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Canal+ : aux abonnés absents ?

Par Adrien Hémard-Dohain

Diffuseur historique du championnat de France depuis son lancement en 1984, Canal+ ne proposera plus aucune affiche de Ligue 1 à partir de la saison prochaine. Fidèle à sa stratégie récente, la chaîne cryptée l'a fait savoir à la LFP, dans un courrier. À moins que tout cela ne soit qu'un énième coup de bluff.

Canal+ : aux abonnés absents ?

Si les bonnes manières recommandent de ne pas rompre par SMS, procéder par email et lettre recommandée est toléré, a priori. C’est en tout cas la méthode choisie par Canal+ et Maxime Saada pour rompre après 39 ans d’amour entre la LFP et la chaîne cryptée. Une idylle commencée en 1984 avec un Nantes-Monaco, et qui va donc prendre fin à l’issue de la saison 2023-2024. Inimaginable il y a encore quelques années, cette rupture était pourtant devenue inévitable depuis que Mediapro s’était immiscé entre les deux tourtereaux du football français. « Vous n’avez eu de cesse de pénaliser Canal+, a notamment accusé Maxime Saada, patron de la chaîne, dans une lettre à la conclusion ferme. Il apparaît dès lors clairement que les conditions ne sont aujourd’hui pas réunies pour que le groupe Canal+ dépose une offre les 16 et 17 octobre. » Au point de fâcher la LFP qui n’a pas manqué de réagir, regrettant autant « le procédé de divulguer publiquement les termes de ce courrier », que « la décision exprimée » en elle-même.

Un mauvais ménage à trois

À la lecture de ce courrier, le point de non-retour semble avoir été atteint entre le diffuseur historique de la L1 et la LFP. « Ce n’est pas une surprise, c’est une guerre de communication qui dure », tempère Antoine Feuillet, maître de conférences à l’université de Paris-Saclay, spécialiste des droits TV. La liste des griefs de la chaîne cryptée envers la LFP ? L’attribution des droits 2020-2024 à Mediapro, avec la suite que l’on connaît, et la non-renégociation du lot détenu par Canal+ ensuite. « À l’époque, les présidents de clubs ont fanfaronné, oubliant que Canal les avait suivis pendant des dizaines d’années. Ce n’était pas très malin. Quand vous vendez un produit, il faut faire attention aux clients et ceux qui peuvent le redevenir », conseille Pierre Maes, consultant international en droits TV et auteur de La Ruine du foot français. Il ajoute : « La stratégie de remettre en vente uniquement le lot Mediapro et de continuer à faire cracher Canal à plein pot, ça n’a rien de commercial. Le camouflet ultime a été d’attribuer les droits à Amazon, au tiers du prix de ce qu’avait payé Mediapro, ce qui actait la baisse de la valeur des droits TV. »

D’autant qu’à l’époque, Canal+ n’avait rien vu venir. Depuis, la chaîne cryptée n’a d’ailleurs rien fait pour mettre en valeur le championnat, que ce soit par les sorties acerbes de Maxime Saada, ou en reléguant les matchs sur ses canaux secondaires, parfois au bénéfice d’autres événements sportifs. Surtout, la chaîne a répété à qui veut l’entendre qu’elle n’a aujourd’hui plus besoin de son produit d’appel historique. « Ils sont beaucoup moins dépendants de la Ligue 1, pour plein de raisons, notamment parce que c’est aujourd’hui un produit moins important que la Premier League et la Ligue des champions, rappelle Antoine Feuillet. Ils ont beaucoup moins à perdre sans la Ligue 1 aujourd’hui qu’il y a dix ou quinze ans. » Et pour cause : depuis cinq ans, Canal+ a appris à aguicher le public sans compter sur l’unique argument Ligue 1, privilégiant l’agrégation de contenus sportifs, et pas que. « Ils distribuent toutes les plateformes de divertissement sauf Amazon, donc le football français devient un produit secondaire », résume Antoine Feuillet.

Un pas en arrière, deux en avant ?

Ce discours émancipateur relève toutefois plus de la posture que d’une véritable intention de lâcher le bébé Ligue 1, grâce auquel Canal+ s’est construit depuis 40 ans (et inversement). « Tout le monde serait perdant avec cette rupture. Si Canal disparaît, son énorme base d’abonnés s’envole. Et puis, à long terme, c’est problématique de se mettre à dos un diffuseur historique, car cela réduit la concurrence », estime Antoine Feuillet. C’est pourquoi la lettre incendiaire de Maxime Saada doit en vérité être lue entre les lignes et dans le contexte de la renégociation des droits pour la période 2024-2029, estime Pierre Maes, ancien de la maison : « Canal+ a annoncé qu’il n’allait pas répondre à la procédure d’appel d’offres en cours, mais pas annoncé qu’il se retirait de la course à la Ligue 1… Les chemins vers les droits sont multiples. La Ligue 1 reste fondamentale pour Canal+, et elle n’a pas perdu de son intérêt depuis 1984, si ? » Avec les accords de distribution avec DAZN et beIN SPORTS, Canal+ a déjà une roue de secours, avance Antoine Feuillet : « DAZN et beIN pourraient gagner un lot, donc indirectement, Canal va participer à l’appel d’offres. »

Toutefois, le scénario sur lequel tablent les deux experts est le suivant : un appel d’offres infructueux, suivi de négociations gré à gré, dans lesquelles Canal+ pourrait une nouvelle fois enfiler son costume de sauveur d’une LFP qui n’a que le milliard en tête. « Avant même cette lettre, l’appel d’offres de la LFP avait toutes les chances d’être infructueux, notamment à cause des montants de mise à prix des lots », assure Pierre Maes, qui rappelle au passage que les deux derniers exemples européens (Championship et Serie A) ont connu ce sort : « On fonce vers ce scénario en France, sauf surprise comme Mediapro en 2018. Un acteur surprise et audacieux, ça peut toujours arriver, mais ça se fait de plus en plus rare en Europe… Cette lettre, c’est la meilleure preuve que Canal s’intéresse encore à la Ligue 1. Dans le cas contraire, ils n’auraient pas communiqué. C’est une guerre de nerfs, entre deux rivaux, mais il ne faut pas être amis pour faire un deal, il faut être pragmatique. » Le spécialiste de la question pense même que la LFP s’attend à un appel d’offres infructueux, et affine déjà sa stratégie pour les négociations gré à gré qui en découleront. D’autant qu’Antoine Feuillet pointe un dernier problème en cas de disparition de Canal+ du paysage : le passage à une Ligue 1 100% numérique, alors que « le fan de Ligue 1 a en moyenne 50 ans, ça ne serait pas une bonne nouvelle en matière de visibilité… » L’archétype de celui qui a donc toujours connu la Ligue 1 sur les antennes de Canal+, et qui peut toujours espérer regarder ses Lyon-Strasbourg sur la chaîne cryptée, malgré la rupture promise par Maxime Saada.

Par Adrien Hémard-Dohain

Tous propos recueillis par AHD

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