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Derrière le Pérou, le bielsisme

Par Léo Ruiz
Derrière le Pérou, le bielsisme

Après 36 longues années, le Pérou est donc de retour, suscitant un enthousiasme exceptionnel au pays. Le fruit d'un énorme travail de formation et de professionnalisation, commencé en 2004 par Carlos Picerni, recommandé par Marcelo Bielsa, et approfondi depuis deux ans par Daniel Ahmed, un autre disciple du nouvel entraîneur de Leeds.

À l’époque, Leeds, le LOSC et l’OM sont encore loin. Reconduit en Argentine malgré l’échec du Mondial 2002, Marcelo Bielsa fait vivre à son pays une année 2004 pleine d’émotions : une médaille d’or aux JO, une finale de Copa América perdue aux tirs au but contre le Brésil, et une démission surprise dont il a le secret. C’est aussi cette année-là qu’il glisse le nom de Carlos Picerni à son pote Francisco José Lombardi, célèbre réalisateur péruvien – le cinéma est l’autre grande passion du Loco – et vice-président entre 2003 et 2005 de la FPF, la Fédération péruvienne de football. « Marcelo lui a donné mon contact, et ils m’ont appelé pour que je m’occupe des sélections de jeunes, explique Picerni, aux côtés de Bielsa depuis toujours à Newell’s, en tant que joueur puis entraîneur, chez les jeunes puis chez les pros. Leur idée était de créer des sélections à l’intérieur du pays, pour développer le football à l’échelle nationale. »

Problème : le nouveau venu réalise vite que loin de Lima, les enfants péruviens n’ont nulle part pour jouer au foot. « Le football organisé n’existait pas, poursuit Picerni. On a donc créé un projet baptisé « Creciendo con el Futbol »(« Grandir avec le Football », N.D.L.R.). Pendant 3 ans, on a voyagé dans tout le pays, pour organiser des premiers tournois de U6, U8 et U12. Ça a bien pris dans la société, les gens l’ont accompagné et maintenu, parce que la Fédération l’encourageait, mais ne mettait pas d’argent dedans. Aujourd’hui, il y a entre 150 000 et 200 000 gamins qui jouent au foot tous les week-ends dix mois par an. Le futur du football péruvien est en partie assuré. »

Sampaoli et le temps perdu

Qu’elles jouent à domicile ou à l’extérieur, chez les gros clubs de Lima, en altitude, sous la chaleur, les équipes de Sampaoli restaient fidèles à leur style. C’était très inhabituel de voir ça ici.

Pourtant, tout aurait pu s’arrêter en 2006. Cette année-là, Picerni a une idée pour approfondir la transformation en cours depuis trois ans : installer Jorge Sampaoli à la tête des U20. Au Pérou, l’actuel sélectionneur de l’Albiceleste avait un surnom : « Hombrecito » . « Petit homme » . Il avait aussi une réputation. « Quelqu’un de très ambitieux et de très exigeant dans le travail » , résume Diego Rebagliati, ancien dirigeant qui l’a fait venir sur le banc du Sporting Cristal, l’un des trois grands clubs de Lima, en 2007. L’homme de Casilda, petite ville située à 50 kilomètres de Rosario, a débarqué en 2002 au Pérou avec une idée en tête : faire un copier-coller des méthodes de Bielsa dans le football local. « À Sport Boys et à Bolognesi, des clubs sans grande histoire, il a laissé une trace très claire, note Rebagliati. Ses équipes étaient très offensives, elles prenaient des risques, elles couraient partout. Qu’elles jouent à domicile ou à l’extérieur, chez les gros clubs de Lima, en altitude, sous la chaleur, elles restaient fidèles à leur style. C’était très inhabituel de voir ça ici. »

Carlos Picerni, adjoint de Bielsa pendant deux ans à Newell’s, est logiquement séduit. « Le Pérou ne s’était pas qualifié pour le Mondial 2006, resitue-il. Il restait dix mois avant le début d’un nouveau processus. Mon idée était que Sampaoli, en plus de diriger les U20, s’occupe des matchs amicaux de la sélection prévus sur cette période, et qu’il laisse un cumul d’informations pour le futur sélectionneur. Malheureusement, le comité exécutif l’a refusé au dernier moment. » Picerni quitte le Pérou, déçu, comme tous les adeptes du « Petit homme » conscients de ce qu’il aurait pu apporter au football national. « Jorge était persuadé que le Pérou regorgeait de talent, et que ce qu’il fallait, c’était convaincre les joueurs et exiger d’eux davantage de travail, complète Rebagliati. Si la Fédération avait eu plus de vision à ce moment-là, il aurait changé la face de notre football. Mais elle était trop conservatrice et peu encline à investir. Elle a eu peur de l’ambition de Sampaoli. »

Je crois que le bielsisme a deux caractéristiques principales : l’enseignement, l’idée étant de former des jeunes joueurs, et la capacité de travail, avec une forme d’obsession pour remplir des objectifs.

