Elena Groposila, vous vous occupez depuis début avril de l’équipe première de Dijon Bourgogne Handball, après avoir coaché les Dijonnaises pendant des années. Est-ce une révolution ou une continuité ?
Une révolution ou une continuité, je ne sais pas. Disons que c’était surtout une opportunité à saisir jusqu’à la fin de saison, puisque j’ai un contrat à durée déterminée (ndlr : Elena Groposila est venu pour éviter au DBHB une grosse amende et un retrait de points alors que l’entraîneur intérimaire, Ulrich Chaduteaud, n’a pas les diplômes requis pour entraîner en première division. Elle fait donc office de prête-nom, même si elle donne son avis et intervient normalement aux entraînements et aux matchs). J’ai cette passion du handball, donc c’était l’occasion de mieux découvrir ce handball masculin. Mais ce n’est pas une révolution que d’être une femme à la tête de garçons. Ça devrait être quelque chose de normal. On en est encore bien loin en sport, mais dans la société, on voit que la place des femmes grandit, en politique ou dans le monde des affaires par exemple.
Qu’est-ce qui a été le plus déroutant dans ce changement professionnel ?
La gestion du groupe, je trouve. Le handball va plus vite et plus fort, mais c’est normal, la force et la vitesse augmentent. Après, le jeu reste le même et ce qu’il y a autour aussi. En fait, je crois que c’est surtout autour d’un match que c’est différent. On voit plus de clubs qui ont une structure derrière. À Dijon, on a quand même des clubs pro, filles et garçons, avec une vraie structure. Mais ailleurs, chez les filles, ce n’est pas toujours ça. Là, quand tu joues le PSG handball, on déroule le tapis rouge… Même si c’est drôle, ça dénote d’une différence (ndlr : dans les salaires aussi. Elena Groposila a vu sa rémunération quadrupler en passant des féminines aux handballeurs masculins).
Vous avez dit dans un reportage que vous a consacré Stade 2, dimanche 4 mai, qu’il était plus facile de manager des hommes que des femmes, car on peut être plus direct. Vous pouvez développer ?
En fait, quand tu discutes avec un garçon, si problème il y a, il te le dit directement. Avec les filles, il faudra plus d’arguments pour être sûre qu’elles aient bien compris le message et, en plus, qu’elles soient plus en réussite. Mais si elles adhèrent, elle vont travailler avec plus de cœur. Un garçon en échec peut vite se retourner pour te le dire, une fille est plus dans la réflexion en fait.
Vous n’avez jamais eu de prise de bec sérieuse de la part de joueurs masculins ?
Je ne suis qu’adjointe, donc ce n’est pas vers moi qu’ils se tournent en premier, plutôt vers Ulrich. Dans mon rôle, on fait la liaison, on a plus un rôle de médiateur entre le coach principal et le groupe. C’est plus facile pour moi. Et puis on n’a pas encore une relation très affirmée, comme je ne suis arrivée qu’un mois en arrière. Et c’est quand même bien d’avoir une seule communication, une seule parole, comme ça il n’y a pas de problème.
Avez-vous instauré des règles particulières ou des choses que vous faisiez avec vos joueuses féminines auparavant ?
Encore une fois, je ne fais que donner un coup de main. Le rôle d’Helena (Costa, ndlr) sera différent dans son club, comme elle sera l’entraîneur principal. De mon côté, je ne suis pas là pour perturber et tout changer en si peu de temps, je me fais discrète.
Quand on parle de performance, on ne peut pas être gentil
Du coup, si vous deviez définir votre style managérial, votre façon d’être avec votre groupe…
Chaque personne est différente, avec sa propre vision, ses convictions, un style plus ou moins joueur, mais on a tous un projet. Personnellement, je me bats jusqu’au bout et crois toujours que tout est possible jusqu’à la fin du match. Je prépare un plan à l’avance, que les joueurs doivent connaître, tout comme ils doivent connaître leur adversaire. Mais même si on a fait un plan, on a parfois besoin d’en sortir pour gagner un match. Il faut avoir assez d’imagination. Hausser le ton ? Bien sûr que oui, je peux hausser la voix (rires). Quand on parle de performance, on ne peut pas être gentil. En loisirs, tu peux, mais à haut niveau, ça ne passe pas.
Il y a quand même un constat qui demeure : on a l’impression qu’une femme a plus à prouver qu’un homme. La preuve, vous avez plus de diplômes qu’Ulrich Chaduteaud, que vous couvrez avec votre diplôme, mais vous n’êtes que son adjointe…
C’est logique encore une fois, la continuité prime. Il faut respecter ce groupe et ce qui a déjà été fait. On ne peut pas arriver et tout révolutionner en un mois et demi. Pour manager, il faut du temps pour connaître tes joueurs, leurs capacités. De toute façon, c’était une de mes conditions que de ne pas prendre ce rôle d’entraîneur général, sinon le groupe exploserait.
Plus généralement, si vous commettez des erreurs tactiques ou avez des résultats jugés limites, même malgré vos compétences, pensez-vous qu’on vous le reprocherait plus vite et plus facilement qu’à un homme ?
Non… J’ai connu cette situation avec les féminines du Cercle dijonnais sur les deux dernières années, où on était toujours à la limite pour la descente. Alors on se pose toujours des questions par rapport à nos choix. Mais si on reste négatif… Donc pour moi, ce n’est pas une question d’être une femme ou un homme, ce n’est pas ce qui explique qu’on est compétent ou non. Ce sont ta gestion et la progression du groupe qui priment. Je vais te donner un exemple. Quand on a vécu une situation difficile pour notre maintien avec les filles, j’avais choisi les matchs sur lesquels on devait miser et gagner, tout en étant consciente qu’on en perdrait. Et j’ai présenté ça aux dirigeants. J’ai dit : : « Voilà, on en a trois à gagner et les autres, nous les perdrons. » Ils m’ont écouté et fait confiance. Le projet a été respecté et le club n’est pas descendu, donc ils m’ont suivi.
Il a quand même fallu 2014 pour voir une femme à la tête d’un groupe sportif masculin en France. Le sport reste, comme la politique, un milieu macho et vous devez le ressentir, non ?
C’est un débat très vaste… Il faut s’habituer, je pense. On n’a pas cette habitude de voir une femme à la tête d’un groupe pro d’hommes. La preuve, les journalistes viennent nous voir, les appels affluent pour comprendre pourquoi une femme en vient à diriger, quel rôle occupe-t-elle… Mais ce sont juste des habitudes à avoir. Il y a peu de femmes aussi dans la formation depuis le début. Donc quand on arrive tout en haut, le ratio est forcément déséquilibré. Pour une femme qui a le niveau, tu retrouves dix hommes, voire plus, donc ça se répercute à haut niveau…
Est-ce très français comme problématique ? Dans votre pays d’origine, la Roumanie, qu’en est-il ?
En Roumanie, c’est pareil, les femmes sont présentes au hand féminin, mais pas au masculin. Par contre, dans les pays scandinaves, si on regarde le nombre de femmes qui entraînent, elles sont le double ou le triple par rapport aux hommes. Mais aussi parce que tu retrouves plus de joueuses que de joueurs, donc la proportion fait que…
En tout cas, la nouvelle de la nomination d’Helena Costa à Clermont Foot a dû vous faire très plaisir…
Tout à fait, d’ailleurs, je tiens à la féliciter et à lui souhaiter bonne chance dans ses nouvelles fonctions. Et bon courage aussi ! Qu’elle saisisse cette opportunité et sa chance à fond.
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