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On a suivi Arsène Wenger au Japon

Par Ronan Boscher // Tous propos recueillis par RB
On a suivi Arsène Wenger au Japon

Pour célébrer les 25 ans de l'arrivée d'Arsène Wenger, au Japon, au Nagoya Grampus, nous avons suivi le Français lors d'une semaine de tournée de conférencier, à Tokyo, en octobre 2019. Pour la première fois depuis son départ de Nagoya, il revenait au Japon, sans sa casquette de consultant télé ni celle de coach, profitant aussi de la Coupe du monde de rugby. Virée japonaise avec du beau monde, dont un ancien prestataire de James Cameron.

Un bouquet tendu à 13h30, un gâteau au glaçage précis et une bougie à 18h. « J’ai un an ? » , blague facilement Arsène Wenger. Bouche serrée, presque souriante bien qu’efficace, il éteint la flamme, puis lance « Thank you and good bye ! » avant de reprendre le masque du type qui n’est pas mécontent que ça se termine. Ce 24 octobre 2019 en fin de journée, il quitte cette grande suite du Park Hyatt de Tokyo, dans laquelle il a, durant une heure, répondu aux questions de Junichi Inamoto, 40 ans (ex-Rennais et Gunner, en D3 japonaise aujourd’hui). Quelques heures plus tôt, il donnait une conférence dans un théâtre de Shibuya. Depuis quatre jours, Arsène Wenger est au Japon, pour une tournée – rémunérée environ 50 000 euros + hôtel + avions – d’une semaine. Depuis trois jours, il a passé le cap des 70 ans. Il réfléchit : « Honnêtement, t’as l’impression que ce chiffre appartient à quelqu’un d’autre. » Il admet, fataliste, avoir « un peu peur » du chiffre.

Son contexte personnel – deux décès dans sa famille depuis qu’il a quitté le banc d’Arsenal (mai 2018) – lui a malheureusement appris à préciser sa vision du futur. Elle n’est pas révolutionnaire, mais presque souriante et efficace, encore : « Ça ne va pas durer éternellement. Je ne sais plus qui a dit que « l’inévitabilité de la mort peut conduire à la résignation ou à la célébration de tout ce qu’il y a encore à vivre »… Je pense que j’arrive à bien ignorer le temps. La souffrance détermine le monde dans lequel tu vis. Si tu as la chance d’être en bonne santé, tu peux te concentrer sur autre chose que toi. » Habituellement, il n’est pas « du genre à fêter » les années qui passent. Pourtant, le 22 octobre au soir, le Français est bien dans un restaurant tokyoïte pour souffler ses 70 bougies. Florent Dabadie, journaliste français exilé au Japon, ancien traducteur de Philippe Troussier et coordinateur de la tournée nippone de Wenger, lui a organisé un dîner d’anniversaire surprise rassemblant une quinzaine de convives. Featuring Bernard Laporte, Christian Jeanpierre et Pierre Hermé pour les desserts. Pouce levé pour Wenger : « C’était inattendu, sans formalité, relax. J’ai apprécié voir ces Européens et ces Japonais à table. C’était un peu ma vie, quoi. »

« Fardeau de la J-League » et méthode Kohei

Il y a 25 ans, en fin d’année 1994, la vie d’Arsène racontait qu’il était courtisé par le Bayern à l’été, sommé de rester à Monaco à la rentrée pour, fin septembre, en être viré. Écœuré du foot français, l’Alsacien accepte alors, après deux mois de discussion, un contrat de deux ans à la tête du Nagoya Grampus Eight, l’équipe de J-League du géant Toyota. Cette D1 japonaise professionnelle n’a que trois ans, pas de menace de relégation et un mode de fonctionnement binaire. « Pas de match nul, quitte à aller en prolongation et aux tirs au but, se souvient Wenger. Ils s’étaient inspirés des combats de sumo, où tu ne peux que perdre ou gagner. » Sa nouvelle équipe de Nagoya jouit d’une mauvaise réputation, « surnommée le « fardeau de la J-League ». » Une peinture verte masquait même la pelouse jaunie du stade. « Ça tenait toute l’année et ne tachait même pas les chaussures » , se souvient encore Franck Durix, joueur sous la coupe de Wenger au Japon. Non, même s’il a du blé et quelques idées, Nagoya ne fait que se planter depuis deux saisons (avant-dernier en 1993, avant-dernier en 1994), vient de perdre Gary Lineker et n’arrive pas à profiter du génial Dragan Stojković.

