Arrêt Webster : qui descend ?
Pour n'avoir pas pu être transféré à Dunkerque, JM.Bosman a juste révolutionné le football des clubs en Europe avec l'arrêt portant son nom. A l'avenir, il faudra peut-être compter avec le nom d'Andy Webster, honnête stoppeur écossais de 25 ans, si son cas faisait jurisprudence. La semaine dernière, le Tribunal Arbitral du Sport de Lausanne a condamné Webster à payer « seulement » sa dernière année de salaire à son ancien club de Hearts of Midlothian (soit 200 000 euros) pour rupture unilatérale et sans motif de contrat. Une bombe en puissance qui pourrait bouleverser le marché des transferts en incitant un footballeur à rompre son contrat à sa guise. Histoire et conséquences d'un mec qui voulait signer à Wigan pour gagner plus.
Mercredi dernier, trop occupés à leur appel d’offres sur les droits télé de la Ligue 1, les présidents de clubs français n’ont peut-être pas vu arriver la menace Webster, déboulée depuis le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) de Lausanne.
Le verdict du TAS dans l’affaire opposant Hearts of Midlothian à Andy Webster et Wigan pourrait ainsi remettre en cause une partie de la manne financière que représentent les transferts pour les clubs de l’Hexagone, entre autres. « La décision rendue par le TAS le 30 janvier 2008 est très dommageable pour le football ; c’est une victoire à la Pyrrhus pour les joueurs et leurs agents, qui rêvent de pouvoir rompre les contrats avant qu’ils n’arrivent à leur terme » , s’est empressé de réagir le président de la FIFA Sepp Blatter.
Le cas Webster, s’il fait jurisprudence – ce qui n’est pas encore gagné ou perdu, c’est comme vous voulez – pourrait conduire à une reconsidération de l’exception sportive en matière de contrat de travail. « Si la stabilité contractuelle était menacée, la FIFA envisagerait les mesures appropriées pour sauvegarder la nature spécifique du sport pour ce qui est des contrats de travail » prévient le site officiel de la FIFA.
A l’opposé, dans L’Equipe, Fabrice Rizzo, spécialiste du droit du travail à l’université d’Aix-Marseille, estime que le football « revient dans le droit du travail commun. On revient aussi au principe de libre circulation des travailleurs. La période protégée est une entorse, une exception. Cette sentence, qui ne me surprend pas, est fondamentale. Elle fixe les règles juridiques des transferts hors période de stabilité » .
Adoptée en mars 2001, la période de stabilité interdit à un joueur de rompre son contrat dans une période de trois ans, s’il est âgé de moins de 28 ans, et de deux ans s’il a 28 ans et plus. Et rien ne dit qu’un prochain arrêt Webster ne remettrait pas en cause l’existence même de cette période de stabilité.
Arrivé à Hearts en 2001 pour 75 000 livres, Andy Webster fait son trou, y devient international écossais et acquiert une certaine valeur marchande.
Au printemps 2006, ses dirigeants lui proposent une prolongation de contrat de trois saisons, un an avant le terme du premier contrat. Webster refuse, rompt son contrat sans motif justifié et signe dix semaines plus tard à Wigan en tant que joueur libre.
Un peu gros pour les Ecossais, qui saisissent la Chambre des Résolutions des Litiges de la FIFA afin d’obtenir réparation. Verdict, Webster doit payer 837 000 euros à titre de dédommagement et d’indemnités de formation.
Hearts reste sur sa faim, la décision ne prenant pas en compte le potentiel marchand du joueur, estimé à 5,3 millions d’euros à l’époque. Le Britannique est hors de prix, mais ça c’est une autre histoire.
Le club d’Edimbourg se porte alors devant le TAS, tandis que Wigan et Webster interjettent eux aussi de leur côté la décision. Le TAS condamne Webster à payer 200 000 euros, soit le résidu salarial le liant à Hearts pour sa dernière année de contrat.
Une condamnation qui résonne comme une victoire pour Webster et sa nouvelle formation. Le TAS justifie sa décision par les raisons suivantes :
1) Hearts avait déjà amorti la somme investie en 2001 sur Webster.
2) Le joueur s’est mis en contact avec Wigan après la rupture de contrat.
Pas évident à avaler, ce dernier point ouvrant un précédent très difficile à juger. On voit mal un joueur international rompre son contrat sans avoir un acquéreur potentiel pour se retourner.
Du côté des syndicats des joueurs, on se réjouit de la décision. Philippe Piat, coprésident de l’UNFP, y voit tout l’intérêt pour les joueurs, « qui sont désormais tous en mesure de calculer le montant de la compensation qu’ils devront verser s’ils veulent rompre leur contrat. Il n’y a plus de place à l’improvisation » . Surtout qu’il paraît acquis que l’indemnité en question sera payée indirectement par le club acheteur, bien content de l’économie réalisée.
Loin de signifier la fin du marché des transferts, comme on a pu le lire ou l’entendre, un possible arrêt Webster pourrait encore accélérer la frénésie de celui-ci, les clubs ayant intérêt à vendre avant que le joueur ne puisse rompre son contrat.
Dans son communiqué, la FIFA évoque une menace sur les clubs formateurs : « Les petits clubs qui se battent déjà pour conserver leur effectif, notamment s’il comporte des joueurs prometteurs, se retrouveront donc face à des approches bien plus agressives concernant leurs joueurs une fois que les contrats en question auront dépassé la période protégée » . Sur ce coup-là, on ne peut pas totalement donner tort à la sacro-sainte institution du football.
Petit cas concret : Imaginons un club formateur de Ligue 2, dont l’élément le plus prometteur tape dans l’œil de plusieurs grosses écuries européennes ; le salaire du joueur est évalué à 20 000 euros par mois (correct en L2) et il lui reste encore deux ans de contrat.
Si le joueur décide de rompre son contrat avant terme, il devra à son club formateur 480 000 euros ; une paille pour un acheteur potentiel comparé à la valeur marchande supposée de notre crack en puissance. De quoi remettre en question l’intérêt de faire tourner un centre de formation. Pendant ce temps-là, Andy Webster s’est perdu aux Glasgow Rangers, où Wigan vient de le prêter après quatre malheureux matchs en Premier League.
Tout un précédent juridique qui finira peut-être devant la Commission ou la Cour de justice de l’Union Européenne pour que Monsieur Webster partage le banc avec Jean-Claude Darcheville.
Alexandre Pedro
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