- France
- Médias
Antoine Griezmann, une idée derrière la Têtu ?
En s'affichant mercredi en une du magazine Têtu, où il appelle « les gens des clubs, la FFF et la Ligue » à combattre l'homophobie, Antoine Griezmann a mis les pieds dans le plat de l'homosexualité dans le football. Par volonté de défendre une cause noble, assurément, mais aussi en cherchant à établir un nouveau modèle de « star sociale » du foot ?
Dans une autre vie, Antoine Griezmann aurait été spécialiste des médias. Deux documentaires (Griezmann Confidentiel, Antoine Griezmann : Champion du monde), une vidéo où il se met en scène pour annoncer son choix de rester à l’Atlético de Madrid (La Decision), une autobiographie (Derrière le sourire)… Mercredi, le futur ex-Colchonero a de nouveau prêté son faciès pour les besoins d’un média, s’affichant en une d’un célèbre magazine. France Football ? Onze Mondial ? So Foot, alors ? Non, Têtu. Pas banal. Courageux, même, tant l’homosexualité reste un tabou dans le foot. Mais pas non plus révolutionnaire, Olivier Giroud l’ayant fait bien avant lui, en 2012. La photo d’un Grizou aux cheveux bouclés en bataille, au regard bleu perçant et à la barbe de trois jours aurait ainsi pu ne pas attirer l’attention si elle n’avait été accompagnée d’une punchline sans équivoque : « L’homophobie dans le foot, ça suffit. »
Très fière d’avoir interviewé @AntoGriezmann pour @TETUmag ? #homophobie #football @RomainBurrel https://t.co/2SAOKoel3l pic.twitter.com/brhlwbZodx
— Alessandra Sublet ⭐️⭐️ (@alsublet) 22 mai 2019
En quatre pages d’interview, l’attaquant de 28 ans tisse sa toile autour de ce sujet brûlant. « Le champion du monde veut en finir avec le tabou de l’homosexualité dans le foot. Et avec l’image homophobe de son sport » , annonce d’entrée de jeu la présentatrice Alessandra Sublet, qui connaît bien le joueur pour avoir produit son documentaire Griezmann Confidentiel et qui l’a interviewé pour Têtu. « Je fais ça pour démarrer une conversation sur l’homophobie dans le football » , explique le Mâconnais. « Et (cette conversation) tient en quelques mots : « Maintenant, ça suffit ! » (…)Pour inverser la tendance, il faut en parler déjà. Répéter que l’homophobie n’est pas une opinion, mais un délit. Et, désormais, si un joueur tient des propos homophobes sur le terrain, je pense que j’arrêterai le match.(…)Si un joueur veut faire son coming-out, je veux qu’il sache qu’il aura quelqu’un sur qui compter : moi. Je serai à ses côtés. »
Le revers de la une
Évidemment, les commentaires sur les réseaux sociaux ne se sont pas fait attendre, doutant du bien-fondé de la démarche du gaucher ou de la mise en œuvre réelle de sa dernière proposition d’interruption de rencontre. Simple effet d’annonce qui ne sera pas suivi d’actions concrètes pour les uns, énième volonté de marcher dans les pas de son idole David Beckham (qui avait aussi fait la une d’un magazine gay – Attitude) pour les autres. « Beckham est mon modèle. C’est le premier à avoir fait se rencontrer la mode et le football. Il a quasiment inventé le sponsoring pour les joueurs » , confirme d’ailleurs dans Têtu celui qui s’est révélé à la Real Sociedad.
Un philanthrope, Antoine Griezmann ? « Un footballeur en manque de reconnaissance, c’est tout ! » , répondraient ses détracteurs. Dans l’ombre des stars marketing Kylian Mbappé et Paul Pogba en équipe de France, moqué tous azimuts lorsqu’il avait déclaré « être assis à la même table que Messi et Ronaldo » , le Madrilène ne chercherait à se faire le chantre de la cause gay que pour se démarquer de ses coéquipiers-rivaux et rattraper son déficit de popularité.
Mais réduire Griezmann à un fin récupérateur politique serait incorrect. D’abord parce que l’engagement social de « Grizi » ne date pas d’hier (violences faites aux femmes, don solidaire en magasin)… Ensuite parce le Franco-Espagnol n’a jamais été le dernier pour s’exprimer sur l’homosexualité. En 2017 déjà, il avait pris position dans les colonnes du quotidien espagnol El Pais : « Les footballeurs ne sortent pas du placard parce qu’ils ont peur d’être insultés. Si j’étais homosexuel, je le dirais, même si c’est plus facile de dire ça quand on ne l’est pas. » Ce mois-ci, on l’a vu participer au documentaire Footballeur et Homo, au cœur du tabou de Yoann Lemaire, ancien footballeur amateur qui avait été exclu de son équipe après avoir fait son coming-out. Le Madrilène fait partie de cette caste de sportifs qui se servent de leur parole médiatique pour remettre un peu d’ordre dans le monde parfois sclérosé du foot. Sa communication réduite autour de sa sœur Maud et d’un ami mâconnais, plus « artisanale » que celles de ses confrères selon le journaliste auteur de son autobiographie, n’est pas étrangère à cette impression de fraîcheur de ton.
Grizou, l’anti Pogba ?
Quête de popularité et volonté réelle de faire bouger les choses, il y a sans doute un peu des deux dans la prise de position de Griezmann. Quoi qu’il en soit, le choix de l’homophobie n’est pas anodin. Aucun footballeur pro de renom ou presque n’a encore osé taper du poing sur la table sur ce sujet. De là à y voir un créneau pour s’ériger en nouveau chef de file de footballeurs « sociaux » et plus proches de leur public, en opposition aux produits marketing comme Paul Pogba, il n’y a qu’un pas que Griezmann n’hésite pas à franchir. « Je ne crois pas que chaque joueur de l’équipe de France ait le même discours.(…)Si un footballeur gay souhaite faire son coming-out, il n’aura peut-être pas tous les joueurs de l’équipe de France à ses côtés, mais il m’aura, moi ! » clame Griezmann dans Têtu.
Dans cette déclaration de guerre à l’homophobie, le timing est important aussi. Ses propos interviennent au moment où le champion du monde a choisi de quitter l’Atlético de Madrid, un peu moins sexy que le Barça et autres top clubs, pour entrer dans une nouvelle dimension. Coïncidence ou non, son interview dans Têtu déboule aussi quelques jours après l’enflammade de Kylian Mbappé, qui a réclamé « plus de responsabilités au PSG ou ailleurs » . Si Antoine Griezmann cherchait à valoriser son statut naissant de « star consciente » en opposition aux caprices sportifs de certains de ses renommés collègues, il n’aurait pas pu le faire à un meilleur moment.
Par Douglas de Graaf
























