue des champions, ce ne serait pas logique.

Tout de même, ce déséquilibre ne dénature-t-il pas l’identité ukrainienne du club ?On pourrait le penser, mais cela n’a rien à voir. Les meilleures années d’Arsenal, c’était quand il y avait tous les Français avec Wenger qui parlait français. Le secret, c’est la langue.

En 1998, il n’y avait aucun Brésilien en Turquie. Le directeur sportif cherchait un grand gardien de but, j’ai répondu que ça tombait bien puisque j’en avais un : Cláudio Taffarel.

Aujourd’hui, on retrouve des Brésiliens dans quasiment tous les championnats de la planète. Le projet du Shakhtar pourrait-il fonctionner ailleurs ?Bien sûr ! Le Brésilien, c’est le joueur qui peut s’adapter à n’importe quel pays à la différence de l’Argentin. C’est difficile d’avoir un Argentin en Allemagne ou en Turquie, par exemple.

Vous ne mentionnez pas la Turquie par hasard. Galatasaray…C’était mon premier grand projet. En 1998, il n’y avait aucun Brésilien en Turquie. Le directeur sportif cherchait un grand gardien de but, j’ai répondu que ça tombait bien, puisque j’en avais un : Cláudio Taffarel. Au départ, Charles Biétry le voulait au PSG, mais le retour de Bernard Lama un mois avant la Coupe du monde en France a fait capoter le deal. Il dispute le Mondial sans club, et derrière, je lui propose Galatasaray.

Comment a-t-il réagi ?Comme tous les Brésiliens, il pensait que la Turquie était l’Arabie saoudite, et sa femme pensait même qu’on allait la forcer à marcher avec un voile ! Nous, en France, on connaissait parce que c’était une destination de vacances du Club Med. Mais à l’époque, quand Didier Six y a signé, on s’est demandé où il mettait les pieds. Alors, j’ai invité sa femme à venir visiter Istanbul. Je lui ai montré la ville, des écoles pour leurs enfants… Ça l’a rassurée, Taffarel a signé, et la filière brésilienne de Galatasaray était en marche : cinq championnats et trois coupes de suite, sans oublier la C3 contre Arsenal. Par la suite, Lucescu est arrivé et c’est là que nous nous sommes rencontrés avant de devenir amis, puis de monter une nouvelle filière au Shakhtar. C’est bien la preuve que cela peut fonctionner partout dans le monde.

Effectivement, puisque le Shakhtar a remporté la C3 il y a onze ans face au Werder. D’ailleurs, même si on le connaît généralement mal, il fait partie de ces clubs qui donnent l’impression d’être tout le temps présent sur la scène européenne. Pensez-vous qu’ils peuvent aller au bout de ce dernier carré ?C’est le petit Poucet, mais il a un avantage : en championnat, le Shakhtar joue à Kiev, une ville hostile à Donetsk, devant 150 personnes. Donc le huis clos, pour les joueurs, ça ne fait aucune différence. Alors que pour l’Inter, jouer sans public, ce n’est pas la même chose ! Et sur un match sec, avec les qualités individuelles du Shakhtar, le danger peut venir de partout. Surtout quand tu as cinq-six Brésiliens qui jouent ensemble depuis six-sept ans. C’est peut-être la dernière équipe européenne à être dans cette configuration-là.

Propos recueillis par Julien Duez

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