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L’homosexualité dans le foot : un tabou à briser

Par Clément Gavard
L’homosexualité dans le foot : un tabou à briser

La trêve internationale a été marquée par la polémique autour des chants haineux, et notamment homophobes, dans les stades, lancée par la ministre des Sports Roxana Maracineanu. Un grand bazar médiatique pas toujours audible, qui doit ouvrir une réflexion plus générale et essentielle sur le grand tabou de l'homosexualité dans le football.

Le sujet a été posé sur la table en pleine trêve internationale, sans trop qu’on s’y attende, par Roxana Maracineanu, la ministre des Sports. Après avoir assisté au classique PSG-Marseille au Parc des Princes, l’ancienne nageuse s’est indignée une première fois sur les réseaux sociaux, dénonçant les insultes et les chants haineux lancés par les supporters parisiens. Avant d’en rajouter plusieurs couches dans les médias, pointant du doigt l’homophobie dans les tribunes : « Ce n’est pas parce qu’elles sont anciennes que ces pratiques doivent perdurer. Les insultes, homophobes notamment, sont interdites par la loi et elles seraient tolérables dans les stades ? » L’engrenage était lancé. Nathalie Boy de la Tour, la présidente de la LFP, a mis en lumière le « folklore dans les stades » – sans oublier de condamner les insultes homophobes –, avant de se faire reprendre de volée par la Secrétaire d’État Marlène Schiappa.

Beaucoup de blabla, mais rien de révolutionnaire : oui, l’homosexualité est un sujet tabou dans le football, et ce, depuis un moment déjà. « On sait tous qu’il y a un problème d’homophobie dans le foot ! Mais plutôt que de se donner la main tous ensemble pour faire avancer les choses concrètement, chacun préfère faire sa petite déclaration soudaine et surprenante de son côté, déplore Yoann Lemaire, le président de l’association Foot ensemble. C’est un cirque médiatique avec des personnalités influentes, je trouve ça un peu navrant. Ces prises de parole ont l’effet inverse : les supporters vont hurler, ils peuvent être blessés, on les prend pour des cons, mais ce ne sont pas des cons ! Il faut faire autrement. » Et si on commençait par donner la parole aux principaux intéressés ?

« On marchait sur la tête »

Il faut rembobiner un peu l’histoire pour comprendre l’engagement de Yoann Lemaire. En 2004, le footballeur amateur des Ardennes révèle son homosexualité, devenant le symbole de la lutte contre l’homophobie et un des pionniers dans le domaine du ballon rond. En 2010, après avoir pris une année sabbatique, il souhaite reprendre une licence au FC Chooz, un an après avoir été pris à partie par un coéquipier devant les caméras de France 3 à cause de son orientation sexuelle. Sauf que rien ne se passe comme prévu : en septembre 2010, il apprend son éviction du club par un communiqué de presse publié par son président, justifiant la décision par un manque de sécurité pour le licencié. « À l’époque, ça avait fait beaucoup de bruit, la ministre Rama Yade s’en était mêlée, se souvient Yoann. Le communiqué était scandaleux. J’avais appelé le président de la Ligue, tout le monde possible, ils me disaient : « On ne peut rien faire, prenez un avocat, une association a le droit de virer un membre. » On marchait sur la tête. »

Yoann Lemaire et Jacques Vendroux au Variétés Club de France

Dans la foulée, Yoann publie un bouquin intitulé Je suis le seul joueur de foot homo, enfin j’étais et retrouve les terrains sous le maillot du Variétés Club de France. Une décennie plus tard, les mentalités ont légèrement évolué, sans que le changement soit radical. « Il y a quand même une nette évolution, se réjouit-il.Les nouvelles générations voient l’homosexualité dans les séries, dans les jeux comme Football Manager, on en voit partout. Les gamins ne découvrent pas, ils savent ce que c’est. J’ai vu une grande différence vers 2013-2014, au moment du mariage pour tous. Si une minorité était encore plus virulente, c’était très rare qu’un coéquipier ou un adversaire m’insulte. » Et pourtant, la loi du silence est de rigueur.

La loi du vestiaire

Chez les professionnels comme les amateurs, ils sont peu nombreux à avoir fait leur coming-out. Pourquoi un tel silence ? Sûrement parce qu’être homosexuel dans un vestiaire où règne la testostérone est beaucoup plus difficile qu’on ne le pense, chez les jeunes comme les adultes. Damien* a tâté le cuir pendant trois ans dans sa jeunesse, sans que personne ne sache qu’il était gay : « C’est un milieu dans lequel on valorise plutôt le machisme et la virilité. Si j’avais dit ouvertement que j’étais gay, je suis sûr que ça m’aurait causé un tas de soucis, comme une mise à l’écart, des moqueries, des insultes… J’ai préféré rester hétéro aux yeux du monde à cette époque, même si j’avais pleinement conscience de mon homosexualité que je voulais cacher à tout prix. Faire du foot m’a d’ailleurs aidé à le cacher, c’était une sorte d’alibi. » Et si Damien garde quelques mauvais souvenirs de cette époque ( « Je ne me sentais pas forcément à l’aise dans un vestiaire à moitié hétéro, il y avait souvent des discussions autour du sexe, des filles, qui ne m’intéressaient pas » ), il affirme que tout ça n’a pas joué dans son choix d’arrêter le foot, ni dans celui de faire son coming-out six ans plus tard, à l’âge de 19 ans.