L’Alsacien n’a pas peur du fardeau Nagoya, bien payé il est vrai. Certes, il ne connaît « pas du tout » le Japon, mais s’en remet à sa « fascination, depuis tout jeune, pour ce qui est différent » . Il rappelle ce voyage entre amis à ses 25 ans, dans la Hongrie communiste, curieux de voir lui-même ce que « les étudiants et intellectuels de l’époque, plutôt de gauche » , vantaient. Là, Wenger convoque ce déjeuner sur une terrasse de Ziget, où le serveur ne lui fait payer que les cafés, et pas les plats. «  »C’était le service d’avant qui a pris la commande, pas moi » qu’il disait. » Ici, il se souvient de cette dame qui lui refuse la location d’une maison, « déjà louée » , mais « disponible pour la semaine contre quelques billets » . À son retour en France, la sentence de Wenger est irrévocable : « Je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas du tout d’intérêt individuel dans ce système, et donc jamais d’engagement. Ça ne pouvait qu’exploser. Je ne savais juste pas « quand ». » Arsène ne sait aussi plus exactement quand il a posé pour la première fois le pied au Japon. Quelques jours après le 17 janvier 1995 en tout cas, date du tremblement de terre de Kobe, à 200 km, au Sud-Ouest de Nagoya. « J’avais demandé si je devais différer mon vol » , se souvient-il.

Retour en 2019, encore à l’aéroport, celui de Tokyo Haneda. Le 21 octobre dans l’après-midi, Kohei, 30 ans, attend fébrilement Wenger. La veille au soir, Kohei a tiré à minuit le rideau de fer du Highbury – The Home of Beer, pub à la gloire d’Arsène qu’il tient dans le quartier de Shinjuku, à Tokyo. Il a épluché avec des amis la liste des vols susceptibles d’accueillir Wenger à bord. Aidés de WhatsApp, ils quadrilleront les deux aéroports tokyoïtes dès 4 heures du matin, Kohei épiant les arrivées à Haneda. « J’ai patienté 13 heures 30 » , dit-il fièrement. Il a aperçu la sécurité sur les dents, en raison d’un afflux d’huiles couronnées et politiques venues célébrer le couronnement du nouvel empereur du Japon, Naruhito. Kohei n’en a reconnu « aucun » . Puis, aux alentours de 17h30 : Arsène Wenger. « J’en ai pleuré » , revit-il une semaine plus tard, toujours en larmes, à la terrasse de son pub. Il s’emballe : « Wenger, c’est toute ma vie, mes respirations, mon dieu. » On est tenté de croire celui qui s’appelle le « fan numéro 1 de M. Wenger dans le monde » . Son Highbury à lui compte plusieurs corners – jusqu’aux toilettes – et drapeaux à l’effigie du technicien français, surtout en cette semaine d’anniversaire. Kohei a aussi brassé une bière spéciale, la Arsemas Ale, au goût « doux et complexe » , avec l’ombre d’Arsène, les bras écartés, sur l’étiquette qui annonce un 4,9° d’alcool. « Comme la série de 49 matchs sans défaites d’Arsenal, entre 2003 et 2004. » La bannière Merci Arsène, we will miss you too, aérotractée dans le ciel du stade d’Huddersfield pour le dernier match de Wenger sur le banc d’Arsenal en mai 2018 ? Méthode Kohei encore, qui avait payé depuis le Japon le happening via une cagnotte participative. « On a vu la banderole en direct à la télé, c’était incroyable. »

Toutes aussi incroyables, ses trois demandes de visa de travail – toutes refusées – pour la Grande-Bretagne, « pour être géographiquement au plus près de M. Wenger, ajuste-t-il. J’ai même monté mon pub comme atout pour mes démarches » . Aujourd’hui, il ne ferraille plus avec l’immigration britannique. Il a un nouveau problème. « J’ai rencontré une bonne vingtaine de fois M. Wenger, à la sortie de Highbury ou de l’Emirates, juste pour lui dire quelques mots, quelques secondes. Mais depuis qu’il a quitté Arsenal, je me sens perdu, sans espoir, dans ma vie. Je n’ai plus d’endroits où le rencontrer. »

