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César Menotti, l’anarchiste aristocratique (2)

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César Menotti, l’anarchiste aristocratique (2)

Petits Matins

Après la prise du palais d’Hiver et le Grand Soir de 1978, le menottisme va connaître ses matins qui déchantent. Tout d’abord, la catastrophique Coupe du Monde 1982, qui s’achève par la prise de pouvoir de l’ennemi juré Bilardo, ou l’ordre sans l’aventure.

Malgré l’ajout de Maradona à l’équipe championne du monde en 1978, l’Argentine manque d’originalité, de fraîcheur, certaines vedettes de 78, notamment Kempes et les défenseurs Olguín et Gaván, étant complètement hors de forme. Pire, un des éléments essentiels de la doctrine menottiste, la remise en une touche de balle quand on reçoit la sphère avec un défenseur sur le dos, s’était totalement mécanisé, devenant la négation même du concept de l’aventure.

L’Argentine ne passe pas le second tour malgré la présence de Diego, récemment acheté par le Barça pour une somme record de 50 millions de francs, Menotti s’éloigne du football et laisse l’Albiceleste entre les mains de Bilardo, son antithèse footballistique qui défend le jeu vertical, le résultat avant tout et l’autorité de l’entraîneur. C’est Staline qui envoie Trotsky au Mexique.

Avant de s’emparer de la sélection mexicaine, Menotti fait néanmoins de fugaces apparitions au Barça, à Boca, à l’Atlético Madrid, River et Peñarol. Six mois par ci, six mois par là et à chaque fois le même constat : de belles idées et un joli naufrage.

Car il y a parfois autant de proximité entre le discours de Menotti et sa réalisation sur le terrain qu’entre un film d’Eisenstein et un kolkhoze au fin fond de l’Ukraine. Ainsi, un des grands principes de Menotti, “el achique” ou “rapetisser” le terrain, c’est-à-dire faire monter la ligne défensive lors des phases d’attaque afin de dérouler un “toque” dévastateur, se conclut le plus souvent par un contre éclair de l’adversaire, donnant lieu au triste spectacle d’un face à face avec le gardien, loin des pathétiques mains levées des défenseurs réclamant un hors jeu n’ayant jamais existé.

Une Coupe du Roi en deux ans avec le Barça de Maradona, pas un seul titre avec Boca et River, alors que, de son côté, Bilardo remporte la Coupe du Monde 1986. En cette fin de siècle, le mur tombe, l’URSS s’écroule, le menottisme en prend un coup, c’est la déliquescence des idéologies.

Une idée du football et de la vie

Pourtant, partout où il passe, César continue d’attirer les foules, de remplir les stades, et d’enflammer les hinchadas. Au Mexique, il est considéré comme un Dieu vivant, ayant révolutionné la manière de voir et de penser le football. Jamais la “Ola” mexicaine n’avait autant fait le tour du gigantesque stade Aztèque que lorsqu’il dirigea “los tricolores”.

Après son passage, la sélection cesse à tout jamais d’être surnommée “les petits rats verts”, et continue d’appliquer la philosophie de jeu léguée par l’Argentin. L’équipe du Mondial 94 dirigée par Mejía Barón est l’enfant caché de Menotti tandis que le débarquement de Milutinovic et de ses techniques de yougoslave – défense, cassage de jambes et “cojones” – est saluée par les huées des supporters mexicains qui implorent le retour du prophète.

Au fond, les échecs du Flaco s’expliquent aussi par l’ampleur de son projet. En attribuant à ses idées de jeu un caractère dogmatique, Menotti prend un risque infiniment supérieur aux entraîneurs à la dialectique plus modeste articulée autour du « on prend les matchs les uns après les autres » , « l’important c’est les trois points » et « l’arbitrage ne nous a pas aidés » .

Difficile de ne pas admirer un tacticien qui défend avec élégance et fanatisme une idée du football comme expression d’une forme de vie. Celle d’un type qui a grandi « en voyant des mecs jouer leur vie aux cartes » , d’un gamin de Rosario qui avant de passer professionnel avec Central après seulement six matchs en réserve gagnait sa vie en vaccinant des porcs, d’un mélomane communiste qui lisait “El hombre mediocre” et “La simulacion en la lucha por la vida” de José Ingenieros (2) au lieu d’aller à l’école.

L’idée d’un « football de gauche » dont Menotti parle avec son élégance caractéristique : « Dans le football – comme dans la politique – il y a d’un côté la droite, qui crucifie l’homme car elle l’anime avec des plaisirs qui n’ont rien à voir avec la vie, et qui n’a d’autre but que celui de gagner, et de l’autre la gauche, qui refuse l’utilitarisme, exalte la joie et pour laquelle même s’il est toujours bien de gagner, le plus important reste la manière de s’exprimer » .

Gagner avec mérite, respecter le public, le jeu et les joueurs, telle est la philosophie humaniste de Menotti. Chacune des équipes qu’il a dirigées a ainsi toujours attendu au bord du terrain pour saluer ses adversaires à la fin des matchs, que ce soit après les victoires mémorables ou les défaites pathétiques. Menotti est également un inlassable défenseur du joueur de football qu’il définit comme « noble par essence » et dont il s’inquiète de la dénaturalisation que l’argent et l’individualisme du football moderne entraînent chez lui.

C’est cela, César Menotti. Un homme qui prêche avec ferveur une certaine conception de la vie et du football, mais aussi un nihiliste qui, volontairement ou non, déclenche les polémiques partout où il se déplace. César Menotti est l’ « anarchiste aristocratique » , un non-conformiste aux grands principes, un vieux monsieur aux rêves d’enfant.

« Certaines personnes vivent la nuit car elles n’ont pas sommeil. Moi je vis la nuit parce que j’ai des rêves » . César Menotti.

Par Pierre Boisson, à Buenos Aires

2 – José Ingenieros, sociologue positiviste, est aussi l’un des fondateurs du socialisme en Argentine et théoricien de l’identité latino-américaine et de l’anti-impérialisme. Malheureusement, aucune traduction de son œuvre n’a été faite en français.

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