Comment expliquer la peur de se dévoiler et la persistance du tabou ? « On dramatise trop l’homosexualité, il y a aussi la peur du vestiaire, explique Yoann Lemaire. Combien de fois j’ai entendu des gens me dire que ça les dérangeait de se doucher à côté d’un homo ? Ils ont peur d’être regardés, ils ne veulent pas être l’objet d’un éventuel désir. Je n’arrive pas à comprendre cette peur. » La conséquence d’un environnement particulier, où les personnalités peuvent étrangement changer. « Ça m’est déjà arrivé de jouer contre un mec que j’avais vu sur un site de rencontres, et c’est limite s’il ne m’insultait pas de tarlouze ou de pédé » , blague Yoann. Et si lui a révélé son homosexualité depuis quinze ans, il rencontre encore souvent des personnes en souffrance et n’osant pas franchir le pas : « Quand ça se passe bien et qu’on vous accepte, on se dit que le foot est vraiment magique. En revanche, quand ça se passe mal, c’est très, très dur. On se dit : « Qu’est-ce qu’ils vont penser de moi si j’en parle ? » Et on peut arriver à des drames : ça peut vous arrêter, vous déprimer, voire même pousser au suicide. Il faut y penser. » Oui, il faut y penser.

Libérer la parole

Et si le salut passait par une prise de conscience chez les professionnels ? Pourquoi ne pas montrer l’exemple ? « Rares sont les joueurs professionnels à assumer leur homosexualité, déplore Damien. Un des seuls à avoir fait son coming-out dans ce milieu, c’est Justin Fashanu et on sait comme ça s’est malheureusement terminé. » (Le joueur anglais avait été retrouvé pendu en 1998, N.D.L.R.) Récemment, des internationaux français comme Griezmann et Giroud se sont exprimés sur le sujet, le second s’étant déjà engagé en faisant la Une du magazine Têtu au début des années 2010. Le problème ? Ce sont des exceptions dans un monde où le silence s’impose quand le thème de l’homosexualité est abordé. « Je me suis démené pour avoir des joueurs connus pour en parler, juste en parler, commente Yoann Lemaire, dont le documentaire sur le sujet sera diffusé dans les prochaines semaines sur France 2. En fait, certains ne se sentent tout simplement pas concernés, et surtout ne maîtrisent pas le sujet. La communication est contrôlée, il y a la peur de balancer une connerie. Par exemple, un joueur avait accepté de me parler face caméra, mais je n’ai jamais pu caler le rendez-vous avec son avocat. J’ai relancé des dizaines de fois, il y avait toujours une bonne excuse pour ne pas parler. »

L’homme de 36 ans préfère donc miser sur la sensibilisation, le dialogue et la multiplication des ateliers dans les écoles de foot ou dans les collèges/lycées. Parler, échanger, pour faire comprendre aux jeunes que l’orientation sexuelle n’est pas importante dans un vestiaire de foot, comme dans la vie de tous les jours. Lundi, Yoann a reçu un Licra d’or, récompensant son engagement contre les discriminations, au Sénat où il a assisté à une scène inédite le rendant optimiste : « J’ai lancé une perche vu qu’il y avait des jeunes du centre de formation de Caen en disant que c’était difficile de parler d’homosexualité avec des ados de 16 ans. Et il y en a un qui s’est levé pour me dire qu’il n’était pas d’accord en lâchant : « Si on a un coéquipier homo dans l’équipe, je peux vous dire qu’il sera bien accueilli. » On était tous estomaqués, c’est la première fois que je voyais ça. »

Reste maintenant à mettre de côté les buzz médiatiques pour lancer des actions concrètes et régulières. Yoann Lemaire regrette Laura Flessel, l’ancienne ministre des Sports ayant quitté le gouvernement en septembre 2018 : « Elle m’avait mis le pied à l’étrier pour le documentaire, elle voulait faire de la sensibilisation, c’est la première fois que je voyais quelque chose de concret, et ça travaillait bien avec la LFP. Quand elle est partie, on a relancé son cabinet, sans trop avoir de nouvelles. Il faut y aller progressivement, mais pour l’instant, la LFP est la seule à avoir des projets. C’était bien de parler tout fort il y a vingt ou trente ans, mais la situation a tellement changé qu’il faut se concentrer sur une vraie campagne de sensibilisation réfléchie. » Et faire en sorte que l’homosexualité dans le foot ne soit plus un sujet tabou.

Yoann Lemaire et Didier Deschamps

Dans cet article :
Theo Hernandez, le prince de la vrille
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Par Clément Gavard

Tous propos recueillis par CG, sauf mentions

* le prénom a été modifié à la demande de la personne.

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