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Que reste-t-il du Steaua Bucarest dans ce FCSB ?
Étoile mythique d’Europe de l’Est, titrée en Coupe d’Europe des clubs champions, le Steaua Bucarest voit son identité se déchirer entre le FCSB, adversaire de l’Olympique lyonnais en Ligue Europa, et le CSA Steaua, en seconde division roumaine. C’est la question qui tue : le Steaua historique existe-t-il encore quelque part ?

FCSB. Quatre lettres capitales qui résonnent comme le nom arcade d’un club fictif, tiré du mode carrière de feu Pro Evolution Soccer. C’est pourtant l’appellation actuelle de l’équipe toujours dirigée par le fantasque George « Gigi » Becali, qui a perdu le droit de s’appeler Steaua Bucarest le 3 décembre 2014, devant la justice roumaine. Au milieu, un schisme, une guerre d’ego, principalement, entre Becali et des généraux de l’armée roumaine, désireux de s’attaquer à un des hommes les plus influents du pays, en l’accusant d’avoir transformé le club historique de l’armée, vainqueur de la Ligue des champions 1986, en un simple jouet de l’ère moderne, loin de son lien filial avec la maison mère. De l’avoir dépossédé de tout ce qui constitue son essence et son identité, celles d’un club d’État.
Pourtant, en le faisant passer sous pavillon privé et selon certaines voix, Becali a aussi sauvé le Steaua (du moins, l’équipe qui s’appelait encore Steaua) en 2003, en le rachetant à Viorel Păunescu, autre businessman-oligarque, alors au bord du gouffre financier. L’arrivée de capitaux y est pour beaucoup, et sportivement, le Steaua devenu FCSB participe depuis 22 ans au minimum à tous les tours préliminaires européens, avec plusieurs coups d’éclat à son actif : une double manche de C3 en 2005 pour sortir Valence, le tenant du titre, à Bucarest, une demi-finale de Coupe de l’UEFA en 2006 contre Middlesbrough, ou encore un huitième de finale de Ligue Europa perdu difficilement contre Chelsea en 2013, après avoir disposé de l’Ajax au tour précédent. Le parcours actuel de l’équipe coachée par Elias Charalambous (cité dans une rumeur à… l’OL, l’été dernier) s’inscrit dans cette lignée de performances européennes occasionnelles, de même que les quelques belles ventes du FCSB vers l’Europe de l’Ouest lors de la dernière décennie, loin devant les rivaux locaux (Vlad Chiricheș, Nicolae Stanciu et Dennis Man, notamment), témoignent de l’attractivité intacte de l’institution.
Une décision de justice ne peut pas tout effacer. Nous sommes les garants de l’identité du Steaua, même si on nous a pris cette identité.
Une manière d’entretenir la flamme de ses supporters via ce slogan : « Le FCSB, c’est le Steaua ». Cela sera-t-il suffisant pour récupérer légalement la marque Steaua un jour ? Et, au bout du compte, est-ce que tout le monde au club et au sein des soutiens du FCSB le souhaite encore à tout prix ? Rappelons que le palmarès du FCSB démarre en 2003 selon le tribunal de Bucarest, tous les titres de la période communiste dont 1986 – et l’essentiel de la renommée allant avec – étant dans la vitrine d’une équipe de deuxième division.
Sourds et irréconciliables
Faut-il nécessairement s’appeler Steaua pour être le Steaua ? La question mérite en tout cas d’être posée, tant certains jeunes ultras du FCSB remplissant l’Arena Națională ont un peu fait le deuil de la dénomination passée. C’est le cas de Cristian, 24 ans, membre de la Peluza Nord, le virage ultra qui a décidé de revenir au stade pour le FCSB, en dépit du nom générique : « Tous nos chants sont à la gloire du Steaua, et au fond, les gens savent qui on est. Quand le club joue en Europe, la diaspora vient voir le Steaua, les gens suivent le Steaua à travers l’Europe comme d’autres grands clubs de l’Est. Si la justice roumaine était vraiment “juste” et non influençable, cela se saurait. À la télé, les journalistes qui disent Steaua ou les joueurs qui se trompent de nom par réflexe sont admonestés parfois jusqu’à l’amende. On est où là ? On parle de l’équipe qui n’est jamais descendue en deuxième division. Une décision de justice ne peut pas tout effacer. Nous sommes les garants de l’identité du club, même si on nous a pris cette identité. Aujourd’hui, des jeunes générations grandissent avec le FCSB, tout en sachant que c’est le Steaua. Il y a l’investissement et la mentalité, même si les symboles officiels ont changé. Récupérer la marque serait un plus évident pour enterrer l’autre entité, mais ce n’est plus une fin en soi. »
Le FCSB est une invention. Dans le milieu ultra, tout le monde se fout de leur gueule. C’est une sorte de RB Leipzig ou de Hoffenheim.
