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Un fan de foot doit-il vraiment supporter le club de sa ville ?
Une question, deux points de vue : aujourd’hui, Mathis Blineau-Choëmet et Julien Duez s’écharpent sur un serpent de mer presque aussi vieux que Kazuyoshi Miura : la pertinence de l’injonction à supporter obligatoirement l’écurie de son patelin, sous peine d’être taxé d’affreux footix opportuniste.

Oui, car supporter l’équipe du coin apporte un bonheur rare mais infiniment profond

Mathis Blineau-Choëmet
Pour beaucoup, les premiers souvenirs liés au football prennent vie tout près de chez soi. Que ce soit dans sa rue, sur le terrain du quartier ou dans les tribunes du stade de sa ville, l’affection pour le ballon rond est souvent née à deux pas de la maison, sur des terrains parfois modestes, où l’on apprend à aimer le beautiful game. Ce premier amour ne devrait jamais être oublié. Plus encore, cette passion quasi prophétique doit être conservée.
L’appartenance à une communauté
Pourtant, certains tournent le dos à leur club local dès les premières désillusions. Les résultats décevants, les saisons galères ou simplement la tentation du succès (un des nombreux vices de l’être humain) peuvent pousser à se détourner de son équipe locale. Par manque de courage, ces pseudos-supporters préfèrent se rallier à un club étranger à leur région, riche en trophées et en prestige, mais qui n’est absolument pas lié à leur histoire personnelle. Avec cet horrible choix de vie, ils rompent avec une certaine idée du foot. Pire encore, ils se détachent même de ce qu’il y a de plus humain et de plus vivant dans ce sport ô combien magique : ils ne vont plus au stade, oublient carrément d’où ils viennent et ne discutent plus de l’actualité du club avec leurs proches de la même ville.
Car soutenir le club de son patelin, c’est bien plus qu’aimer une équipe. C’est appartenir à une communauté, partager une identité locale, des traditions biberonnées de génération en génération. C’est se retrouver entre amis au stade, vibrer ensemble et sentir que, le temps d’un match, on appartient à un groupe. C’est un attachement merveilleux à un patrimoine immatériel, propre à chaque ville. La preuve en est : lorsqu’on demande à un fan de foot de parler de son patelin, il évoque souvent en premier lieu son club. Et non les monuments, les spécialités gastronomiques ou les histoires mythiques et sordides de celui-ci.
Le goût du succès
Même après avoir quitté sa ville natale pour raisons personnelles et/ou professionnelles, cet attachement ne disparaît pas. Il se transforme en nostalgie positive. Lorsqu’on revient au stade de son enfance, on retrouve des visages familiers, on renoue avec une époque de sa vie qui appartient désormais au passé. On garde cet ancrage local essentiel dans sa vie. Cette attache devient encore plus précieuse lorsque le club qu’on a toujours soutenu finit par décrocher un trophée attendu depuis maintes années.
Dans ces moments rares et intenses, l’entièreté de la ville se rassemble. Les tensions s’effacent, les rues s’animent, le succès devient collectif et les émotions décuplent. Et parce que ces victoires sont rares, elles ont une saveur particulière : celle de l’effort, de la fidélité récompensée, de l’histoire écrite ensemble. Dans ce folklore, on a même l’impression d’avoir été l’un des facteurs dans la quête de ce fameux titre. Rien à voir avec le sentiment lointain et morne qu’un footix de Paris ressent quand son Manchester City remporte une énième Premier League. Boring, non ?
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Non, l’origine géographique n’est pas forcément un marqueur identitaire pertinent dans le supportérisme

