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« En France, critiquer son employeur est déjà compliqué, pour les travailleurs exploités du Qatar ça l’est encore plus »

Propos recueillis par Tom Binet
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Le coup d'envoi de la Coupe du monde au Qatar approche, alors que la question des droits des travailleurs migrants est toujours au centre des préoccupations. Engagé depuis 2010 et l'attribution du tournoi à l'État du Golfe, Amnesty International publie cette semaine un documentaire, Les Exploités du Qatar, réalisé à partir de témoignages de travailleurs recueillis sur place. Arnaud Constant, coréalisateur aux côtés de Nicolas Thomas et Lola Schulmann, chargée de plaidoyer au sein de l'ONG, détaillent leur démarche et espèrent des engagements de la part des autorités compétentes sur le sujet.

Le sujet de votre documentaire est évidemment fort. Quelles principales contraintes avez-vous rencontrées ?Arnaud Constant : On a l’habitude de parler de violation des droits humains avec des victimes, sauf que généralement, on a affaire à des gens qui ont l’habitude de prendre la parole. Là, on parle de salariés, de travailleurs. C’est compliqué de les faire parler, au risque de les mettre en défaut par rapport à leur employeur. Pour nous Français, ça peut déjà être compliqué de critiquer son employeur, donc pour les travailleurs exploités du Qatar, ça l’est encore plus. Par ailleurs, le souci était également de savoir comment mettre en scène et illustrer ces témoignages. On a eu une double contrainte de devoir montrer des figures humaines sans les identifier. D’où ce choix de dessins et d’animations.

Le souci était de savoir comment mettre en scène et illustrer ces témoignages. On a eu une double contrainte de devoir montrer des figures humaines sans les identifier. D’où ce choix de dessins et d’animations.

Comment réussir à prendre de la distance par rapport à ces témoignages très forts ?AC : Pour le coup, comme on s’est basés sur des témoignages déjà réalisés par nos chercheurs, on va dire que c’est un peu moins fort à entendre. Plus globalement, sur l’ensemble de nos productions, à Amnesty on a un suivi psychologique que l’on peut solliciter dès qu’on sent que ça peut être trop dur.


Comment Amnesty International parvient-elle à intervenir au Qatar ?Lola Schulmann : On est actifs au Qatar surtout depuis 2010, au moment où le pays a été désigné pays hôte de la Coupe du monde. On fait un travail d’enquête, de recherche qui consiste à aller sur le terrain. On a des chercheuses qui se rendent régulièrement sur place et qui s’entretiennent avec les travailleurs, les autorités du Qatar, mais également la FIFA qui, en tant qu’organisatrice, a une responsabilité concernant les violations des droits dans le pays. C’est un travail qui est essentiel, de collecter des informations et des preuves pour ensuite faire des recommandations auprès des différentes autorités.

Dans quelle mesure l’attention médiatique liée à la Coupe du monde a-t-elle permis de faire avancer la question des droits humains au Qatar ?LS : C’est l’occasion de mettre un coup de projecteur sur ce qu’on dénonce depuis des années. Il y a eu des évolutions, mais on est loin du compte à environ 60 jours de la Coupe du monde. On a encore des travailleurs pris dans un cycle d’exploitation, certains qui travaillent 84 heures par semaine, qui n’ont pas de jour de repos, certains dont le passeport est confisqué ou d’autres qui n’ont pas eu de salaire depuis des mois. On a eu plusieurs avancées, notamment avec la suppression du système de kafala. Le problème, c’est le décalage entre ces évolutions législatives et la mise en œuvre dans la vie des travailleurs, dans leur quotidien.

Ce sera un enjeu pour nous de maintenir cette pression sur l’État du Qatar après la Coupe du monde et de montrer qu’on ne laisse pas tomber les travailleurs migrants.

Dans le documentaire, vous mentionnez le passage de 1,1 million de travailleurs migrants en 2010 à 2,2 millions aujourd’hui. Comment ce chiffre va-t-il évoluer une fois la Coupe du monde passée ?LS : On a vu une forte augmentation du nombre de travailleurs migrants au Qatar, notamment pour la construction des différentes infrastructures, les stades, les hôtels, le métro, etc. Ce qu’on constate aujourd’hui, c’est que certains travailleurs sont renvoyés chez eux parce qu’il n’y a plus de travail. La question se posera effectivement après la Coupe du monde, à partir du moment où on n’aura plus ce coup de projecteur qui permet de maintenir aussi une pression sur l’État du Qatar. Ce sera aussi un enjeu pour nous de maintenir cette pression et de montrer qu’on ne laisse pas tomber les travailleurs migrants.

L’un des passages les plus glaçants du documentaire concerne la question des décès de travailleurs migrants sur les chantiers. N’y a-t-il réellement aucun suivi pour les familles ? L’État qatari ne justifie pas les décès sur les chantiers ?LS : Le problème que l’on voit, c’est qu’il y a toujours des décès qui demeurent inexpliqués puisque sur les certificats de décès, il y a écrit « cause non connue » ou « problème respiratoire » , alors même que la personne était en très bonne situation de santé. Il n’y a aucune responsabilité identifiée de la part du gouvernement du Qatar et pas de lien qui est fait entre les conditions de travail et le décès de la personne. Par conséquent, la famille ne perçoit aucune indemnisation et pour certaines, elles doivent même s’endetter pour rapatrier le corps de leur proche.AC : Ce qui est marquant dans les témoignages, c’est qu’on parle de gens en bonne santé, mais aussi relativement jeunes. On va parler de crise cardiaque pour des gens qui ont 30 ou 40 ans.

On a voulu mettre en avant ce décalage flagrant entre la position d’image de la FFF et la situation sur place.

Pour en revenir à la Coupe du monde, avez-vous des échanges avec les différentes fédérations de football qui iront au Qatar, et notamment la FFF ?LS : Nous avons publié une pétition qui demande à la Fédération de prendre la parole publiquement. Malgré nos alertes et le rendez-vous que l’on avait obtenu en avril, la situation n’a pas avancé. La FFF ne souhaite pas prendre la parole publiquement sur la question des droits humains au Qatar, alors même qu’il y a un véritable enjeu à ce qu’elle le fasse. Elle a une responsabilité en tant que membre de la FIFA, mais également parce qu’elle se rendra au Qatar et donc utilisera l’ensemble des infrastructures.AC : Dans le documentaire, on a voulu mettre en avant ce décalage flagrant entre la position d’image de la FFF et la situation sur place. Vous avez ces nombreux témoignages de violations de droits humains, et en parallèle la FFF qui publie cette vidéo sur son compte YouTube en se félicitant des installations, sans évoquer le sort des travailleurs migrants ou du personnel.

Pendant la Coupe du monde, comment Amnesty envisage d’intervenir sur place ?LS : On continuera notre rôle d’alerte. On sait bien qu’à partir du 20 novembre et du début du tournoi, cela deviendra compliqué de parler d’enjeux de droits humains. D’où l’urgence pour nous d’agir maintenant pour avoir un réel engagement de la FIFA et, au niveau français, de la FFF.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Tom Binet

Pour aller plus loin : lire l'article « Les Cercueils de la honte » dans le numéro 189 de Society, actuellement en kiosque.

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