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Un conte irlandais

Par Adrien Candau
Un conte irlandais

Ce jeudi, Irlandais et Nord-Irlandais se retrouvent pour un match amical pas vraiment comme les autres. Retour sur l'histoire de deux équipes nationales conditionnées par les évolutions politiques et sociétales de deux territoires aussi riches que complexes identitairement.

15/11/2018, 20h45
Amical

C’était il y a vingt ans, déjà. En cette année 2018, l’Irlande ne célébrait pas comme la France les vingt piges de son premier succès en Coupe du monde. Mais la signature de l’accord du Vendredi saint, qui mettait fin à un conflit armé qui avait fait plus de 3000 morts entre 1968 et 1998. De quoi aussi pacifier les affrontements footballistiques entres les deux Irlande, alors que les tensions entre supporters des deux camps étaient encore loin d’être désamorcées au début des années 1990.

Irish connection

Historiquement, les deux sélections irlandaises ont longtemps entretenu un rapport assez ambivalent. Alors que l’Irlande se sépare du Royaume-Uni et de l’Irlande du Nord en 1921, la Fédération irlandaise (FAI) voit le jour la même année et fait donc sécession avec la Fédération nord-irlandaise de football (IFA). Si deux fédérations et deux équipes existent désormais, la porosité entre les deux sélections, qui s’appellent alors toutes les deux « Irlande » , reste importante. Notamment parce qu’elles se réservent le droit de choisir des joueurs issus de l’autre côté de la frontière. La Fédération nord-irlandaise serait devenue particulièrement coutumière du procédé, notamment en attirant des joueurs originaires du Sud en leur offrant des rémunérations généreuses pour l’époque.

Au total, pas moins de 38 joueurs évoluent ainsi pour les deux sélections entre 1921 et 1950. À l’époque, il n’est alors pas rare de voir des catholiques nord-irlandais, pourtant majoritairement partisans d’une Irlande du Nord indépendante du Royaume-Uni, soutenir activement la sélection nord-irlandaise : « Disons qu’avant les années 1980, j’ai la sensation que la sélection nord-irlandaise a mieux su séparer la politique et le sport. Par la suite, à partir du début des années 1990, elle a été nettement plus associée à la population protestante » pose Paul Breen, maître de conférences à l’université de Westminster, spécialiste du sport et de l’identité culturelle et auteur du roman The Charlton Men.

De fait, si le conflit armé nord-irlandais éclate en 1968 entre les partisans de l’indépendance et les unionistes, le football, lui, n’est pas toujours vecteur de divisions. En atteste cette tentative, appuyée par George Best, de créer une seule et unique équipe nationale. Entre 1973 et 1980, les fédérations des deux Irlande se rencontrent à plusieurs reprises, mais ne parviendront jamais à se mettre d’accord. « Ça n’a pas pu se faire à cause de différences politiques, mais aussi économiques, déroule Paul Breen. Chacune des fédérations se voyait plus légitime que l’autre : l’IFA, parce qu’elle est plus ancienne et que, techniquement, c’est le Sud qui s’est séparé du Nord, ce qui n’était pas un argument convaincant aux yeux de la FAI. Il y avait aussi des paramètres économiques : fusionner impliquait de se séparer de beaucoup de gens… »

The battle of Belfast

Alors que le conflit nord-irlandais n’est pas encore résolu à l’aube des années 1990, les tensions entre les deux équipes nationales atteignent un de leur point culminant le 17 novembre 1993 à Belfast, alors que l’Éire, encore en course pour obtenir sa place pour le Mondial 1994, joue son dernier match de qualification face à son meilleur ennemi. À l’époque, le pays traverse un dangereux pic de tension sécuritaire et politique : le 23 octobre, l’IRA frappait un fief protestant de Belfast, faisant dix morts, avant que les unionistes de l’Ulster Volunteer ne répondent quelques jours plus tard, en commentant un attentat qui faisait à son tour sept victimes dans le Comté de Londonderry. « Cet attentat, commis le jour d’Halloween, a été surnommé le « trick or treat massacre », explique Paul Breen. Certains supporters nord-irlandais ont fait référence à ce massacre dans leurs chants pendant le match… L’atmosphère autour de cette rencontre était vraiment horrible… C’était quand même une époque où vous pouviez vous faire tuer dans certaines parties de Belfast si vous affichiez certaines opinions… »

Le joueur irlandais Alan Kernaghan en prend particulièrement pour son grade. Né en Angleterre, ce dernier a joué pour les sections de jeunes de l’Irlande du Nord avant d’opter pour l’Éire. Ce qui fait de lui le bouc émissaire de Windsor Park, qui le hue à coups de « fucking Lundy » (un synonyme local de traître, en référence au colonel Lundy, qui, en 1689, voulait rendre Derry aux forces jacobites catholiques). La rencontre se conclura finalement sur le score de 1-1, qui garantit la qualification de la République d’Irlande pour la Coupe du monde américaine.

Le cœur vert

Et aujourd’hui ? Les choses se sont tassées depuis l’Accord du Vendredi saint en 1998, qui mettait fin au conflit armé. Même si la sélection nord-irlandaise, elle, peine à conserver certains de ses meilleurs éléments, qui ont la possibilité d’évoluer pour l’Éire, alors que chaque personne née en Irlande du Nord peut désormais s’identifier comme irlandaise, britannique, ou les deux. « Les catholiques nord-irlandais – et ça vaut aussi pour les joueurs de foot – s’identifient généralement avant tout comme irlandais plutôt que comme citoyens britanniques, reprend Paul Breen.L’exemple le plus emblématique, c’est James McClean (62 sélections avec l’Éire), qui a refusé de jouer pour l’Irlande du Nord alors qu’il avait intégré les équipes de jeunes nord-irlandaises. Symboliquement, l’équipe nord-irlandaise reste très rattachée au Royaume-Uni (N.D.L.R., God save the Queen est par exemple l’hymne de la sélection), alors que ces joueurs-là revendiquent une identité irlandaise. »

Signe que, si la violence est beaucoup plus absente, la question de l’identité nord-irlandaise reste éminemment complexe, alors que l’Irlande du Nord retrouve l’Éire pour un match amical à Dublin ce jeudi : « Moi, je suis un Nord-Irlandais né près de la frontière, je vis à Londres, et ma femme est anglaise, bref je soutiens les deux équipes, reprend Paul Breen. Ça ne me dérangerait pas du tout si l’Irlande du Nord remportait ce match. Mais voilà, je ne peux pas vous cacher un truc : identitairement, ma famille et moi-même sommes beaucoup plus liés à l’Éire. Alors si la République d’Irlande l’emporte, je serai plus heureux. »

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Par Adrien Candau

Tous propos recueillis par AC

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