- Culture foot
- Interview Cyril Gelblat
« Le centre d’entraînement de l’OGC Nice, ça a un côté Rocky 1 »
Avant la sortie de Tout pour être heureux au cinéma ce mercredi, Cyril Gelblat, le réalisateur de cette comédie avec Manu Payet et Audrey Lamy, nous a parlé foot. Et en tant qu'ancien joueur de l’OGC Nice et habitué de la populaire sud, il a des choses à dire.
Cyril, avant d’être réalisateur, tu as été joueur à l’OGC Nice, dis-nous en plus.C’était une période dorée, j’en garde d’excellents souvenirs. J’y ai joué de débutant à pupille pendant une excellente période du Gym, celle de Marko Elsner, Milos Djelmas… On était une bande de potes, on gagnait tout le temps. On s’entraînait à Charles Ehrmann, peut-être le centre d’entraînement le plus pourri de France, mais il y avait un côté Rocky 1 qu’on adorait. On se changeait dans des préfabriqués, il n’y avait jamais d’eau chaude, mais on devait être la seule équipe de gamins à s’entraîner à côté des pros. Après les entraînements, Jules Bocandé, Daniel Bravo tapaient la balle avec nous. On était entraîné par Olivier Fugain qui a joué en pro et gagné la Coupe de France en 1997. L’éducateur nous élevait déjà dans la culture du supporterisme, de la haine de Marseille. On était le bon club de la région, mais c’était artisanal.
Pourquoi ne pas avoir essayé de percer ?J’ai suivi les potes en allant au Cavigal, club formateur d’Eric Roy. Je rêvais de jouer en pro en faisant des têtes plongeantes contre le mur de ma chambre. J’en rêve toujours d’ailleurs, même à 38 ans. Quand j’ai du mal à m’endormir, pour m’apaiser, je m’imagine jouer sur le terrain de l’Allianz Riviera avec le maillot du Gym sur les épaules. Mais je n’avais pas l’ambition d’être pro, je ne regrette rien. Quand j’ai eu la possibilité d’entrer en centre de formation, ma mère ne voulait pas que j’y aille. Mes potes qui y sont allés n’ont pas percé. J’étais déjà plus mauvais qu’eux, alors c’était un mal pour un bien. Puis je me suis blessé à la cheville. J’entends encore le crack de quand je suis retombé, après un duel aérien contre un gars d’une équipe de Marseille. Un vieux chirurgien de l’hôpital de St Tropez voulait absolument m’opérer. Je ne suis jamais revenu au niveau que j’avais avant.
Comme joueur, ça a été quoi ton meilleur souvenir ?Je faisais trois semaines à l’hosto pour un problème à la hanche. J’allais louper un lever de rideau au Ray avant un match contre l’OM époque Foster, Papin… Mon père m’a aidé à fuguer de l’hôpital. J’ai pu jouer au Ray. Sur les actions, on se faisait siffler par le parcage marseillais alors qu’on était des gamins d’une dizaine d’années. C’était fou.
Tu dois être fier de voir Nice à ce niveau cette saison ?Oh que oui, ça fait du bien. On fait du beau jeu, avec Ben Arfa on a un génie du foot comme on n’en a jamais eu et comme on n’en aura jamais plus. C’est une équipe jeune, j’espère qu’on va la garder, et faire un bout de route ensemble. Y a un truc à jouer. Ça serait bien de franchir enfin un cap et ne pas retomber dans les travers en jouant le maintien l’an prochain. Quel pied ça serait de jouer la Ligue des champions avec la petite musique… Après toutes ses années de patience, on le mérite.
Le souvenir le plus marquant que tu aies eu dans un stade ?Le but de Tony Kurbos contre le PSG. Plus beau but jamais vu. Un retourné sur une passe en aile de pigeon d’Elsner. Un truc de maboule. Bats, il fait un plongeon incroyable, mais il ne peut rien faire. J’étais ramasseur de balles ce jour-là, je l’ai vécu depuis le terrain. C’est le plus beau but des 30 dernières années.
Tu te souviens de ta première fois au Ray ?Non pas vraiment, en fait, attends, si. Je t’explique. Je suis né à Paris, et je suis arrivé à Nice à 5 ans. Mon père m’a emmené au stade, ça devait être en 1984-85. Jorge Domínguez, attaquant mythique, marque d’un retourné. Tout de suite, je suis devenu supporter, comme mon père qui n’avait jamais été supporter du PSG. Il y avait une ferveur. C’est un stade qui fait partie de mon enfance. Une ambiance unique, ses sandwichs, sa moutarde au pot, une ferveur méditerranéenne. Je n’ai jamais retrouvé ça ailleurs. Il y a une vox populi qui se dégage de la BSN, avec ses excès aussi, mais vraiment le seul public de ce type en France.