14% de surface habitable et James Cameron

Que Kohei patiente. Lors de cette dernière semaine d’octobre, il attrapera bien une nouvelle occasion de le croiser ailleurs qu’à l’aéroport. Ce ne sera pas le 22 au soir, pour l’anniversaire surprise, réservé aux proches. Ni le 23. « Bernard Laporte nous avait arrangé une rencontre avec l’équipe de France de rugby, renseigne Florent Dabadie. Mais il aurait fallu qu’elle passe les quarts de finale (éliminée contre le pays de Galles, N.D.L.R.). » Ce ne sera pas non plus le 26, au stade de Saitama, où Kohei espérait la présence de son messie en tribunes pour la finale de J-League Cup (Sapporo-Kawasaki, N.D.L.R.). « Il était en fait au stade de Yokohama, pour la demi-finale du Mondial de rugby, Nouvelle-Zélande/Angleterre. Je m’y suis rendu en catastrophe depuis Saitama, quand je l’ai su, mais je ne l’ai pas vu. »

Rien non plus le 25. Durant l’après-midi, Arsène Wenger a passé une grosse heure du côté du Palais impérial, avec la princesse Hisako Norihito de Takamado (66 ans), veuve depuis 2002 (son mari s’est éteint d’une crise cardiaque après une partie de squash), et dingue de sports. « Habituellement, tu regardes ta montre lors des visites officielles, mais pas là, s’amuse Wenger. Elle était vive, intelligente et curieuse, à discuter des faiblesses à certains postes de quelques équipes de J-League ou même de la VAR. Ça ne faisait pas trop « code impérial » et on s’est bien marrés. » De code, il en est par exemple question, à la sortie de cette visite impériale. Il est 17 heures, une douce ritournelle résonne, comme tous les jours, dans les rues de Tokyo, pour indiquer aux plus vieux l’heure de rentrer. « Comprenons juste le contexte culturel, réfléchit professeur Wenger. Pratiquement 14% de leur superficie est habitable, donc il leur faut des règles, du vivre-ensemble pour s’en sortir. J’ai appris que certains faisaient même parfois semblant, en collectivité, de dormir, pour ne pas être tout le temps confronté à cette proximité. Je le redécouvre à chaque fois que je viens. Le Japon est toujours dans le code du comportement. »

The Kooples Arsène Wenger et Junichi Inamoto

Code, suite. Quelques heures avant la visite impériale, sous un vent et une pluie de furieux, une brigade de pompiers, à l’évidence en mission d’urgence, met un point d’honneur, le matériel sous les bras, à emprunter le passage piéton pour changer de trottoir. Une rue plus loin, à l’heure du déjeuner, Arsène Wenger arrive dans un salon privé du chic Tokyo American Club. Chemise à col et veste exigées. Une douzaine de cadres et chefs d’entreprises françaises adhérents à la chambre de commerce France-Japon l’y attendent et ont déboursé 8000 yens (environ 65 euros) pour ce moment Wenger, le temps d’un déjeuner. Il y a là Richard par exemple, le représentant Japon de la « maison Pierre Hermé » , qui glisse un clin d’œil à l’invité d’honneur pour présenter sa chapelle. « Pierre Hermé, c’est quatre générations de pâtissiers alsaciens. » « On a une très bonne tradition de pâtissier, oui » , acquiesce Wenger. On y trouve aussi le directeur Japon de L’Oréal ou Philippe, le directeur local de la société Pierre Fabre, ou encore ce représentant de la PME grenobloise Air Star, bien implantée sur ce coin d’Asie. « On a inventé le ballon éclairant, qu’on peut voir sur les travaux de nuit ou même dans le cinéma. Pour la petite histoire, on a fait Titanic avec James Cameron. » Arsène Wenger a déjà vu ces ballons éclairants il y a 25 ans, à Nagoya. « C’est vrai, la nuit par exemple, ils pouvaient travailler à 30-40-50 ou 100 sur la route. Tu repassais le lendemain matin, ben c’était fini. »

