- 2010
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Ça Khartoum !!!
La défaite des Fennecs n'a en rien affecté la ferveur algérienne. Bien au contraire, elle l'a décuplée. Tout Algérien qui se respecte veut être du match de barrage au Soudan mercredi prochain. Au choix pour aider à la qualification ou pour rendre l'œil et la dent aux Égyptiens. Récit à Alger des préparatifs du voyage. Sans bagages.
« Si j’avais pas mon gosse de cinq ans, sans hésiter, j’aurais utilisé mes économies pour aller à Khartoum » , lâche mi-désabusé mi-impuissant le propriétaire du tabac-parfumerie de l’artère centrale du quartier Hydra. Avant d’ajouter l’air très sérieux : « Je serais allé là-bas pour venger les Algériens tombés au Caïre. Il faut. C’est presque un devoir citoyen » . Heureusement pour lui, ou malheureusement pour l’idée que ça n’est que du foot, tous ici partagent son point de vue. Des hauts dirigeants jusqu’aux plus démunis, de la presse jusqu’aux grandes compagnies privées, la question fait consensus : le match d’appui contre l’Égypte est plus qu’un simple match de foot. En jeu, dorénavant, il y a la cause nationale. Surtout depuis le caillassage du bus des Fennecs, particulièrement depuis la 95ème minute du match de samedi et plus que tout depuis que court la rumeur qu’au moins l’un des leurs est mort pas loin des Pyramides.
Samedi dernier, il ne faut que quinze minutes après le coup de sifflet final pour s’en rendre compte. Un petit quart d’heure pour que les klaxons repartent de plus belle, pour que reprenne le défilé incessant des voitures blanches et vertes, avec les jeunes assis sur la capot, les enfants aux fenêtres et papis et mamies aux balcons. Et comme l’espoir a un nom, soit Khartoum, l’idée est de tous s’y rendre. « Soudan on arrive » , titre Liberté. « Tenez bon les Verts, les renforts arrivent » pour La Nouvelle République. « Tous à Khartoum ! » , s’exclame enfin El Watan. Qu’à cela ne tienne, répond le PDG d’Air Algérie, sur injonction du Président himself. Au lieu de 90 000 dinars (environ 900€) le seul billet d’avion, la compagnie et ses sponsors s’engagent à offrir à 4000 chanceux le siège passager en classe éco plus la place au stade plus aucune formalité de visa pour la modique somme de 20 000 dinars (soit 200€). Ça c’est la chance au tirage. La chance au grattage, c’est que les retardataires auront aussi droit au carton d’embarquement à -75%. Inutile de préciser les conséquences : des agences assiégées un peu partout dans le pays. Au mieux des queues interminables, au pire un pogo géant de quelques heures avant d’atteindre le guichet. A Alger-centre dimanche, l’agence de la place Audin ferme ses portes en attendant les renforts pour évacuer les gadjos à l’intérieur.
Lundi, coup d’envoi du pont aérien. Au menu pas moins de 10 vols charters. Malheur aux touristes ou hommes d’affaires rentrant au pays. Embouteillage à la sortie d’autoroute jusque l’aéroport Houari Boumediene. A pied, par bus, taxi, covoiturage, l’armée de l’équipe nationale surgit de partout. Le bâtiment est cerné. Tant bien que mal, les cops locaux bloquent les entrées pour tenter de juguler la horde. Devant cette foire d’empoigne, les quelques costards-cravates et blancs-becs tirent la tronche. Quelle solution adopter ? Faire la queue, passer en force ou se faire remarquer comme non-partant pour le Soudan. Finalement un peu des trois. Il s’agit d’aller aux portes pour “passagers normaux”, carotter la file pour entrevoir les portes automatiques, se faire repérer par un gorille, pénétrer le maul et aplatir la valise derrière le rideau défensif des képis. Une fois à l’intérieur, un simple enregistrement et le boulot est terminé. En revanche, le jeune padawan algérien découvre lui que le Soudan, c’est plus loin qu’il ne le pensait. L’étape suivante consiste à atteindre le guichet Air Algérie. Plus difficile encore que de rentrer dans le terminal. Chacun a sa technique : il y a le raffut, le cadrage-débordement et le plus insolite, la chandelle qui consiste à grimper sur les épaules d’un collègue et essayer d’avancer en marchant sur ceux des autres (véridique!). La police est spectatrice et encore, c’est un euphémisme, car c’est pas sûr qu’elle suive.
Tout ça pour dire que la FIFA a plutôt intérêt à avoir prévu son coup. Car c’est pas un TGV de mille Parisiens qui débarque. On parle ici de sécuriser un match à très haute tension autour d’un stade soudanais. Muette sur la poursuite des agressions au Caire, l’instance du football internationale n’a pas donné suite à son simple bout de papier en forme d’avertissement. Alors qu’en des temps pas si éloignés, la Turquie prenait six matches à huis clos, 129 000 euros d’amende et des suspensions contre des joueurs pour des incidents pas plus graves contre la Suisse. Avis donc aux réalisateurs en quête d’un scénario de film d’horreur à petit budget !
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