Justement, cette populaire sud, tu y prends tes habitudes ?Ouais, avec mes potes, on allait en populaire. Il se passait toujours quelque chose de spécial. C’était le début des 90’s, une ambiance comme j’aimerais en voir partout. Malheureusement, il y avait des débordements des fois, mais le Ray me manque. Il y avait une proximité des tribunes avec le terrain qui se faisait ressentir sur les joueurs. J’ai déjà entendu des chevilles péter sur des tacles. Mais en plus du son, l’éclairage et la lumière étaient spéciaux. Aujourd’hui, en tant que metteur en scène, c’est un aspect que je remarque encore plus. Il n’y avait pas un stade éclairé de la même manière.
Quel regard portes-tu sur le mouvement ultra ?Je n’imagine pas un stade sans kops, sans ultras. Quand il y a des grèves, ça se ressent tout de suite. Mais tout le monde doit se remettre en question. Il y a des excès des deux côtés. On peut se chambrer, mais organiser des fights à chaque match, ce n’est pas nécessaire. J’ai la haine de Sainté, Marseille ou Bastia, mais j’y ai des amis. Il faut faire la part des choses. Certains la font. « Le problème c’est pas ceux qui sont nés à Marseille, c’est ceux qui viennent d’ailleurs et supportent l’OM » , disait Marco, un fondateur de la BSN. C’est cet aspect que j’aime, la vision guerrière, je n’adhère pas toujours. Mais les ambiances sont essentielles au foot. Je regarde autant le terrain que les tribunes à Nice. J’ai un rapport passionnel à la tribune populaire.
Certains disent que Nice n’est pas une ville de foot. Selon toi, c’est plus une ville de cinéma ou de foot ?C’est vrai que c’est difficile de dire qu’on est une ville de foot quand on galère à faire venir 19 000 personnes, alors qu’on joue l’Europe. Contrairement aux villes où il n’y a rien, et où le foot peut fédérer, Nice a beaucoup d’atouts. En revanche, ceux qui viennent, c’est des vrais passionnés. Pour les films, on a des studios, des grands films ont été tournés, mais il faudrait quand même que les réalisateurs se penchent plus sur la population que sur les décors pour qu’on parle d’une ville de cinéma.
Cette année, le scénario de la Ligue 1 a été plutôt mauvais. Si tu devais écrire celui de la saison prochaine, ça donnerait quoi ?Nice est racheté par un milliardaire américain. Les dirigeants monégasques obtiennent la nationalité monégasque pour qu’ils s’y mettent vraiment. Match à trois avec le PSG. Nice en sort vainqueur à la dernière journée sur un but hors jeu de la bite à la 94e. Le beau jeu on s’en fout, tant qu’il y a la grinta.
Qu’est-ce qui te procure le plus d’émotions, un match ou un film ?Match, sans hésitation. Dans le foot il y a des scénarios dingues. Tu as l’émotion, tu peux passer de la peur, aux larmes, jusqu’à la délivrance… Peu de films font ressentir ça. Dans les années 80 quand le PSG bat le Real 4-1 avec la tête de Kombouaré à la 94e, c’est un scénario avec rebondissements et cliffhanger. Une pure écriture de film avec des péripéties, des relances. De l’inattendu digne de films américains. On retrouve aussi la mythologie du méchant, gentil. Le match, c’est des émotions de malade. Pas plus tard qu’il y a quelques semaines, j’ai eu des frissons profonds sur un but fou de Ben Arfa.
Feras-tu un jour un film sur le foot ?J’ai déjà fait un court-métrage, sur un père qui se réalise a travers son fils la veille d’un match. J’avais un autre projet, mais ça ne s’est pas monté. Le foot, c’est très casse-gueule, il y a eu le chef-d’œuvre de Jean-Jacques Annaud, Coup de tête, mais c’est tout. Visuellement, c’est compliqué, pas aussi cinématographique que certains sports. En revanche, faire sur les à-cotés pourrait être intéressant. L’histoire de Cherrad, racketté par ses frères qui part en cavale avec sa femme, c’est un terreau de scénario intéressant. Tous les faits divers qui tournent autour de Benzema aussi pourrait aboutir à quelque chose de pas mal. Mais le ballon rond stricto sensu, c’est pas évident.
Si tu devais diriger un joueur sur un tournage ?Maradona. La seule idole que j’ai jamais eue. Il a une aura… Sinon, j’ai dîné avec Cantona, il m’a plus impressionné que beaucoup d’acteurs que j’ai vus. C’est quelqu’un de très doux, calme, humble.
Est-ce qu’en tant que réalisateur tu considères ton rôle comme similaire à celui d’un manager ?C’est exactement ça. Il faut s’adapter au mental des acteurs pour arriver à en tirer le maximum. Réalisateur, c’est la même approche psychologique. Il faut en suivre certains, pour d’autres il faut aller au conflit, d’autres doivent être mis en confiance. Et au final, c’est une équipe que l’on gère.
Par Nicolas Kohlhuber