D’arbitrer mon coeur s’est arrêté : Du rififi sur les pelouses…
« Cela vous arrivera un jour, cela vous arrivera sans prévenir. » Si c’est ainsi que s’adresse la Reine Elizabeth II à son nouveau premier ministre Tony Blair dans le film de Stephen Frears intitulé "The Queen", il est aujourd’hui difficile de ne pas entendre cette phrase comme la prédiction de certains présidents de clubs de Ligue 1 à leurs homologues.
Beaucoup de dirigeants et d’entraîneurs s’estiment depuis plusieurs semaines victimes d’un mauvais arbitrage. A les écouter, le drapeau noir de l’arbitrage aurait été hissé sur les toits des stades, et des actes de piraterie auraient été constatés sur plusieurs clubs. Au fameux « Je vous ai compris » succède aujourd’hui un « Je ne vous ai pas compris. » Aux mêmes causes, à savoir un coup de sifflet, ne succèdent pas toujours les mêmes effets. Clémence pour l’un. Expulsion pour l’autre.
A l’heure où l’on commémore le cinquantième anniversaire de l’insurrection de Budapest, pendant laquelle les Hongrois se dressèrent contre les occupants soviétiques, un vent de colère souffle sur la Ligue 1. La révolte gronde, et pour une fois, pas que dans les tribunes. La nouvelle loi sur le statut des arbitres qui vient d’être promulguée ne calmera sans doute pas la tempête.
Après la gronde des supporters en 2005, l’année 2006 sera-t-elle celle de protestations présidentielles ? Les conseils d’administration des clubs vont-ils devenir des cocottes-minute prêtes à exploser ? La police doit-elle redouter des jets de mallettes en cuir et autres journaux économiques sur les pelouses ? Faut-il s’attendre à des tendus de cravates en soie dans les tribunes aux cris : « Arbitre, démission ! » Doit-on craindre que les cadres dirigeants des clubs incendient leurs voitures de fonction aux abords des stades ? On dit même que des clubs réfléchissent sérieusement à faire des fouilles dans les carrés V.I.P, et limitent à deux par personne le nombre de téléphones portables par crainte de jets intempestifs.
Les chars de l’arbitrage sont-ils entrés dans les surfaces ? Souvenons-nous de l’année 1956. Nous n’étions pas nés : « Peuples d’Europe, votre tour viendra bientôt lorsque nous aurons péri. Au secours ! Peuples d’Europe que nous avons aidés durant des siècles à contenir les attaques des barbares venus d’Asie, entendez le glas des cloches de Hongrie qui sonnent l’alarme pour vous avertir du désastre…Europe libre, Europe libre, nous vous demandons d’urgence une aide immédiate. »
Ecoutons la complainte de 2006 : « Clubs de Ligue 1. Votre tour viendra bientôt lorsque vous aurez été les victimes d’une erreur d’arbitrage. Au secours ! Clubs de Ligue 1, vous qui avez connu pendant des décennies la tempérance des hommes en noir, voici l’écho des multiples sifflets qui annoncent des catastrophes industrielles… Clubs de l’Europe libre, nous vous demandons un arbitrage efficace. »
Les mots que l’on entend sont durs. Les arbitres ne seraient pas trop corporate avec les clubs professionnels. « Arbitrage à la con ; festival de mauvais arbitrage » (Jacques Rousselot, président de Nancy). Assimilation à peine voilée de l’arbitrage avec la corruption et les trucages du Calcio pour Frédéric Antonetti qui est revenu depuis sur la colère de l’instant.
Chaque week-end apporte ainsi son lot de mécontentement. Pour une fois, la vérité des actionnaires est la même que l’on soit au nord ou au sud de la Loire. C’est à peine si certains se demandent si le juge Burgaud n’aurait pas entamé une reconversion déjà houleuse. D’autres encore estimeraient que l’actuel patron de la direction nationale de l’arbitrage, Marc Batta, serait à l’arbitrage ce que Bata est à la chaussure. L’arbitrage se serait dévoyé, il serait au football ce que le jambon phosphaté est à la cuisine décriée par un chroniqueur parkinsonien de la télévision publique. Toutes les décisions sont désormais contestées. Et la série est en cours.
Ceux qui prédisaient que la contribution de Canal Plus au spectacle de la Ligue 1 (pour mémoire, le poker le plus cher de l’histoire : 600 millions d’Euros pour voir) ne leur permettrait même plus de placer des caméras sur les bords des terrains doivent réviser leur jugement. A défaut de disséquer à la loupe les plus belles phases de jeu d’une journée, les caméras de la chaîne cryptée nous abreuvent d’images de vidéo surveillance. C’est bien simple, l’arbitrage est analysé, décortiqué, passé au crible de révélateurs et autres techniques destinées à nous montrer, pauvres spectateurs, que la faillibilité tue. Les experts sont de retour. Mais pas que pour voir du football.
A quand des notes pour les arbitres ? A quand un samedi soir façon Star Academy. Pour sauver M. Poulat, Tapez 1. Pour sauver M. Bré, tapez 2. Pour ne plus entendre Gilles Veissière, changez de chaîne ! Les petits meurtres entre amis annoncent la révolution numérique appliquée à la théorie du zéro défaut. Concrètement, l’arbitrage vidéo nous sera promis comme le renouveau du genre humain.
Que des décisions maladroites aient été prises, nul ne peut le nier. Que des querelles de familles arbitrales rejaillissent sur le jeu est une évidence. Mais que des tontons flingueurs en profitent pour se livrer à des excommunications a de quoi surprendre. Que le cynisme le plus absolu et le faux parler vrai sortent de la bouche de ceux qui regardent les tribunes populaires en se bouchant le nez ont de quoi étonner. Mais en définitive, quoi de plus normal. Après tout, l’incertitude du sport c’est seulement pour les autres, ceux qui y croient encore…
Jean-François Borne
Par