Bain chaud et discours improvisé

Entre le thon cru aux lentilles en entrée, le très bon bœuf bourguignon, une fine crème au chocolat blanc en dessert, et une larme de Mouton-Cadet, le coach français distille ses réflexions sur sa vie japonaise d’il y a 25 ans. Il retient avoir appris la prise de distance, au contact des caractères nippons. Il prend en exemple l’annonce de son départ au président de Nagoya, Mr Masami Iwasaki, le numéro 2 de Toyota. « Je m’excuse de ne pas prolonger mon contrat et il se dit « très déçu ». Je réponds : « Ok, je comprends, mais vous trouverez d’autres très bons entraîneurs sans doute. »Et là, il me fait : « Non, je suis très déçu parce que nous voulons être la meilleure nation du monde dans 100 ans et vous faites partie du plan ». Finalement, cette phrase, intérieurement, m’a enlevé un peu de pression parce que tout est une question de nombre. Mes successeurs avaient encore 98 ans pour arriver à cet objectif, donc mon départ n’était pas si grave, hein. Les Japonais ont un tout autre rapport au temps. » Le temps d’avant-match par exemple. Il se rappelle son rituel, la veille des rencontres, avec son staff de Nagoya : bon dîner à table, sauna, bains chauds puis une bière. « Sauf qu’au début, quand j’arrivais aux bains chauds ou au sauna, on retrouvait toute l’équipe, tranquille, là. Je pouvais pas m’empêcher de penser « mais ils seront morts pour le match demain ! » J’ai voulu leur interdire, et puis t’apprends qu’au Japon, le bain chaud en fin de journée, tu le fais depuis que t’es tout gamin. Donc t’es obligé de lâcher du lest. Quand je suis arrivé en Angleterre et que des mecs se saoulaient, j’ai pas laissé passer en revanche. »

Fin du bal

Devant son petit auditoire, Arsène Wenger régale, entre les grandes et petites histoires, sans oublier un petit mot doux sur ce qu’évoque, pour lui, une chambre de commerce. Il raconte cette soirée londonienne des années 2000 où il pensait aller à un petit dîner de charité, mais se retrouve au milieu d’un dîner de 600 personnes de la Chambre de commerce de Londres. Il apprend qu’il doit tenir un discours d’1h15. « Je n’avais évidemment rien préparé. À table à côté de la présidente de la chambre, je me dis : « Soit je bois la bouteille de rouge en entier, ou rien du tout. » Je n’ai rien bu, je n’ai pas pu préparer mon discours parce que tout le monde te parle à ces repas. Je suis monté sur le podium sans savoir quoi dire. Un test incroyable. Je ne me souviens pas de ce que j’ai dit, mais j’ai tenu 1h15. Depuis, je n’ai plus peur d’aller prendre la parole devant autant de personnes. »

Panique des dernières minutes vs Joel Pannick

La veille de ce déjeuner au Tokyo American Club, Arsène Wenger avait d’ailleurs rendez-vous le 24 octobre à midi, dans le quartier de Shibuya, au Yoshimoto Mugendai Hall, devant 300 personnes. Dans ce théâtre habituellement promis aux one-man show, l’Alsacien est l’invité d’honneur d’une conférence annonçant la prochaine construction, « à l’horizon 2027 » , du premier stade – 30 000 places – « intra-muros » de Tokyo, à Shibuya, exclusivement dédié au foot. À l’extérieur, devant l’entrée des artistes, une vingtaine de groupies attendent l’arrivée de l’Alsacien. L’agence de « talents » Yoshimoto Kogyo, en charge de l’événement et du Wenger tour nippon, a mis à disposition un scénariste pour structurer la prestation. Enjoué, les cheveux mi-Columbo, mi-chef d’orchestre, il a axé la première partie de la conférence « sur les problématiques de réintégration du stade dans la communauté, de la revitalisation d’un quartier et la création de valeur. Et on compare ces points à l’expérience d’Arsène pour l’Emirates Stadium » . Sur scène, pour en discuter avec Wenger, les deux présidents intéressés par un déménagement à Shibuya, ceux du FC Tokyo et de Verdy, et Florent Dabadie en MC. Avec interprète qui traduit à la salle et aux intervenants en japonais, à Arsène en anglais. Dans la salle, trois dirigeants du Vissel Kobe ont fait le déplacement, pour tenter d’approcher une nouvelle fois Wenger, à l’aide d’un agent anglais, dénommé Joel Pannick. La première partie endort au bout de vingt minutes Serge, agent communication d’Arsène depuis près de 30 ans, encore à se battre avec le décalage horaire. « Faut dire aussi que c’est emmerdant quand tu comprends que la moitié des interventions. » Dimitri Yachvili et Christian Jeanpierre, venus écouter entre deux matchs de Coupe du monde de rugby, ne seront pas de la deuxième partie.

