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Stéphane Henchoz : « À Paris, Tuchel a mis de l’eau dans son vin »
Depuis plus de sept ans, Stéphane Henchoz passe une semaine aux côtés du Borussia Dortmund durant son stage de pré-saison à Bad Ragaz en Suisse. Reconverti comme entraîneur, l'ancien défenseur de Liverpool a donc eu le privilège d'observer Thomas Tuchel et Lucien Favre de près. Suffisant pour qu'il les compare, avant le match aller de ce mardi soir.
À l’été 2015, vous avez pu assister aux débuts de Thomas Tuchel sur le banc du Borussia Dortmund. Qu’est-ce qui vous a le plus marqué, entre lui et Jürgen Klopp ? Sans aucun doute leur personnalité, car celle de Jürgen Klopp est quand même très différente de celle de Thomas Tuchel. Ce dernier est beaucoup plus introverti que son prédécesseur, et d’ailleurs, j’ai remarqué que Klopp ne se force absolument pas. Il n’a pas besoin de jouer un rôle, il est jovial et tout le temps gai. Que ce soit avec les joueurs, le personnel du club ou les supporters qu’il croisait à l’hôtel.
À l’inverse, Thomas Tuchel est réputé pour avoir moins de tact et être plus froid. Vous confirmez ?
Oui, il est différent. Très minutieux aussi, et on pouvait voir qu’il était également très respecté par les joueurs. Ce qu’il faisait était très pointu, mais d’une façon différente de celle de Klopp. On remarque notamment ça dans l’ambiance générale des séances. Tuchel est bien moins exubérant, alors que Klopp est très proche et très tactile avec ses joueurs. Tout l’inverse de Tuchel, qui n’a jamais hésité à prendre une décision qui va à l’encontre d’un joueur.
Vous avez également été aux premières loges quand Lucien Favre a été nommé entraîneur, à l’été 2018. C’est encore autre chose, par rapport à Tuchel ?Oui. Lucien est très minutieux sur des points qui peuvent paraître parfois assez basiques, comme la répétition de certains gestes techniques de base. En revanche, ses séances sont super intéressantes pour les joueurs. Il y a beaucoup de jeu avec le ballon, beaucoup d’intensité, de mouvement et de jeux techniques. On voit que les joueurs trouvent ça très, très agréable. On voit également qu’il veut vraiment faire progresser ses joueurs individuellement, il prend énormément de temps pour ça.
Ce qui ne l’empêche pas d’être sur la sellette depuis plusieurs mois…Tout à fait.
Pourtant, aujourd’hui, il fait un super boulot, mais il ne retire pas le mérite de ce qu’il fait. Il est critiqué, mais il faut toujours faire attention avec ça. Car parfois, on souhaite quelqu’un d’autre, mais on ne se rend pas compte que ce qu’on a sous la main est déjà très bien. C’est toujours embêtant quand un entraîneur est sous pression, ça peut déstabiliser l’équipe et le club. C’est ça qui est un peu bête. En ce sens, le match de mardi sera important. Notamment car le Borussia est capable de battre Paris, à la maison. Puis, le fait que Tuchel soit en face rajoute un peu plus de pression sur Dortmund.
Vous écriviez dans une chronique pour Le Temps que Tuchel est plus distant, scientifique et tactique que Favre. Pourquoi ? Oui, c’est un sentiment général en fait. Quand on l’observe pendant une semaine à l’entraînement, on voit que Klopp va prendre un joueur par le bras et rigoler avec lui comme avec un copain. Ces gestes-là ne trompent pas, et c’est clair qu’on n’a pas vu ce genre de comportement de la part de Tuchel. Après, je pense qu’il a un peu changé par rapport à l’époque Dortmund. À Paris, il a mis de l’eau dans son vin. Alors certes, il est toujours pointu et strict. Mais il a su arrondir les angles, pour éviter certains clashs. Ce n’est plus comme avant, on ne peut plus punir les joueurs aussi facilement. Je pense que le fait d’être à Paris avec de telles stars, ça l’a également obligé à être un peu moins carré et à revoir un peu ses méthodes de management. Même au bord de la touche, il sourit et il apparaît beaucoup plus décontracté qu’à l’époque du Borussia.
Les médias allemands disent souvent que Jürgen Klopp jouait du heavy metal, alors que Lucien Favre joue du jazz moderne. Quelle musique joue Thomas Tuchel, dans ce cas ?C’est vrai que cette métaphore correspond assez bien à Klopp et à Favre.
Klopp joue beaucoup sur le relationnel, peut-être moins sur l’aspect tactique, alors que Tuchel est sans doute beaucoup plus pointu. Favre est un énorme travailleur, un peu comme un prof d’université, mais un prof qui n’est pas là juste pour donner son cours. Je pense que Tuchel se situe, plus ou moins, entre un Klopp et un Favre. Mais ce qui ressort le plus, c’est qu’il a pas mal changé entre Dortmund et Paris. Je le sens mieux dans sa peau. On pourrait donc dire qu’il joue une sorte de rock.
Propos recueillis par Maxime Renaudet