C’est finalement chez le voisin – et rival – chilien, pré-révolutionné par Bielsa himself, que Sampaoli fera son trou. Au Pérou, la triste dernière place lors des éliminatoires 2010 pousse la Fédération à réagir. Picerni fait son retour en 2011 et propose un nouveau nom, accepté cette fois-ci : Daniel Ahmed, un bielsiste convaincu. « J’ai été élevé à cette école à travers Claudio Vivas (adjoint du Loco jusqu’à la fin de l’aventure avec la sélection argentine, N.D.L.R.), dit ce dernier depuis le camp de base du Pérou en Russie. Je crois que le bielsisme a deux caractéristiques principales : l’enseignement, l’idée étant de former des jeunes joueurs, et la capacité de travail, avec une forme d’obsession pour remplir des objectifs. »

Fort de ses expériences comme coordinateur général à l’Atlas Guadalajara (où Bielsa avait, comme à Newell’s, révolutionné la formation au début des années 1990), à Estudiantes La Plata et à Nueva Chicago, Ahmed est chargé de « développer une méthodologie d’entraînement pour les catégories de jeunes de la sélection péruvienne » , avant d’être placé à la tête des U20. En 2016, il devient « chef de l’unité technique » . Commence alors un grand projet, qui replace progressivement le Pérou parmi l’élite mondiale. « Ce n’est pas un hasard si le Pérou ne se qualifiait pas depuis 1982, lance-t-il. C’est le fruit d’actions qui n’avaient jamais été enclenchées. Heureusement, Picerni avait fait un gros travail chez les plus petits. Il fallait le poursuivre chez les 12-18 ans. »

« Pour changer les choses, il fallait travailler les bases »

L’idée était de permettre à toutes les équipes professionnelles d’aller voir ces jeunes venus de tout le pays.

Entre-temps, la Fédération a changé de tête. Manuel Burga, inculpé par la justice américaine dans le scandale de la FIFA, laisse en 2014 la place à Edwin Oviedo après un règne de 12 ans. « Depuis, on a triplé l’investissement, assure Jean Marcel Robillard, un dirigeant de la FPF. On pensait que pour changer les choses, il fallait travailler les bases. Au Pérou, on avait un gros problème de formation. En 2016, il n’y avait que six équipes avec un centre digne de ce nom. Et il n’y avait des tournois qu’à Lima pour les jeunes. » C’est là qu’intervient Daniel Ahmed. Pendant que Gareca prend la tête de la sélection, son compatriote lance son plan révolutionnaire. « La première mesure a consisté à mettre en place un scoutisme à l’échelle nationale. Il fallait décentraliser le football péruvien. On a obligé toutes les équipes de première et deuxième divisions à avoir un centre de formation. Pour les aider, on a installé un centre de développement dans chacune des 25 régions du Pérou, avec à chaque fois quatre personnes chargées toute l’année de chercher des joueurs. L’objectif officiel était de faire des sélections régionales, avec à la fin de l’année un tournoi entre elles pour déterminer un champion dans chaque catégorie. En réalité, l’idée était de permettre à toutes les équipes professionnelles d’aller voir ces jeunes venus de tout le pays. »

Une détection offensive qui rappelle étrangement celle menée dans toute l’Argentine par le duo Bielsa-Griffa dans les années 1980. Avec, cette fois-ci, plus de moyens à disposition. « Cinq millions de dollars, chiffre Robillard, de la FPF. Voyages, repas, logement : tout est pris en charge par la Fédé. On le finance grâce à la FIFA, à des entreprises qui investissent parce qu’elles ont compris tous les avantages commerciaux que représente une qualification pour un Mondial dans un pays de foot comme le nôtre, et grâce aux revenus de la sélection : droits télé, vente de maillots, sponsoring, etc. On a fait un pas énorme, en passant de 900 à 3500 joueurs en formation dans tout le pays. » Le plan d’Ahmed est loin d’être bouclé. Il s’agit désormais de former des éducateurs, de créer des infrastructures modernes dans chaque région, d’assurer un suivi scolaire pour tous les jeunes en formation. « On en est à 70-80% » , évalue le natif de Buenos Aires. Après le Mexique, le Chili et le Paraguay, le Pérou est donc le nouveau champ d’expérimentation latino-américain du bielsisme. Parti de loin, il est sans doute aujourd’hui le plus prometteur.

Dans cet article :
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Par Léo Ruiz

Tous propos recueillis par LR.

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