Kohei avant…

Dommage, le dialogue avec Takeshi Okada, sélectionneur du Japon en 1998 et de 2007 à 2010 et ami d’Arsène Wenger, a bien plus convaincu. Kohei, le brasseur de Shinjuku, tient son nouveau moment. Un ami, choisi à la loterie en ligne des dernières places restantes, lui a cédé son siège, depuis lequel il s’est incrusté backstage, pendant quelques secondes après l’entracte, pour voir son maître. « J’avais préparé une liste de questions » , affirme Kohei. Finalement, trop ému par sa brève rencontre, il n’aura obtenu que peu de réponses. « Il a signé mon maillot, un écusson, mais là, impossible de poser mes questions. » Tellement sous le choc de cette proximité inespérée, Kohei a fondu illico en larmes, s’accroupissant dans le dernier couloir menant à la scène, les mains sur son visage. Sous les yeux médusés de Serge, qui sort le smartphone pour photographier l’instant, Arsène Wenger monte alors sur scène pour deviser avec Okada. Le Japonais commence par rappeler la promesse faite par le Français avant la Coupe du monde 2010 en Afrique du Sud : « Tu m’as dit, « si tu passes les poules, je te paie ta statue à Tokyo ». Où est ma statue, je ne la vois pas ? » « Désolé, j’ai oublié ma carte de crédit » , répond le fautif, qui vient de regagner la salle, plutôt docile, d’un seul coup. Wenger esquisse ses premières vérités du terrain sur la décennie écoulée : la dimension athlétique est devenue déterminante au top niveau, les défenseurs sont meilleurs techniquement et le gardien de but est « peut-être le poste le plus important sur cette période » . Le foot japonais s’est clairement « amélioré » depuis les débuts du professionnalisme, mais il n’aurait pas « corrigé les défauts » de l’époque, qu’il « paye » à chaque Coupe du monde. « Basiquement, ils encaissent des buts trop faciles, paniquent dans les dernières minutes d’un match, et sont toujours faibles dans les airs, compte Wenger. Je me demande encore comment ils ont pu laisser filer le match contre la Belgique en 2018… »

… Kohei après.

« C’est une sacrée protection pour les Japonais, l’écriture »

Samedi 26 octobre 2019. Arsène est attablé dans le café du Park Hyatt de Tokyo, l’hôtel où Bill Murray s’évertuait à tuer le temps dans Lost in Translation de Sofia Coppola. Le Français accepte une dernière heure d’interview pour dresser le bilan de cette semaine japonaise. La journée s’annonce bien. Cet après-midi, il assistera à la demi-finale du Mondial de rugby, Angleterre/Nouvelle-Zélande. Eddie Jones, le sélectionneur du Quinze de la rose, avait demandé au Français d’intervenir un an avant la compétition auprès de sa troupe, traumatisée par une élimination dès la phase de poules du Mondial 2015. « Il leur fallait évacuer ce trauma, raconte Wenger. Je leur ai aussi dit que leur Mondial se préparait dès maintenant, pas juste deux mois avant la compétition, et demandé quel prix ils étaient prêts à payer, pour ensemble, être au rendez-vous. J’ai appris ensuite qu’ils étaient allés très loin, que cinq psy étaient venus. Les joueurs, par groupe, et dans les chambres, s’étaient dit les choses, leurs ressentiments, leurs peurs, tout, comme s’ils avaient voulu expulser le diable. Je vais regarder ce match avec cet œil-là. »