L’autre entité justement est dans une impasse bien réelle ; actuel second de deuxième division, le CSA Steaua (CSA pour Club sportif de l’armée) est toujours interdit de monter dans l’élite roumaine, et s’apprête à boucler sa troisième saison de… matchs amicaux. En cause, les très spéciales règles roumaines, encore une fois, qui empêchent une équipe 100% de droit public d’accéder à l’élite. À titre de comparaison, l’UEFA n’a jamais instauré une telle règle pour ses compétitions ; le CSA Steaua pourrait donc participer à une Coupe d’Europe, mais pas au championnat roumain de D1. Ainsi, le projet sportif est au point mort, aucun investisseur privé n’a encore repris le flambeau du ministère de la Défense, et l’équipe n’attire pas grand monde le samedi matin, dans son antre historique de Ghencea. Pour autant, sa disparition n’est pas à l’ordre du jour, et les supporters les plus radicaux n’ont aucune envie de faire un jour la paix avec ceux qu’ils considèrent comme des « footix » et des « traîtres ».
Un sentiment partagé par Iulian, ultra trentenaire et membre de la Peluza Sud Steaua, virage le plus réputé et influent de Roumanie – avec des dizaines de sous-groupes – qui suit le CSA Steaua depuis 2017, année du lancement du projet dans les divisions inférieures. Pour lui, les manœuvres contre son équipe sont avant tout politiques : « Il n’y a pas de FCSB contre Steaua. Le FCSB est une invention. Dans le milieu ultra, tout le monde se fout de leur gueule. C’est une sorte de RB Leipzig ou de Hoffenheim. Mais avec un homme aussi puissant que Becali, forcément, ils sont protégés. C’est aussi pour ça que l’on ne peut pas monter. Le coup du club de droit public qui doit devenir privé est un prétexte. On parle d’un type qui a financé la campagne présidentielle du Premier ministre sortant, Marcel Ciolacu. Un Premier ministre qui a dit publiquement que, pour lui, le FCSB était le Steaua, contre un gros chèque. Nous menons une bataille contre des moulins à vent, alors que la justice a tranché en notre faveur et que la sentence est irrévocable. »
Mais malgré tout, les ultras du CSA Steaua se réjouissent du tri que cela a occasionné parmi les supporters : « Nous sommes les seuls à avoir une colonne vertébrale. Eux, ce sont des délinquants, comme leur leader Gheorghe Mustață, ou bien des enfants qui s’excitent parce que Manchester United vient à Bucarest. On a beau jouer des amicaux, nous sommes le dernier rempart contre la corruption et les ennemis du Steaua. C’est triste, mais d’un autre côté, cela ne nous démotivera jamais. Notre plaisir et notre passion, c’est de chanter pour le Steaua, peu importe la division. Et un jour, l’UEFA et l’histoire nous donneront raison », martèle Iulian. Le FCSB, les crocs acérés, serait donc en train d’écrire sa propre histoire à partir d’une page blanche ? Malgré l’absence prolongée de ses deux meilleurs éléments Darius Olaru et Daniel Bîrligea, les Bucarestois continueront de lutter pour leur identité et leur renommée, quelles qu’elles soient, face à l’OL, ce jeudi.
Revivez Lyon - FCSB (4-0)Par Alexandre Lazar
Tous propos recueillis par AL.