Julien Duez
Qu’on le veuille ou non, Xanciennementwitter est devenu un bar-tabac comme les autres quand il s’agit de mettre sur la table les grands débats de société, dont la question posée ici fait assurément partie. Bien avant qu’elle ne devienne crypto-fasciste, la plateforme voyait déjà fréquemment se faire invectiver gratuitement des « Barcelonais du Maine-et-Loire » ou des « Interistes de la Nièvre », autant d’expressions dépréciatives visant à rappeler l’illégitimité d’un habitant du 49 à supporter tout autre club que l’Angers SCO ou, pour un Nivernais pur jus, le FC Nevers.
Un particularisme français
Déjà, il convient de définir le concept de « ville » : quand on habite dans un patelin de 800 habitants, doit-on obligatoirement en supporter le club qui évolue dans un obscur groupe de 4e division de district ? Bien sûr que non, on parle évidemment ici de supporter un club professionnel, du genre à donner des étoiles dans les yeux. Historiquement, la France se distingue de ses voisins européens par sa singularité à ne posséder qu’un seul club par « grande » ville, de telle sorte qu’il n’y a que dans l’Hexagone qu’on trouve un derby – au sens géographique du terme – opposant deux villes distantes (dans le meilleur des cas) d’une cinquantaine de kilomètres et ce ne sont pas les (très) rares exceptions ajaccienne (hier) ou parisienne (aujourd’hui) qui inverseront la tendance.
Ceci étant dit, on peut alors élargir le champ de l’appartenance à l’échelon du département, véritable pierre angulaire du maillage territorial français. Mais là encore, comment choisir quand on habite plus près du club du département voisin que de celui de sa propre préfecture ? Les Seine-et-Marnais, traditionnellement tiraillés entre le Paris Saint-Germain et l’AJ Auxerre, en savent quelque chose. Idem pour les habitants de territoires orphelins d’écuries professionnelles (les gens de la région Centre et ceux du très rugbystique quart Sud-Ouest, on vous parle). La réponse est simple : on fait ce qu’on veut. Si on veut supporter Bordeaux alors qu’on vit dans le Gers, tant mieux. Si on veut supporter Marseille alors qu’on est un Manchot born and bred, idem. L’important est simplement de savoir pourquoi on fait un choix et, surtout, de s’y tenir ensuite.
Chacun sa route, chacun son chemin
Au-delà des origines géographiques, les critères ne manquent pas pour justifier de son attachement à tel ou tel club. Il peut par exemple être reçu en héritage, libre à chacun de l’accepter ou non. Ainsi, un petit Ch’ti dont les parents sont Verts jusqu’à la mort sera-t-il plus enclin à supporter l’ASSE à son tour, malgré l’éloignement géographique entre son Nord natal et le Forez. À l’inverse, quand on naît dans une famille n’ayant rien à carrer du ballon rond, il faudra se trouver soi-même un poulain. Le plus souvent, les résultats sportifs du moment jouent un rôle prépondérant, il suffit de poser la question à des petits Parisiens nés dans les années 1990 et ayant grandi sous le règne du tout-puissant Olympique lyonnais, qui plus est à une époque où le PSG était sportivement à la rue, tout en faisant fréquemment la Une pour des faits de violences, incitant peu les parents « neutres » à emmener leur gamin voir un match au Parc des Princes.
Vient enfin l’épineuse question des clubs étrangers. Si certains auront tout prêt dans leur manche l’atout « grand-mère d’origine italienne » pour justifier leur attachement à la Juventus, d’autres revendiquent plus simplement un certain goût pour l’exotisme. Combien de French Reds ont commencé à supporter Liverpool après la finale de la C1 2005 ? Combien de French Gunners sont tombés amoureux de cet invincible Arsenal au parfum tricolore quelques années plus tôt ? Combien de Strasbourgeois se sont mis à suivre les résultats de Karlsruhe et du Hertha Berlin au nom de l’historique axe bleu et blanc transfrontalier ? Là encore, les raisons divergent, mais restent propres à chacun. Elles peuvent par ailleurs être politiques : on ne devient en effet pas supporter de Sankt-Pauli, de l’AEK Athènes, du Hellas Vérone ou de la Lazio complètement par hasard, surtout quand on n’a aucune connexion de base avec les villes que ces clubs représentent. Si supporter un club géographiquement proche de soi ou non est la conclusion d’un cheminement éminemment personnel, le plus important est de savoir pourquoi. La réponse se construit avec le temps et tombe souvent après plusieurs années, surtout quand ledit club arrive en perte de vitesse.
C’est à la fin du bal qu’on paye les musiciens et c’est en période de galère que l’on reconnaît les puristes, ceux qui ne retourneront pas leur veste aussi vite que le vent tourne. L’occasion de proposer une ouverture à un futur débat : faut-il apprendre les codes et adopter l’identité dudit club pour être crédible dans son supportérisme ? Premier élément de réponse : on regardera toujours de travers un supporter du FC Barcelone qui s’affiche contre les velléités indépendantistes catalanes, qu’il habite à Sants-Montjuïc ou à Bourg-en-Bresse.
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Par Mathis Blineau-Choëmet et Julien Duez