Son œil s’est ranimé aussi lors de cette tournée sur ce « coup de foudre » pour le Japon, survenu en 1995. Il en était revenu avec l’habitude de marcher pieds et torse nus sur sa pelouse le matin, de boire du thé vert, « de se lever tôt et d’aller à la gym » avant le stade. Cette semaine, il a redécouvert ce côté désuet du Japon, imperméable au temps qui passe et accroché à ses principes. « Je me posais déjà la question il y a 25 ans : quelle est leur protection de l’invasion culturelle que la mondialisation a entraînée ? Pourquoi sont-ils un peu hermétiques par rapport à l’extérieur ? En 25 ans, tu vois bien que l’Europe a beaucoup plus changé que le Japon. Eh bien tu te rends compte qu’en fait, c’est principalement dû à l’écriture. C’est une sacrée protection pour les Japonais, l’écriture et la langue. » Quant à ce Japon ayant eu du mal à se relever de la crise économique des années 1990, Wenger ne veut pas qu’on se méprenne : « Je n’ai passé ma semaine que dans des endroits hyper luxueux où tu ne sens pas que les Japonais sont moins fringants économiquement qu’à l’époque. La réalité de ma visite est complètement superficielle par rapport à la vraie vie des gens. »

Au Highbury – The home of Beer de Shinjuku

Le « vrai Japon » , selon lui, n’est pas à Tokyo, qui serait « un peu comme les autres grandes villes du monde, déjà en 1995, avec les mêmes marques, les même buildings qui rivalisent de taille, les mêmes aéroports. Non, pour connaître le vrai Japon, il faut quitter Tokyo et prendre le Shinkansen. » C’est d’ailleurs peut-être ce qui lui a manqué, durant cette semaine nippone : retrouver la provinciale Nagoya. Il l’a aperçue dans les coulisses du théâtre de Shibuya. La maquilleuse, Alicia, s’annonçait fièrement de là-bas. « Peut-être que vous ne connaissiez même pas votre père quand je suis arrivé à Nagoya » , valorise habilement Arsène. « Peut-être que c’est votre père… » , tente Serge, presque trop grivois. Dans un sourire gêné, elle précise tout de même qu’elle est née deux ans avant l’arrivée de l’Alsacien dans la province chère à Toyota. Nagoya, Florent a naturellement cherché à y emmener Arsène. « Les premiers que j’ai sondés pour accueillir Arsène, c’est le club de Nagoya Grampus, raconte Dabadie. Mais ils avaient peur qu’une conférence là-bas mette la pression sur l’entraîneur en place (qui a finalement été limogé le 23 septembre 2019, N.D.L.R.). » Il y a un an et demi, Wenger aurait vivement conseillé au président de Nagoya d’enrôler Paul Le Guen. Le directeur sportif aurait préféré savonner la planche pour placer un de ses gars, Yahiro Kazama. Et le président de ne pas prendre le risque de parrainer une conférence avec celui qui voulait placer Le Guen.

Une masterclass « à la Christian Jeanpierre » ?

La tambouille du foot japonais est un coup à plusieurs bandes. Florent Dabadie l’a vérifié une fois de plus en organisant cette tournée. Il connaît bien Wenger depuis 2001, avait son interview régulière de deux heures tous les ans pendant cinq ans, pour la télé japonaise. « Ça me trottait depuis un moment dans la tête, l’idée d’une conférence ici, parce qu’il n’était jamais revenu, sans sa casquette de consultant télé ou celle de coach (une tournée avec Arsenal) depuis 1995 finalement » , constate Dabadie. Puis Arsenal s’est arrêté, Christian Jeanpierre lui parle lors d’un déjeuner à Paris d’une conférence qu’il monte à l’Olympia avec Wenger, « Qu’en pensez-vous Arsène ? » , et lui demande si une version japonaise est envisageable. Dabadie creuse, plutôt confiant. « C’est l’entraîneur, depuis 20 ans, qui tous les quatre ans, a une offre de la Fédération japonaise. » Dernière en date refusée par le Français ? Dans un salon du stade Luzhniki de Moscou, avant la finale de Coupe du monde 2018, France-Croatie.

Pourtant, le milieu japonais du foot ne va pas se montrer si accueillant. La fédé japonaise et la J-League refusent l’idée d’une masterclass devant les éducateurs et entraîneurs. La période envisagée – octobre 2019 – n’aurait offert que des « coachs sur les nerfs » , à cause de la fin de saison des championnats japonais. La politique du foot nippon, qui a changé de cap depuis le départ d’Halilhodžić, a aussi joué son rôle. « Elle n’encense plus les coachs étrangers, décrypte Florent. La fédé et la J-League m’ont dit que ça enverrait un mauvais signal que de parrainer ce type de masterclass, alors qu’elles ont donné toute leur confiance à Moriyasu, le sélectionneur, pour faire un foot japonais, dans un système japonais. Ils avaient peut-être l’impression de perdre la face. » En coulisses, il se dit aussi que l’agence de communication engagée par le foot japonais, Dentsu, s’est bien gardée d’aider à huiler ce projet, financé par Yoshimoto Kogyo, une agence concurrente plutôt spécialisée dans le divertissement (humoristes, acteurs et chanteurs), mais désireuse d’investir le gâteau du sport.

L’agence a d’abord attendu l’arrivée de co-sponsors pour au moins assurer l’essentiel : la « masterclass à la Christian Jeanpierre » . « Mais les sponsors voulaient plus du concret que de verser dans le foot-nostalgie, grimace Florent Dabadie, qui a été confronté à une autre petite réalité. En 25 ans, sans jamais vraiment revenir au Japon, Wenger aurait perdu en notoriété générale, devenu le petit culte des seuls médias spécialisés japonais. Yoshimoto s’engagera malgré tout à financer l’intégralité de la semaine Wenger, tout en glissant habilement qu’un nouveau stade serait à l’étude, dans Shibuya, pour 2027, juste pour le football. Au sein d’un complexe regroupant des cinémas et une salle de concert, quand même. « Un stade à 700 millions d’euros apparemment, soit le double de ce qu’a coûté l’Emirates Stadium » , compte Florent. Qui poursuit : « On est donc alors parti sur un thème plutôt tech pour la conférence, basée sur l’expérience d’Arsène avec la construction de l’Emirates, face à ce projet à Shibuya. » Le plus « concret » que les sponsors japonais réclamaient. Florent Dabadie a fait le deuil d’une masterclass à la Christian Jeanpierre. « Si je veux caricaturer, les sponsors m’ont trop souvent dit : « Si c’est pour refaire une conférence retraçant ses meilleures anecdotes de carrière et comment il a acheté Weah au Cameroun, ça ne nous intéresse pas. » »

Voleur de Ballon d’or

C’est bien dommage car ils n’auraient pas renié celle entendu lors du déjeuner, au Tokyo American Club. Avant le dessert, comme au coin du feu en écoutant l’histoire de George Weah que Monaco découvre à Yaoundé sur les conseils de Claude Le Roy, Serge relance, sûr de son coup : « Une histoire rigolote, pour sa remise du Ballon d’or, raconte. » Arsène se lance. Il est alors entraîneur à Nagoya, de passage en France, mais en transit à Milan, pour une histoire de bagages perdus. Le même soir, à Milan, le foot mondial remet le Ballon d’or à George Weah, qui invite son ancien entraîneur de Monaco. « Je n’avais même pas de costard, j’étais en jean-veste. À l’entrée, on me demande mon invitation, je n’en ai pas. « Il y en a 500 comme toi à essayer de rentrer, tu sais ? » Je vois Lippi rentrer, à qui je fais : « Dis à Georges qu’il sorte, il m’a invité, je suis bloqué. » Weah sort, me fait entrer. Quand il reçoit le Ballon d’or, il m’appelle sur scène et me donne le trophée. « C’est grâce à toi que je l’ai eu, c’est toi qui le mérites. » Tous mes collègues étaient stupéfaits. Bref, ce qui était marrant, c’était surtout que le vigile qui m’avait empêché de rentrer m’a vu ressortir avec le Ballon d’or dans les mains. Il s’est dit : « Celui-là, c’est un voleur. » »

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